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Vertige national
par M'hammedi Bouzina Med
 On ne se parle
plus dans le pays. On s'ignore, on se tourne le dos, on se fâche et au bout on
se tape dessus.
Le match national
sociopolitique de ce début d'année est engagé, nerveux et, chose inouïe, sans
arbitre neutre: la matraque contre les médecins résidents en marche à Alger, le
silence -ou le mépris- des marches et manifestations ailleurs qu'à Alger, la
sourde oreille aux appels ou menaces de grèves des enseignants des différents
cycles d'enseignement, de l'unique compagnie aérienne qu'est Air - Algérie, de
syndicats d'entreprises diverses etc. On ne se parle plus dans le pays, on
s'ignore, on se tourne le dos, on se fâche et au bout on se tape dessus les uns
les autres. Les politiques, au pouvoir et dans l'opposition, observent,
récupèrent, surenchérissent selon les cas et regardent ailleurs:
vers le printemps 2019 et le grand rendez-vous électoral pour le plus haut
trône de l'Algérie: la présidence. Là, des comités de soutien
« supplient» Mr Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat; là-bas des
partis politiques ont chacun chez lui les yeux et la tête déjà en 2019;
ailleurs des pétitions circulent pour faire revenir l'ancien premier ministre,
Mr Mouloud Hamrouch dans le jeu politique pour la
course à la présidentielle...Et dans ce magma fait de désespoir des uns,
calculs pervers des autres, vogue la galère du bon peuple occupé aux calculs de
fin de mois à la lueur des taxes et augmentations dictées par la nouvelle loi
de finance. Puis, soudain, une bonne nouvelle nous dit-on: un ministre confirme le souhait d'un sponsor français à
faire renaître le rallye autos-motos -camions «Paris- Dakar» en Algérie. Un
circuit à l'intérieur du désert algérien, une sorte de bac à sable de jeux pour
fortunés dans l'immensité du Sahara algérien et qui portera aussi le nom du
«Dakar» quand-même. Jubilation et fierté de ce désert national qui fascine
encore le nord de la Méditerranée et que n'aiment pas pour effectuer leur
service civil, parait-il, les médecins tabassés à Alger. «Algérie mon amour»
chantent les cœurs des plus passionnés pour conjurer l'oracle de malheurs
qu'évoquent les esprits maléfiques dans et en dehors du pays. « One, two, three viva
l'Algérie!» répliquent les jeunes dans les stades du
pays et ailleurs dans le reste du monde qu'ils soient immigrés légaux,
binationaux ou «harraga». Déroutant pour les autres,
les étrangers, que cette passion- répulsion des jeunes pour leur pays
l'Algérie. Nous , entre nous, on se fait piéger à
chaque tournant du présent ou arnaqués par nous mêmes.
Nous dénonçons à longueur de journée et en boucle continue la gestion
catastrophique de ce pays par ce qui est nommé communément par le double
vocable «islamo-conservateurs», pour les porter ensuite à coups d'élections,
chaque fois à tous les niveaux de pouvoir. Et nous nous étonnons de découvrir,
sidérés, des illuminés faisant la guerre aux statues avec les mêmes armes que
leurs artistes-sculpteurs d'origine: marteau et burin.
La vie nationale donne le tournis aux observateurs étrangers comme à nous
-mêmes. Que penser d'un tel vertige national? Est-ce le
signe d'une vitalité politique, d'une conscience des menaces réelles ou
supposées contre le pays? Est-ce une inconscience ou
une tricherie générale jouée contre soi? est-ce
l'annonce de l'accouchement d'une nouvelle Algérie et sous quel signe? Est-ce rien? On tournera la
question sous toutes les formes sans voir plus clair, sans savoir « où va
l'Algérie». Hormis les tenants du pouvoir, et ça se comprend, le bon peuple
navigue dans une sorte d'égarement perpétuel, tourne en rond dans une attitude
tantôt de victime consentante, tantôt dans celle d'un révolté contre le système
qu'il perpétue d'une élection à l'autre. Le pays vit au rythme des élections
avec l'espoir du changement et se retrouve à chaque fois à faire du sur-place,
d'autres disent qu'il recule. Paradoxalement pouvoir et peuple se retrouvent
autour de l'unique «table», celle de l'évolution du prix du pétrole. Pouvoir et
peuple se tiennent le ventre au moindre frémissement vers le bas du prix du
baril du pétrole et respirent lorsqu'il repart à la hausse. La question est si
cruciale pour le pays que des algériens en veulent à d'autres algériens du même
camp politique ou pas de se réjouir selon que le prix du baril monte ou
descend. Les uns estimant que la chute des prix obligera
le pays à se retrousser les manches pour travailler et créer de la richesse,
les autres préférant profiter des miettes de la rente pétrolière que de vivre
une autre révolte populaire à l'issue incertaine. Jusqu'à quand ce deal bancal
et vicieux pouvoir-peuple autour du baril permettra t-il
au pays de garder la tête hors de l'eau? Personne ne
le sait et tous craignent le moment fatidique. Pourtant des alertes, il y en a
chaque mois, chaque année qui passe: réduction
drastique des importations, gèle des projets non prioritaires excepté, dit le
gouvernement, ceux des secteurs de la santé, de l'éducation, des transports et
en sus...planche à billets par la banque centrale pour éviter l'endettement
extérieur dit encore le gouvernement, et tant pis pour la valeur du dinar,
l'inflation et la dette interne. Qui la remboursera, quand et comment? On ne sait pas là aussi. Non pas que l'emprunt
national ou financement non conventionnel soit un risque en soi, mais y
recourir pour payer les salaires, retraites et frais de fonctionnement de l'Etat
au lieu de projets producteurs de plus-value conduit droit à la faillite des
comptes de l'Etat sur le moyen terme. Du reste, pourquoi considérer le recours
à l'emprunt sur les marchés financiers internationaux comme risqué en soi? Faut-il rappeler que de grands pays industrialisés y
recourent sans que cela n'altère leurs économies ou leurs souverainetés nationales? Le pays le plus endetté au monde n'est-ce pas
les USA? Sont-ils en faillite ou non libres de leurs
choix politiques? Lorsqu'il sert à l'investissement
productif, l'emprunt qu'il soit national ou sur les marchés financiers n'est
pas un problème mais un incitant à la création de plus-value, de relance de la
croissance et de création d'emplois. Au delà de ces
évidences économiques que le gouvernement n'ignore certainement pas, nous
sommes en droit de nous interroger sur cette «fuite en avant» face aux
difficultés qui se posent à la gestion du pays et au choix d'options éculées et
très loin du management moderne des grands pays. Sans les réformes
structurelles, contenues par ailleurs dans les programmes successifs des
différents gouvernements depuis 1999, soit l'année de l'arrivée au pouvoir de
Bouteflika, le pays ne pourra échapper au risque d'un sous
développement, structurel pour le coup, et une vie politique sclérosée
avec ses périls sur les libertés des citoyens et la paix sociale et politique.
En arriver à saigner le crâne de médecins spécialistes à l'intérieur de la cour
d'un hôpital et revendiquer le rapatriement des crânes de résistants à la
France (et c'est légitime) illustre bien l'absurdité dans lequel est plongé le
pays, pour ne pas dire le l'infamie politique dans laquelle baigne le pays.
L'an 2018 ne s'annonce pas sous de bons augures. C'est le moins que l'on puisse
dire.
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