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SwissLeaks : la trahison du code d'honneur !

par Abdellatif Bousenane

Le journal français le Monde a dévoilé ces derniers jours un nouveau pan du scandale SwissLeaks. À savoir une liste de pays et personnalités concernés par le transfère illégal de plus de 180 milliards d'euro dans les comptes genevois de l'HSBC. Il y a, en tout, plus de 130.000 personnes physiques ou morales dans le monde dont 44 Algériens.

Les révélations sur l'existence de comptes bancaires cachés qui bénéficient d'un secret bancaire aussi énigmatique que paradoxal dans un pays démocratique dont la transparence et la morale sont deux conditions sine qua non à la bonne gouvernance, est en effet un révélateur significatif des limites frappantes d'un modèle new-libéral imposé pratiquement à tous les pays du monde.

Première limite : dans les pays dits démocratiques, les pays qui forment la civilisation dominante actuelle, il y a des lois et des règles très rigoureuses en la matière puisque le fisc est l'unique denier de l'État. Pour détourner cette contrainte majeure, les gardiens du temple libéral et au nom, justement, de la liberté de ne pas payer ses impôts, ils ont pu trouver une ruse presque parfaite qui prend l'allure d'une échappatoire, là où on peut transgresser ses propres lois et règles. Les paradis fiscaux, un nominatif qui fait rêver, il nous renvoie en fait l'image des îles paradisiaques avec leurs mers d'eau turquoise transparente et le soleil à longueur d'année. Malheureusement, cette image très séduisante n'est pas la réalité, il s'agit bien d'une configuration beaucoup plus ténébreuse, des pays dont les banques ont le droit d'encaisser l'argent d'où qu'il vient quitte à être sale. Là où l'État n'effectue aucun contrôle fiscal sur ces fortunes souvent d'origines très douteuses. Néanmoins, le problème c'est qu'on ne se limite guère comme jadis aux fraudes fiscales, maintenant on a créé des sociétés écrans, autrement dit, des entreprises fictives créées pour dissimuler les transactions financières des sociétés économiques. Par exemple, il y a de grandes sociétés multinationales qui ne paient aucun impôt dans leurs pays de naissance sous prétexte d'optimisation fiscale ! Alors qu'un simple ouvrier, employé ou même petit patron, paient de 30 à 40 % de leurs bénéfices à l'État entre cotisation sociale et impôts. Là, on n'est même pas dans le registre des inégalités et de l'injustice sociale, ce nouveau modèle a dépassé largement les règles et codes du capitalisme/libéralisme lui même. Cela discrédite certainement l'action des gouverneurs de ces pays, car il les rend complètement démunis face à la superpuissance de ces groupes qui deviennent au fur et à mesure les vrais décideurs. Ce qui peut provoquer un déséquilibre sociopolitique très dangereux dans l'avenir, y compris dans les pays qui renvoient une allusion de solidité «éternelle».

Deuxième limite : justement, pour ce qui est des règles et lois, ce « modèle » très peu réglementé, s'appuie sur des organismes particulièrement financiers qui n'obéissent à aucune loi, car ils fonctionnent dans l'obscurité totale, et donc les soupçons sur l'utilisation des méthodes occultes, conflit d'intérêts, biais d'influences, corruption, blanchiment d'argent, trafic d'armes et narcotrafic et tous les crimes économiques qu'on peut imaginer, sont tellement légitimes, voire très préconisés. À titre d'exemple, dans une conversation téléphonique divulguée par les médias, un ancien ministre des Finances français cherchait où il peut « planquer » son argent en toute sécurité. Dans ce cas de figure, la question principale n'est pas l'évasion fiscale du premier responsable du fisc français, mais d'où parvenaient ces sommes d'argents d'un haut fonctionnaire de l'État ?

Troisième limite: contrairement aux stéréotypes véhiculés par les médias internationaux, l'intensité des capitaux transférés illégalement à ces banques, selon ce même rapport, est beaucoup plus élevée dans les pays dits démocratiques, les pays du Nord civilisé que les pays du Tiers-monde, les pays pauvres du Sud. On peut effectivement observer dès lors qu'il existe sur cette « liste de la honte » 440 personnes associées à l'Algérie, ce qui nous intéresse particulièrement, dont 10% de nationalité algérienne (44 personnes) avec une somme totale de 671 millions d'euro transférée entre 1970 et 2006. Sans aucun cynisme de notre part ou une volonté de vouloir minimiser l'ampleur de ce scandale, il faut avouer que sur 36 ans, ce chiffre est tout de même peu signifiant, en proportion à la richesse de notre pays ( PIB, réserves de changes...etc.) et en comparaison avec d'autres pays beaucoup moins riches et qui sont mieux classés dans ce tableau de la fraude. Toutefois, la justice algérienne est appelée à ouvrir une information judiciaire car ces transferts sont strictement interdits dans la loi du pays. On peut s'interroger en revanche sur l'existence d'autres comptes dans d'autres banques et d'autre pays ! Certainement, mais on a là un aperçu et un échantillon très représentatif qui nous donne une idée assez claire sur l'échelle de grandeur de ce phénomène dans tous les pays du monde.

Ainsi donc, on peut conclure sans aucune hésitation que ces fléaux sont très liés aux pays dominants, ce qui rend le discours moralisateur, qui ressemble beaucoup à l'argument principal de la colonisation (civiliser les indigènes) et prétend se soucier de la transparence, la démocratie et la bonne gouvernance des pays du Sud, beaucoup moins crédible. Il se heurte fortement en fait à l'épreuve du terrain de la lutte contre la corruption et tous ces crimes économiques. Cette réfutation nous révèle également la grossièreté de l'argument du droit d'ingérence selon lequel les pays puissants s'ingèrent dans les affaires des pays pauvres pour leur «apprendre» et/ou leur imposer la bonne gouvernance, la démocratie et la transparence dans la gestion de leurs affaires !

En vantant les bienfaits de ce système libéral, la démocratie occidentale est bien embarrassée par ces scandales à répétition. Parce qu'en trahissant son propre code d'honneur et malgré les crises graves successives qui ont secoué le « monde libre », le capitalisme est en train de sombrer dans un aveuglement perceptible. Il est victime effectivement de son propre égoïsme et prisonnier de son arrogance. Le grand capital veut imposer ainsi un ordre établi très strict au reste du monde mais en suivant lui même une démarche anarchique. Cette contradiction est potentiellement génératrice de chaos qui ne sera pas forcement créateur !