Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Benzema saison iii : le piège du retour en équipe de France

par Abdelhamid Boughaba *

Un fennec ne se laissera jamais prendre deux fois par le même piège. (Proverbe constantinois)

C'est incroyable comment un simple fait divers, digne de la rubrique des chiens écrasés d'un quelconque canard de province, prend une ampleur particulière dès lors que l'auteur s'avère être un français d'origine maghrébine. C'est bien la marque de fabrique d'une France étrange en perte de repères, d'une France dénaturée qui caracole aujourd'hui en tête des pays européens avec l'électorat le plus xénophobe établissant ainsi élection après élection, record sur record, le plus haut niveau de voix exprimées en mode facho-raciste. L'affaire Karim Benzema qui rentre aujourd'hui dans sa saison 3, cristallise toutes les dérives d'une société à la dérive et suscite autant de passions névrotiques qu'à ses débuts, encouragé en cela par des discours politiques dégradants et indignes d'une prétendue « gauche » installée au sommet de l'Etat jusqu'en 2017 et d'une droite empruntée aux extrêmes, qui se réclame d'un gaullisme contrarié et décadent.

Dans le microcosme du football plane aujourd'hui comme un air de musique baroque joué par tant d'instruments à vent que compte l'hexagone afin de trouver la formule adéquate pour éviter une catastrophe programmée à l'équipe de France lors de la coupe d'Europe 2016. Et pour ce faire bien des regards sont désormais tournés vers la « kaïra » des cités qui vient juste d'être bannie du gotha Français du football : Karim Benzema, « complice du chantage à la sex-tape » envers Mathieu Valbuena. Ainsi après l'avoir trainé dans la boue et cloué au pilori, à de rares exceptions près, par tout ce que la France compte de grandes gueules autorisées, d'officieux ou d'officiels, voilà qu'on découvre à nouveau qu'on ne peut se passer du talent du natif du Bron de la banlieue lyonnaise. La justice qui s'est fourvoyée au début de l'affaire par des fuites programmées, ne s'embarrasse guère aujourd'hui de se déjuger en révisant subitement sa position et réclamer une levée partielle de sa mise en examen afin de permettre hypocritement aux deux antagonistes de se rencontrer en dehors et sur le terrain. Allez savoir pourquoi ou par quel miracle Karim Benzema devient éligible à l'absolution d'une grave accusation passible de lui valoir une présentation devant un tribunal correctionnel avec de la prison à la clé, selon le code de procédure pénal?

A-t-on si peur de prendre une véritable raclée en coupe d'Europe pour qu'on s'essaye aveuglément à ouvrir de nouvelles pistes de recrutement dans le désert maghrébin et la brousse africaine en poussant le ridicule jusqu'à voir Didier Deschamps, entraineur en chef des bleus, superviser en Italie le joueur de Naples Kalidou Koulibaly, qui a déjà opté depuis le 05 septembre 2015 pour le Sénégal et porté depuis les couleurs de son pays d'origine. On se souvient aussi de l'épisode Higuain ainsi que de la pression effectuée sur Nabil Fekir pour lui faire intégrer au plus vite le camp de Clairefontaine à deux heures de son envol pour Alger. Devant l'indigence manifeste de talents qui composent le onze de l'hexagone, toute honte bue, et après les avoir insultés et mis à l'index, on retourne les chercher, « ces voyous de banlieue », pour tenter de sauver la face et essayer au moins de faire sortir la France des poules, pour faire amende honorable en juin prochain. Dans ce contexte là on s'étonne même de retrouver des rescapés de l'affaire du bus en 2010 tel que P. Evra et B. Sagna. On refait appel par ailleurs à Hatem Benarfa et on arrondie les angles pour le retour de Karim Benzema. Ne manqueront à l'appel dans cette composition que Nicolas Anelka, Jérémy Menez et Eric Cantonna (sic). Tant qu'à faire pourquoi s'en priver de ces talents confirmés (re-sic).

Les raisons de ce revirement sont multiples et aussi cocasses les unes que les autres, mettant à nu une gestion catastrophique d'un fait divers des plus communs où tous les tarés de l'action politique et tous les insignifiants du paysage audiovisuel français sont venus fourrer leurs nez dans cette affaire, courant jusqu'à perdre haleine et dignité derrière quelques dividendes électoraux et surtout le buzz pour qu'on puisse parler d'eux. Et s'il faut des noms, il y en a à la pelle : du sommet de l'Etat pour les politiques, jusqu'au prétentieux « chroniqueur » italien de RMC Daniel Riolo et le journal Le Monde, pour les médias. Quelle déchéance ! Terme à la mode utilisé sciemment ici rien que pour le remettre au goût du jour et lui donner du contenu parce que ces derniers mois il fut rogné jusqu'à l'os par un discours suréaliste, perdant toute sa signifiance.

Et maintenant bien des questions vont se poser : est-ce que Karim Benzema répondra à cet appel du pied de l'Equipe de France? Consentira-t-il à endosser l'équipement du « SAUVEUR » ? Est-il conscient du piège sournois qui lui est tendu par une grande partie des dirigeants politiques et sportifs qui ne s'embarrasseront pas de lui faire porter plus tard les conséquences d'un échec aujourd'hui fortement prévisible. Derrière le rideau personne n'est dupe, on met simplement en place toutes les réponses possibles à même de protéger les décideurs et désigner du doigt le mouton du sacrifice le moment venu. Dans le cas d'un succès, ce n'est qu'un fantasme mais supposons qu'il se réalise, ils seront nombreux à se mettre devant lui pour le masquer dans la photo souvenir avec le trophée entre les mains de Didier Deschamps, d'Antoine Griesman ou d'Olivier Giroud par exemple. Ce jour-là, quelle que soit l'issue, il retournera à son statut de citoyen du deuxième collège avec tous les attributs de la « Kaïra » des cités et la charge de son passé judiciaire.

De prime abord on peut être enclin de déduire que pour lui la tentation d'une revanche sur ce qu'il a subi est grande et vivace, bien qu'il ne soit pas blanc comme neige dans ce qui a pu lui arriver. Il en est fortement responsable et sa responsabilité a fait de sérieux dégâts collatéraux sur les « footeux » des cités et la communauté musulmane de France. Cependant rien ne le contraint à ne gérer son propre avenir qu'à travers le prisme d'une blessure, alors qu'il dispose d'une multitude d'opportunités autrement plus valorisantes matériellement et moralement que la proposition d'un problématique retour en Equipe de France ? Le confort d'une place de titulaire dans l'un des plus grands, sinon le plus grand club du monde, se suffit à lui-même pour le dispenser de courir derrière une sorte de repentance qui n'a plus lieu d'être dès lors que la justice a été saisie. Il serait très bien inspiré d'éviter cette grosse ficelle qui ne constitue en soi qu'un bouclier pour les décideurs en cas d'une catastrophe pour cette équipe de France qui ne dispose que de peu de valeurs sûres.

Aujourd'hui tout le monde constate que les joueurs qui sont constants dans leurs clubs respectifs et qui ont suffisamment de talent pour honorer un onze national qui joue la coupe d'Europe, évoluent tous en dehors de l'hexagone : Patrice Evra (Angleterre), Paul Pokba (Italie) Antoine Griezman et Karim Benzema (Espagne), seul Blaise Matudi émarge en ligue 1. Le reste ce n'est que du menu fretin d'eau douce, toujours à l'état de « pépites potentielles » qui n'écloront jamais. C'est dans ce contexte que se trame l'éventuel retour de Karim Benzema dont l'absence pour blessure pénalise actuellement l'attaque du Réal Madrid. C'est dire toute la valeur du numéro 9 qui éblouit la Liga espagnole.

L'éclairage sur cette démarche est bien là puisque le loup est déjà sorti du bois. À ses conseillers donc, ses proches et surtout lui-même de bien réfléchir avant de regagner Clairefontaine parce qu'à ce niveau de la hiérarchie du football et de l'intervention, des politiques ont « assassine froidement et sans remords » puis ont marché sur les cadavres, cigare au bec et verre de champagne à la main. L'avant-goût de cette cruauté comportementale, Karim l'a déjà subi au moins à deux reprises et dispose des cas de Cantonna, d'Anelka, de Ribéry et tant d'autres joueurs issus des cités. Qu'il pèse donc alors le pour et le contre avant tout engagement, parce que comme dirait Toufik, le philosophe arabe de la cité voisine :

si par hasard la France venait à briller avec Karim, il deviendrait français aux yeux bleus, mais si elle essuie une correction, malheur à la « racaille franco-algérienne ». Je l'invite à m'attendre en juin prochain à Madrid et on empruntera ensemble la Puerta del Sol pour aller prendre le soleil sur la Plaza Mayor, siroter un thé à la menthe et suivre à la chaîne qatarie, tranquillement le championnat d'Europe.

* Enseignant universitaire à la retraite ? Bordeaux.