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Sanguine fiction !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

La Mission. Roman 2014. Roman de Mohamed Benchicou. Koukou Editions, 140 pages, 500 dinars, Alger 2014

Un reportage ou enquête-fiction bien plus qu'un roman. Encore que le roman de la vie, simplement, franchement et sincèrement écrit, emprunte à la fiction bien plus de «vérités» qu'on ne le croit. C'est pour cela que l'auteur, journaliste expérimenté, qui en a vu de toutes les couleurs et fin analyste, a prévenu dès le départ : «Les faits historiques racontés dans ce roman sont réels (les événements de Tiguentourine). Quelques personnages aussi. Le reste a dû se passer ainsi qu'il est décrit ici». Fin de citation. On a tout compris d'un ouvrage qui aurait pu avoir, en fait, pour titre «Le complot» ? contre l'économie du pays !

L'histoire est toute simple, mélangeant stratégies d'Etat, amour, argent et espionnage? L'attaque par des terroristes venus «d'ailleurs», n'est, en fait, qu'une affaire de fric, de luttes d'influence, de rivalités de pouvoirs, «de toutes ces choses que l'on ne voit pas, dont on ne nous parle pas mais qui président à tout. Même au quatrième mandat du président Bouteflika ! ». Voilà, c'est tout dit. On a (presque) tout compris. Comme le héros de l'histoire : un universitaire, spécialiste en stratégies internationales, «précieux auxiliaire diplomatique pour Downing Street», chargé par les services de son pays d'aller étudier la «chose». Il en revient, cette-fois-ci, si totalement perturbé par ce qu'il y découvre comme «conspirations» qu'il abandonne le métier pour se plonger dans l'anonymat, l'amour et la bière. C'est plus sain. C'est plus sûr.

Avis : Petit livre, lecture facile? et immense thèse.

Extraits : «Toutes les fois que l'on fait le portrait d'un homme ridicule, il se trouve toujours quelqu'un qui lui ressemble (p 20), «Gouverner chez nous, c'est faire des affaires et vice-versa» (p 21), «La vieille oligarchie s'était fait investir par la force des baïonnettes à l'indépendance de ce pays et, depuis, sous l'effet de l'âge sans doute, a oublié de rendre le pouvoir au peuple» (p 40), «En politique, plus tu es faible et plus tu es intéressant. Si, providentiellement, tu es faible et riche, tu deviens alors l'ami de tous» (p 68), «Tout l'art de la diplomatie est de savoir partager les illusions de vos partenaires » (p 70), «On disait que le pétrole profitait aux Français. Aujourd'hui on est indépendant. On ne sait toujours pas à qui profite le pétrole» (p119), «Nous ne savons toujours pas si l'Etat de droit consiste à protéger la maison des voleurs ou protéger les voleurs qui sont dans la maison» (p. 123), «Si les vieux perdent la mémoire des choses qui semblent essentielles aux esprits supérieurs, ils gardent toujours en tête celle des choses futiles qui leur restent inoubliables et dont ils savent qu'elles dérangent les autres» (p 133)

Qu'attendent les singes. Roman de Yasmina Khadra. Casbah Editions, 355 pages, 980 dinars, Alger 2014

Un roman-fiction ? Pas si sûr, en dehors de son écriture. En vous forçant pour sortir de votre état de «singe», vous arriverez très facilement à vous plonger dans la «réalité» algéro-khadréenne. Noir, c'est noir, il n'y a (presque) aucun espoir. La capitale - heureusement que le pays profond, celui des humbles, est épargné? ainsi que (bien sûr) l'armée - est un immense et insondable dépotoir sentant très, très mauvais, sur laquelle règne en maître absolu,? devinez? on vous le donne en mille, un certain? «rboba», pluriel de «rab» : Juste avant les élections présidentielles d'avril 2014, venant d'un gros lièvre (?) (du moins le croit-il), futur candidat à la présidentielle, on sait rapidement où vos méninges de chimpanzé vont puiser leurs conclusions.

Avis : L'acheter, pourquoi pas ? Se lit très rapidement. De l'action, du suspens, du cul, du sang. Du Y. Khadra, première génération.

Extraits : «Ah ! Alger? Blanche comme un passage à vide» (p14), «En Algérie, les génies ne brillent pas, ils brûlent» (p168), «La justice porte un bandeau pour cacher son strabisme. Elle ne regardera jamais du côté des faibles «(p169), «Qu'attendent les singes pour devenir des hommes ? Ils le voudraient qu'ils ne le pourraient pas ?C'est dans la nature des choses? On n'exige pas d'un dépotoir qu'il sente bon» (p325)

Un homme du peuple. De la Kabylie à Paris, Moscou et Bakou. Parcours d'un militant progressiste. Mémoires de Youcef Khider Louelh. El Dar El Othmania Edition et Distribution. 285 pages, Alger 2012

C'est, je crois, le premier ouvrage, écrit par un militant, qui décrit, de l'intérieur, une partie des activités de l'ancien parti politique de gauche, le PAGS ( créé le 26 janvier 1966), l'héritier du Parti communiste algérien, celui-ci entré en clandestinité à partir du coup d'Etat du 19 juin 1965 et qui n'en est sorti qu'avec l'ouverture du champ politique après octobre 88. Des noms (quelques uns, les plus connus? et, alors, les plus recherchés par la police politique de l'époque), de lieux (en règle générale, en Algérie, des caches tout aussi anonymes), de la solidarité? et, aussi, des problèmes internes, parfois liés aux humeurs d'individus (un stress compréhensible) ou à des orientations trop tranchées (la sécurité avant tout !).

Tout ceci, à travers, les (més-) aventures racontées par un homme au service du parti durant de longues années. Pas seulement dans son pays natal, l'Algérie mais aussi, dans les pays d'accueil (l'Urss, la France?). Heureusement, tout est bien qui finit bien, et l'auteur, devenu journaliste, puis directeur de cabinet d'un maire progressiste de la région parisienne, coule des jours paisibles dans sa Kabylie natale. Une autre vie. Et, aussi, le temps d'écrire? «en lettres minuscules». Pour, dit-il, «sauver de l'oubli des particules de vie (?.) .Une évocation, un témoignage, vus et vécus d'un strapontin, par la petite porte, une porte réservée aux acteurs de second plan? Pour compléter un pan de l'Histoire récente, notamment de l'Algérie»

Avis : L'acheter, c'est bien. Le lire, c'est mieux. C'est, aussi, encourager les Algériens, tous, de tous les bords, à «coucher» sur papier (ou à les enregistrer) leurs souvenirs, de tout ou partie(s) de leur vie. La Mémoire d'une nation, c'est aussi ça !

Extraits : «Tout était démesuré dans la toute jeune République Algérienne Démocratique et Populaire. Privé de tout, une fois l'indépendance acquise, le peuple algérien voulait rattraper, vite, le temps perdu, accéder à tout et tout inventer» (p 144), «Un Directeur de cabinet doit tout voir, tout entendre, tout savoir, mais se taire, rester en retrait et, le cas échéant, être en première ligne pour essuyer les plâtres» (p 255)