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Le double péril d'un pèlerinage à haut risque

par Abderrezak Bouchama

Dans une semaine débutera un pèlerinage sur lequel plane la menace d'un virus jusque-là inconnu de l'homme. Ce virus de la famille des coronavirus est très proche de ceux retrouvés chez la chauve-souris. Ce virus provoque une infection respiratoire dont les manifestations varient de la simple toux et de la fièvre jusqu'à la pneumonie mortelle. Depuis sa découverte chez un homme de 60 ans à Djeddah en juin 2012, 135 personnes ont été infectées, dont 58 en sont mortes. La majorité des cas (117) ont été observés en Arabie Saoudite, et le reste en Jordanie, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis, ce qui a conduit à sa dénomination de MERS CoV infection (Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus infection). Bien que la transmission interhumaine soit établie, les autres modes de transmission, particulièrement à partir d'animaux domestiques ou sauvages, restent inconnus. Parmi les animaux testés jusque-là, des techniques indirectes basées sur la mesure d'anticorps dirigés contre ce virus, seuls les chameaux semblent avoir été au contact de ce virus. Mais cela reste insuffisant à expliquer comment ce virus est arrivé, probablement de la chauve-souris jusqu'à l'homme, et pourquoi a-t-il émergé en Arabie Saoudite ? Les médicaments antiviraux disponibles ne sont pas efficaces contre ce virus.

C'est dans ce contexte lourd d'une menace, encore mal cernée, que plus de 2 millions de pèlerins dont des milliers de nos compatriotes commencent à débarquer en Arabie Saoudite. Les autorités sanitaires de ce pays sont en alerte maximum et le reste du monde, représenté par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), retient son souffle. En 2003, L'OMS avait lancé une alerte mondiale pour un autre Coronavirus apparue à Hong Kong et provoquant un Syndrome Aigu Respiratoire Sévère ou SRAS qui s'était propagé rapidement dans plus de 20 pays, infectant des milliers de personnes et causant la mort de 800 d'entre elles. Cependant, Il reste beaucoup d'éléments inconnus à propos de ce virus, qui ne permet pas à cette vénérable institution au stade actuel de lancer une alerte similaire. Mais il ne faut pas être trompé par ce faux calme, l'OMS conseille une extrême vigilance et la mise en place d'un suivi rigoureux des pèlerins à leur retour au pays d'origine, car le véritable enjeu est là. Les études épidémiologiques récentes ne semblent pas indiquer que le coronavirus soit aussi contagieux que les virus de la grippe, comme celui de la fameuse grippe espagnole qui reste en ce domaine la référence car elle a tué 40 millions de personnes en 1918. Cependant, le coronavirus se transmet par voie aérienne entre personnes mises en contact direct, et dans le cas précis du pèlerinage, ils seront 2 millions dans une totale promiscuité. Les autorités sanitaires saoudiennes ont déployées des moyens énormes en hommes et matériels pour détecter très rapidement les personnes infectées par le virus et éviter sa propagation. Ils encouragent tous les pèlerins à porter des masques et conseillent aux personnes âgées ou malades et aux femmes enceintes de rester chez elles. Si ces actions de santé publique échouent, un grand nombre de pèlerins finira par être contaminé et, éventuellement, exportera le virus à travers les quatre coins du monde, démultipliant ainsi sa dissémination.

De plus, la détection des porteurs du virus, surtout quand ils sont sains et sans aucune manifestation clinique, sera quasiment impossible. De la même manière, la durée pendant laquelle un porteur sain restera contagieux pour les autres n'est pas connue et si, par malheur elle s'avère longue, cela constituera un facteur multiplicateur supplémentaire. Cette situation souligne que ce virus, mortel surtout pour certaines catégories de populations (personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques, telles les atteintes pulmonaires, cardiaques, le diabète) est à prendre avec beaucoup de sérieux mais sans panique. Notre pays a déjà pris des mesures en ce sens, en distribuant suffisamment de masques à nos pèlerins. C'est une première ligne de défense mais à condition qu'elle soit effectivement et rigoureusement respectée, par un usage permanent. Il y a également plusieurs autres mesures de santé publique recommandées par l'OMS (lien ci-dessous) et auxquelles les services compétents de notre pays ont très certainement adhéré.

Mais les mesures qui semblent cruciales à prendre, sont celles d'une action de santé publique globale et de grande envergure pour un accueil et un suivi rigoureux de nos pèlerins à leur retour, afin d'éviter un risque épidémique bien réel.