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Une année 2015, mi-crises, mi-raison...

par Pierre Morville

Pour tirer le bilan de l'année qui s'achève ce soir, d'abord un petit retour sur le passé?

An -1015 : A l'époque, le plus grand pays, c'était l'Assyrie, un pays qui se trouvait dans une région qui épouserait aujourd'hui une grande partie de l'Irak et de la Syrie. Sa capitale, Ninive, se trouvait d'ailleurs quelque part dans les faubourgs de l'actuelle Mossoul. Son roi Ashur-ninâri IV vient de mourir et Ashur-Râbi II lui a succédé. Dans la Grèce qui débute, une lutte des classes (déjà !) oppose l'élite et les nantis (agathoi) aux pauvres de la classe inférieure (Kakoi). En Egypte, c'est Psousennès Ier qui règne. Ce pharaon de la XXIème dynastie essaie sans trop de succès d'enrayer le déclin du pays. On estime qu'il y avait à l'époque entre 100 et 150 millions d'humains.

An 15 : Rome est la 1ère ville de la planète. L'empire romain est dans ses rapports au monde connu de l'époque, infiniment plus puissant que les Etats-Unis d'aujourd'hui. Rome est toujours en guerre ; cette année, c'est encore contre les Germains. Le 10 mars 15, Tibère, l'empereur a été élu pontifex maximus, grand pontife, bref chef de la religion officielle. En Galilée, dans le petit village de Nazareth (pas plus de 400 habitants), un charpentier, Joseph apprend à son fils, les rudiments du métier. Mais le petit Jésus adore plutôt discuter religion avec les docteurs du temple.

En Chine, éclatera dans deux ans la révolte paysanne des « sourcils rouges ». l'empereur de l'époque s'appelait Wang Mang et avait piqué le pouvoir à la dynastie Han pour établir la sienne la dynastie Xin qui ne dura que jusqu'en l'an 23. On dénombre 170 millions d'habitants de la Terre.

An 1015 : Il fait, comme aujourd'hui, vachement bon : c'est ce que l'on appelle l'optimum climatique médiéval ou « l'embellie de l'an mil ». Le Groenland (pays vert) tire son nom de ce coup de chaleur. C'est en partant de là que les Vikings ont, dans ces années là, découvert l'Amérique ! Les Normands s'installent en Sicile et plus à l'est de la Méditerranée, c'est l'apogée de l'empire Byzantin (la partie orientale de l'ex empire romain), dont la capitale Byzance se confond avec l'actuel Istanbul. Son empereur, Basile II, annexe tour à tour la Bulgarie, l'Arménie, le Caucase et la Géorgie.

Bagdad, « Cité de la paix » en l'an 1000, est sa rivale, capitale d'une civilisation islamique raffinée, à l'apogée d'une richesse intellectuelle qui sera certainement à l'origine de la renaissance européenne. L'Espagne est encore au trois quart musulmane. Les Européens chrétiens sont persuadés que l'an 1000 signe la fin des temps. Et chaque passage d'une comète fout la panique. Ce fut le cas notamment en 1015. La planète compte environ un plus de 310 millions d'humains.

L'EXTREME PAUVRETE RECULE

An 2015 : bonne ou mauvaise année ? Commençons par ce qui est bon : selon la Banque mondiale, l'extrême pauvreté continue de reculer. Pour la 1ère fois, elle touche en 2015 moins de 10% de la population mondiale (qui compte 7,35 milliards d'habitants au 1erjuillet, d'après l'Onu). 702 millions de personnes, soit 9,6%, vivent sous le seuil de pauvreté. Mode de calcul de celui-ci : ne pas pouvoir dépenser plus d'1,90 dollar par jour. Selon l'ONU, le taux d'extrême pauvreté a diminué de moitié depuis 1990. Mais la pauvreté n'est pas également répartie : elle se concentre particulièrement en Afrique sub-saharienne où 35,2% de la population vit sous ce seuil de pauvreté. Et la démographie est la plus forte dans les pays les plus pauvres : c'est le cas dans 16 pays de l'Afrique sub-saharienne où 40% de la population à moins de 15 ans.

Malgré tout un mieux mais l'ONU reconnaissent que ses chiffres sont peut-être un peu optimistes au regard du rebond des conflits notamment au Proche-0rient, et surtout aux multiples ratés de la croissance économique mondiale au second semestre.

Le plein emploi pour tous les humains ? Un doux rêve qui s'éloigne chaque jour un peu plus : le taux d'emploi de l'ensemble de la population (ayant l'âge de l'exercer) est passé de 62% en en 1991 à 60% en 2015 : seulement quatre jeunes femmes et hommes sur dix ont un emploi en 2015 contre cinq sur 10 en 1991 », note le site Atlantico.

Côté études, il ya également du bon : en 2000, 100 millions d'enfants n'avaient pas accès à l'éducation. L'ONU estime le chiffre à 57 millions aujourd'hui.

Autre résultat favorable, la lutte contre les maladies. Selon l'OMS, la poliomyélite serait quasiment éradiquée passant de 350 000 cas en 1988 à 359 cas en 2014. Grâce à la vaccination anti-rougeole, les décès par cette maladie ont chuté de 79% entre 200 et 2014, soit 17 millions de morts évitées? Même le paludisme recule, entre 2000 et 2015, la mortalité chute de 60%. Ce n'est pas assez évidemment : à l'échelle mondiale, 3,2 milliards d'habitants sont exposés au risque du paludisme, soit en 2015, 214 millions de malades et 438 000 décédés. L'an dernier, tout le monde craignait une nouvelle pandémie, la « fièvre d'Ebola » : elle ne sait pas produite et un vaccin a été testé avec succès, au printemps en Guinée.

En revanche, les allergies sont en forte hausse : 50% de la population mondiale sera allergique en 2050, selon l'OMS : l'évolution spectaculaire touche principalement les allergies respiratoires liées à la pollution et au réchauffement de l'air.

LA TEMPERATURE MONTE

Côté climat justement, 2015 a été l'année la plus chaude de notre histoire connue. Coup de chaud sur la planète, le thermomètre s'est affolé dans plusieurs endroits du monde : le record de chaleur du Venezuela a été battu avec 43,6 °C. Le record du Ghana avec 43,1 °C. Celui de l'Allemagne a été battu à 40,3 °C, celui de la Suisse à 39,7 °C ; Hong-Kong avec 37,9°C? Au total, l'année la plus chaude enregistre un degré presque de plus (0,9°) que la moyenne des températures enregistrées au XXème siècle. « Un degré, bof ! » diront certains, ravis de pouvoir diner en terrasse en plein mois de décembre à Paris. Pour bien percevoir le risque d'augmentation, il faut utiliser une comparaison que tout le monde comprendra. La température moyenne de la planète (15°) et celle propre corps.

Vous prenez votre propre température le 1er janvier 2000, vous lisez 37° : en pleine forme ! Vous refaites l'opération en ce dernier jour de l'an 2015 : 38°. Aïe ! Et la COP 21, qui vient de se réunir à Paris justement, va tenter de limiter l'augmentation à venir de+1,5° (en comparaison, 39,5° pour votre corps) ; en réalité, la CP espère, si possible + 2°, soit un thermomètre perso à 40° ! Et si on n'avait rien décidé à Paris, c'est +3,5° supplémentaires que la température de la planète enregistrerait en 2030. Vous, à 41,5°, vous êtes mal barré !

La réussite de la COP 21 est un beau succès de cette année. Peut être que, dans quelques siècles, l'année2015 restera dans les mémoires à ce propos. Après tout, il semble bien, pour la 1ère fois dans l'histoire humaine, que la totalité des états ont pris conscience du danger qui menace l'humanité, et ont adopté une série de décisions communes. Bien sûr, il existe toujours un grand écart entre les bonnes résolutions et leur exécution. Car les solutions sont loin d'être évidentes surtout si la population atteint comme prévu, les 10 milliards d'habitants en 2050. Ces derniers vont manger, travailler, voyager, se divertir (j'espère), bref, vivre et donc consommer plus. « Les pays émergents, tout comme les Brics ne vont pas pouvoir, d'un claquement de doigt, note Alexandre de Valle, abandonner le pétrole, le gaz et le charbon ». Certes, il ya bien les énergies alternatives pour réduire la consommation des énergies fossiles et le nucléaire n'en est qu'à sa préhistoire. De nouvelles inventions vont apparaitre, certainement dans des labos des pays les plus développés. Mais dans la cadre de notre bonne vieille économie capitaliste où c'est la sphère financière qui a pris le pouvoir, il y a fort à parier que les entreprises novatrices vendront très cher leurs brevets. Les pays les plus pauvres auront-ils les moyens de les acheter ? Ou alors, ça sera « à crédit » et on n'en connait pas le taux d'intérêt, ni la durée?

LES RISQUES D'AFFRONTEMENT AUSSI?

Car en ce début du XXIème siècle, (on n'ose plus dire la « lutte des classes », trop ringard et un peu malpoli), les « affrontements très rugueux d'intérêts privés et publics » sont la norme au niveau international. La spéculation mondiale des banques et des compagnies financières ont amené à l'énorme crise de 2008 / 2010. Les pouvoirs publics disent en général « qu'on s'en est sorti ». En réalité, l'énorme dette privée à miraculeusement été transformée en multiples dettes publiques. Les banques sont sauvées, les états sont ruinés. L'économie de l'Europe flirte depuis plusieurs années avec une croissance nulle. Les Etats-Unis s'en sorte un petit mieux, notamment parce que le pays dispose du dollar, quasiment la seule monnaie réellement internationale. La croissance du reste de la planète a marqué le pas cette année. En matière d'affrontement économique, la seule règle qui prévaut jusque là, c'est « chacun pour soi ». L'unanime COP 21 ouvre-telle la voie à davantage de coopération internationale ? Les premiers mois de 2016 en donneront peut-être quelques signes d'espérance.

En tous cas, la résolution des conflits d'intérêts par la voie armée reste un must mondial : Congo, Somalie, Nigéria, Mali, Centrafrique, Syrie, Irak, Israël-Palestine, Ukraine... « La fin de la guerre froide n'a pas laissé la place à un monde de paix, notent Bertrand Badie et Dominique Vidal, les deux auteurs de « L'état du monde 2015 », deux décennies plus tard, plusieurs dizaines de conflits armés ensanglantent la planète ». Si elles ressurgissent dans certaines parties de l'Europe, la plupart des guerres se déroulent aujourd'hui dans les pays du Sud. Et leur nature a profondément changé. Seule une minorité d'entre elles peuvent être décrites comme des conflits interétatiques. Les autres mettent aux prises un État, souvent déliquescent, et une ou plusieurs rébellions, avec pour enjeu le contrôle du pouvoir, du territoire ou des ressources naturelles. « Les divisions ethniques et religieuses alimentent ces nouveaux conflits. Mais ils s'enracinent surtout dans les conséquences de la mondialisation, qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres » notent les deux auteurs.

ET L'EUROPE ?

L'Europe voit les guerres se rapprocher de ses frontières, tout d'abord avec l'arrivée des réfugies qui fuient de nombreux conflits. L'Allemagne à elle seule enregistre un million de migrants. La guerre réapparait également au sein même de l'Europe : le 11 février dernier, à Minsk, les dirigeants d'Ukraine, de Russie, de France et d'Allemagne ont signé un traité mais qui n'entérine pas de solution définitive au conflit ukrainien. Des menaces apparaissent également dans les Balkans où le rêve d'une « Grande Albanie » risque de relancer de nombreux conflits ethniques dans cette zone explosive.

L'UE à l'économie fort atone, attend également avec inquiétude les résultats d'un vote anglais : David Cameron, le premier ministre britannique, souhaite que le référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, qu'il avait promis d'ici la fin 2017, se tienne en juin 2016. Les derniers sondages donnent la sortie légèrement majoritaire. Bon, si les Anglais s'en vont, il n'y a plus d'Union européenne.

Ultime petite consolation pour le chroniqueur de Paris, dans cette série d'informations méli-mélo, mi-figue, mi-raisin, sur l'état de la planète : la banque d'investissement Natixis, info reprise par Forbes, donne le français comme la langue la plus parlée dans le monde en 2050 devant le chinois, l'anglais, l'espagnol et l'arabe ! Les 250 millions de francophones aujourd'hui, soit 3% de la population mondiale deviennent 750 millions d'ici 35 ans, soit 8% des habitants de la Terre, en raison de la croissance exponentielle des populations francophones en Afrique subsaharienne. On-a-gagné !

Très bonne et heureuse année à toutes et à tous, dans toutes les langues?

(seconde partie : les attentes 2016)