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Gardez vos oraisons funèbres, M'hand n'en veut pas !

par Cherif Ali

Toutes les morts sont absurdes, et comme l'écrivit un jour, l'immense écrivain algérien Kateb Yacine : «toutes les peines sont capitales !».

M'hand Kasmi est mort. Il a été enterré dans ce beau cimetière d'Aïn. Benian, où repose, depuis quelques années déjà, Hachemi Hamdikene, son copain d'enfance et de surcroit, énarque, comme lui.

Hachemi mon ami, mon frère, mon maître, paix à ton âme.

Tu étais mon responsable hiérarchique et tu m'avais, à l'époque, demandé de te remplacer, pratiquement, au pied levé, dans cette commission interministérielle chargée de l'emploi des étrangers, dont tu étais le membre permanent, représentant notre ministère d'alors.

Kasmi M'hand, était la cheville ouvrière, que dis-je, l'homme orchestre de cette commission où ne siégeaient que des pointures.

C'était dans les années 1980, c'est là où j'ai fait sa connaissance et où, j'ai la faiblesse de le croire, on s'est appréciés. Depuis, je l'ai plus que croisé, et bien évidemment, j'ai suivi son parcours, pour le moins chaotique, par devers lui, bien entendu.

Ceci, pour ceux, sceptiques, qui douteraient de ma relation avec lui, pensant peut-être, que M'hand ne fréquentait que les énarques où le microcosme des Drag, SG ou autres walis. Ils se trompent bien sûr.

A bien des égards, comme disait quelqu'un, qui l'a plus que connu et écrit sur lui, ces derniers jours, un papier commémoratif, " c'est moins une maladie fulgurante qui l'a emporté que le sort, globalement, réservé à la génération des cadres, née dans les années cinquante, élevée dans l'amour de la patrie, disposant d'une culture solide, qui commence à s'éteindre, sans qu'on lui ait jamais donné la chance de prendre, véritablement, le relais ".

M'hand était, autant, à l'aise avec les intellectuels, les artistes, les journalistes que les petites gens de l'Algérie " d'en bas ", comme l'affirmait un de ses amis dans El-Watan du 25 août dernier.

Du jour au lendemain, il se retrouva, débarqué de son poste.

Ecoutons-le parler, à titre posthume, de sa carrière, ou plutôt, de sa mésaventure avec l'administration (1) :

" Qu'il me soit permis de faire une brève digression pour résumer en quelques lignes la carrière qui fut la mienne, en tant que Drag du gouvernorat d'Alger, capitale du pays. Quand je reçus ma feuille de route portant ma mutation du poste de Drag de la wilaya de Bouira à celui de la wilaya d'Alger en avril 1995, je pris un intense plaisir à savourer pendant quelque temps, le bonheur de quitter l'enfer d'une province livrée pieds et poings liés aux hordes terroristes, pour les " délices " au goût encore amer d'une capitale, qui gardait, malgré de terribles dévastations, le privilège de se faire encore adorer. A Alger, capitale de destin national, je fus installé de force et en famille à l'hôtel El Djazaïr, pendant neuf longs mois, car la personne du Drag d'Alger avait au front un signe indien que la conjoncture funeste de l'époque avait dessiné : un tatouage en forme de cible pour la balle programmée par les kamikazes et autres snipers de la bête immonde tapie aux coins de chaque rue, de chaque espace sombre. Je n'ai jamais demandé ce poste, ni même rêvé un jour de l'occuper. Il me fut imposé. Ce ne fut pas le paradis, mais l'antichambre d'un nouvel enfer, un purgatoire, juste un peu plus coloré, et il faut l'avouer et à priori, moins périlleux. Après cinq longues années passées à la wilaya d'Alger, transformée en 1997 en provisoire et passager gouvernorat du Grand Alger par l'arrivée de Cherif Rahmani, après plus de mille jours et peut-être autant de nuits passées à attendre l'origine de la tuile qui allait enterrer ma carrière ou comme certains laudateurs me le susurraient dans le coin de l'oreille, de passer wali, je fus copieusement servi ! Pas de poste, ni de SG, ni de wali, mais walou?la trappe au lieu du satrape. On me donna moins d'une heure pour quitter les lieux, comme un malfrat, un voleur. Voila comment s'acheva, sur les quais d'un train, en partance pour nulle part, ma carrière de Drag d'une wilaya, pourtant capitale. J'étais à quelques encablures, à ce moment-là, d'une retraite de cadre supérieur ".

A compter de ce jour, M'hand se retrouva sans emploi, sans ressources, et le vide sidéral s'installa autour de lui. C'est la rançon d'ailleurs, de tout cadre écarté et comme on dit : malheur aux vaincus, plus d'amis, plus de soutien et le téléphone s'inscrit, bien sûr, aux abonnés absents.

Il a, pourtant, tenté l'aventure politique, se présentant à la députation en 2012, imbu de ses convictions de militant de gauche. Il fut battu par les candidats de la " Chkara " et perdit, ainsi, les quelques illusions qui lui restaient, même si au fond, il persistait à croire que sa place était dans l'administration, pourtant si ingrate pour lui et les cadres valeureux, mais tellement généreuse pour les fils de, la sœur de, etc?

Contre mauvaise fortune, il fit pourtant bon cœur et se mit à écrire dans la presse, régalant les lecteurs, en général, et les spécialistes, en particulier, de points de vue aussi pertinents qu'utiles.

Il commit aussi, pour notre plus grand plaisir, quelques pamphlets acerbes qui ont fait date.

Il administra à ses détracteurs une grande leçon de réalisme et leur apporta la preuve, s'il en était, qu'il existait une vie après l'administration ; il a quelque part résolu, par lui-même, l'équation " Faut-il partir pour réussir ? " (2)

Aujourd'hui qu'il est mort de sa belle mort, ne voilà-t-il pas que des amis à lui, de ceux qui l'ont bien connu, tentent d'honorer sa mémoire, par des écrits chargés d'émotion.

Ils sont dans leur rôle. Je dirais même plus, ils sont légitimes et ils font bien d'en parler.

Qu'un ministre de la République (3) se fende, également, d'un billet commémoratif concernant M'hand Kasmi, parce qu'il l'a eu sous ses ordres et qu'il a eu à apprécier ses qualités, oui, peut-être ?

Que le même ministre se plaît à relever ses qualités professionnelles, " singulières ", et ses qualités humaines " qui n'étaient pas des traits de caractère ordinaires, mais une posture consciemment et consciencieusement assumée ", voilà qui étonne !

Et ce qui détonne, est contenu dans cette autre affirmation de ce même ministre qui dit ceci : " Il était, pour moi, comme une sorte de référence et d'exemple ".

Excusez-moi, excellence, mais les bras m'en tombent !

Sachez, pour votre gouverne, que Kasmi M'hand est resté persuadé qu'on le rappellerait, comme l'a affirmé un de ses amis qui lui a rendu hommage dernièrement. Il lui disait, d'ailleurs, "qu'un quelqu'un ", comme on dit dans l'Algérie " d'en bas ", se souviendrait de sa compétence et réparerait le déni qui a été commis à son encontre.

Ministre de l'environnement, vous avez, pourtant, à l'instar d'autres pontes du régime qu'il a connu à l'ENA, toute latitude, pour lui faire appel et l'intégrer dans votre staff, car que reprochait-on, en fait, à Kasmi M'hand ? D'avoir pillé Sonatrach, non bien sûr ! D'avoir communiqué avec l'ennemi ? Non plus! D'avoir trucidé, délibérément, quelqu'un ? Que nenni !

Il a, en fait, en tout et pour tout, pendant les années de braise, signé une autorisation de réunion, parmi les centaines qu'il a eu à délivrer, pour se retrouver dans une plongée aux abysses.

Que dire, aussi, du ministre de l'environnement actuel, qui a fait " l'économie " de M'hand Kasmi, lui préférant le " tout venant ".

Ce dernier, s'est pourtant affirmé comme une valeur sûre, un spécialiste du développement durable et de l'éco-tourisme, à travers, notamment, le combat qu'il a mené dans sa bonne ville de Toudja, valorisant ses atouts naturels, son patrimoine archéologique et son musée de l'eau.

Alors, à quoi ça sert de mettre en avant, maintenant qu'il est mort, son professionnalisme, son humanisme, et tous les mots en " isme " dont on veut l'affubler, post mortem !

Et puis, nous tous, écoutons-le encore une fois nous dire ceci, à travers la contribution qu'il avait signée, dans Le Soir d'Algérie, et qu'il avait intitulée -Retour sur le suicide du Drag de Mascara- : " ton vrai testament, symbolique, qui est aussi le notre désormais, celui de tous les cadres humiliés, interdits professionnels, pour refus d'obéissance à des codes maffieux qui commandent à l'ouverture des portes de certains bureaux et alcôves du pouvoir de nomination et du pouvoir tout court, est le suivant : je vous le dis , ne me pleurez pas parce qu'au moment où un homme prend la décision finale et irréversible de mettre fin à ses jours, c'est qu'il est déjà mort ; je n'ai pour ma part pas accepter la fatalité de me cogner, en vain, la tête contre le mur d'un destin, dont ma raison refuse la raison à en perdre?la vie ! ".

Alors, ministres, responsables de tout bord, honorables membres de " l'ADENA ", gardez vos oraisons funèbres, M'hand n'en veut pas !

Car comme on dit dans le pays profond et plus particulièrement à Alger : "ki kan haï ch'tak thamra, ki mat aalqolo?Tolga ! "

Alors M'hand, fais un bon voyage et va vite rejoindre Hamdikene car tu auras des choses à lui raconter et tu peux lui dire déjà : " l'administration? m'a tuer " et lui te rétorquera, sûrement, " moi, également !" et il ajoutera " regarde M'hand, comme la mer est belle !"

Notes de lecture :

(1) Le Soir d'Algérie, contribution de M'hand Kasmi intitulée "Retour sur le suicide

du Drag de Mascara ".

(2) Le quotidien d'Oran du 16/5/13, contribution de Cherif Ali intitulée " Faut-il partir pour réussir ? ".

(3) Liberté du 27/8/13, hommage à M'hand Kasmi, par Cherif Rahmani, ministre de l'industrie, de la PME et de la Promotion de l'Investissement.