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Ramadhan 2013 : mois de tous les défis

par Cherif Ali

Commençons par décrire la célèbre expérience du psychologue Stanley Milgram, dont la première version s'est tenue dans un laboratoire de l'Université de Yale. Milgram avait monté cette expérience pour étudier les mécanismes qui amènent des personnes à en torturer d'autres. Il voulait également déterminer s'ils le faisaient en raison de spécificités individuelles ou en raison d'un contexte particulier.

Le compte à rebours a déjà commencé pour le mois de ramadhan 2013. Tombant cette année en plein début de la saison estivale, les journées de jeûne s'allongeront à leur maximum pour atteindre 15 heures, selon ce qu'ont calculé des oulémas de la Mecque. Ce seront les journées d'abstinences les plus longues et ce, depuis plus de 33 ans. En plus de ce record, ou ce qui peut être considéré comme tel, le ramadhan s'étalerait, semble-t-il, sur cinq vendredi, ce qui correspondrait à un autre fait, plus ou moins, inédit.

Les algériens, globalement, accueillent ce mois de jeûne avec beaucoup de ferveur, dans ce qu'il constitue comme spiritualité mais aussi avec quelques craintes dans ce qu'il impacte sur leur quotidien et leur habitudes.

Cette année, comme l'année précédente, les algériens vont devoir jeûner en plein été, période qui connaitra, selon les spécialistes de la météo, des pics de chaleur de plus de 40 degrés Celsius. Les climatiseurs seront mis à rude épreuve et ces messieurs de Sonelgaz devront veiller au grain. Beaucoup d'entre -nous verront passer sous leurs yeux, la période estivale, sans goûter ou profiter des plaisirs de la mer. Mais cette carence, sera quand même remplacée par un surplus gastronomique et des soirées ramdhanesques aussi interminables que préjudiciables, financièrement et au plan de la santé.

Le ramadhan : un défi spirituel : oui, assurément, car c'est le mois où le jeûneur met à l'épreuve l'ensemble de ses sens pour se maitriser, faire preuve de patience, de modestie aussi et s'élever mentalement.

L'acte de jeûner est sensé l'éloigner de toutes les turpitudes et autres égarements d'ici-bas ; le but étant de nettoyer son âme intérieure et de se libérer de toutes les tentations. Le jeûne encourage le sacrifice et l'empathie envers le prochain pour les croyants les moins fortunés et pour les plus nantis, il leur permet de faire preuve de générosité et de multiplier les actions de bienfaisance et de charité.

Dans ce mois, « Laylat-al-Qadr » est considérée comme la nuit la plus sainte de l'année « meilleure que mille mois »; elle est aussi propice aux prières, invocations et autres bonnes actions.

La fête « d'Aïd-El-Fitr » marque la fin du ramadhan et récompense les plus vertueux d'entre les croyants. Voilà donc, très modestement, ce que j'avais à dire, pour le côté spirituel du mois de ramadhan dont les prêcheurs avérés ne manqueront évidement pas de saisir l'opportunité pour nous rappeler, mieux que nuls autres, les immenses vertus de ce mois sacré.

Le ramadhan, un défi personnel.

En revanche qui de nous autres n'a pas eu à déplorer les écarts comportementaux et le changement de ton et d'habitudes des gens, en ce mois précis.

Les algériens de toutes les régions du pays, sont enclins à dépenser spécialement pendant cette période, au-delà de leurs moyens et à stocker toutes sortes de produits en prévision, disent-ils, du ramadhan.Bon an, mal an, il s'ensuit un gâchis incroyable, sans compter les incontournables hausses de l'ensemble des prix.

Le ramadhan fait ressortir les habitudes comportementales négatives, comme celles liées à la frénésie des achats. Un expert les attribue « à des facteurs psychologiques qui incitent les jeûneurs à imiter leurs congénères de façon irréfléchie, indépendamment de leurs moyens ».

Certaines familles acceptent « les règles du jeu » considérant les dépenses, comme incompressibles.

Ce bouleversement du rituel domestique à un coût bien sûr. Il en est de même du rendement collectif, dans les administrations et les entreprises avec le florilège des employés qui somnolent où qui sont peu disposés à accélérer les cadences ; les retards, les absences y compris des responsables, sans parler des visages ternes et de la nervosité à fleur de peau des automobilistes et des piétons également qui complètent le décor de ce mois de ramadhan ou tout le monde est sensé pourtant, faire preuve de discipline et d'endurance.

La baisse de rythme est à observer dans tous les secteurs d'activités ou presque, si l'on exclut les pâtissiers et autres boulangers qui font leur chiffre d'affaires pendant ce mois sans oublier les cafés et autres tripots clandestins où l'on s'adonne à des parties de cartes prohibées qu'interminables.

Questions :

Cette baisse de régime, relève-t-elle d'une compression subjective ?

Y-a-t-il une attitude sociale, un fait accompli qui banalisent et rendent acceptables tous ces comportements pendant ce mois de jeûne, comme le fameux « revenez après le ramadhan ? »

Le mois de ramadhan avec toute sa spiritualité et tous ses bienfaits peut-il être pris comme prétexte pour excuser un quelconque relâchement de l'effort et le ralentissement du pays ?

La privation, l'absence de cigarette ou de café sont-ils des excuses pour lever le pied ? Et la baisse de régime et de l'effort, des futilités à mettre sur le dos du ramadhan ?

Non bien sûr, on peut jeûner et travailler correctement. Tout est question de conviction, de culture, de sens civique mais aussi d'organisation du travail et de modulation horaire convenable.

Conviction, culture, et sens civique sont des notions qui ont été, quelque peu, abordés supra et qui relèvent en définitive de l'éducation de tout un chacun et du sens qu'il veut donner à son jeûne : c'est un défi personnel qui relève de l'intime.

Quant à l'organisation celle concernant notamment l'approvisionnement des marchés des fruits et légumes, de la distribution du couffin du ramadhan, de la sécurité, des loisirs, elle est du ressort du gouvernement.

Le ramadhan : un défi gouvernemental

Déjà, le gouvernement aura à contenir la courbe de l'inflation qui, certes, a entamé une timide baisse, selon les dernières données livrées il y a quelques jours par la Banque d'Algérie, suite à la résorption des excès de liquidités qui alimentaient les poussées inflationnistes.

Sauf qu'aux côtés de l'inflation monétaire, les récurrentes hausses des prix intérieurs sont aussi provoquées par des pratiques spéculatives qui faussent souvent les prévisions officielles.

Force est donc d'admettre ou pour le moins de le supposer, que les incontournables pratiques spéculatives risquent de faire repartir à la hausse, l'inflation.

A moins de surveiller de plus près la mercuriale, ou de prendre en compte la proposition consistant à autoriser les agriculteurs à vendre, directement, leurs produits durant le ramadhan « pour casser les prix que les spéculateurs tentent d'affoler »

Cela va aussi dans le sens de la proposition faite par le ministre de l'intérieur qui devant la prolifération du commerce informel et de la difficulté de l'éradiquer dans tous ses aspects, a évoqué la possibilité d'autoriser l'ouverture « des marchés de solidarité », comme il les a appelés.  Enfin une idée qui participe du bon sens? populaire, suis-je tenté d'ajouter.

Si cela était possible, tant mieux, dans la mesure où les uns et les autres trouveront leurs comptes, marchands comme ménages. Et puis, il ne faut pas oublier que tous ces jeunes ont acquis des camionnettes suite à des crédits « Ansej », qu'ils doivent évidemment rembourser. Comment le pourraient-ils si l'on continue à les empêcher d'exercer le seul métier qui leur assure leur subsistance, dur métier au demeurant qui les oblige à se lever aux aurores, à disputer les fruits et légumes aux revendeurs des marchés de gros, pour les proposer à la ménagère, au pas de sa porte, à des prix abordables.

Laissez ces besogneux vivre, laissez les travailler ! C'est peut-être une manière de reconquérir leur confiance, en ces temps où la fracture sociale va croissant.

En revanche, en matière de contrôle des marchés et des pratiques commerciales, le ministère du commerce joue son joker pendant ce mois de ramadhan :

N'a-t-il pas la responsabilité de veiller à la bonne qualité des produits, de l'affichage des prix et du contrôle de la traçabilité des marchandises ?

N'a-t-il pas aussi, la responsabilité d'interdire la reconversion des commerces de bannir, la pratique d'activités au noir ?

Cette année encore, les citoyens prendront date avec tous ses engagements : « les produits de large consommation seront disponibles et le marché bien approvisionné en produits agricoles frais, en viandes rouges et blanches, en sucre, huile, lait et autres légumes secs », a-t-il affirmé dernièrement.

Au titre du quinquennat, le même ministre a parlé d'un recrutement de 7000 agents supplémentaires (1000 en 2010, 5000 entre 2011 et 2012 et 1000 en 2013). Ceci pour dire que le contrôle sera renforcé, même si tous ces contrôleurs auront fort à faire sur le territoire national, où activent quelques 120 000 commerçants régulièrement inscrits mais aussi plus de 7000 autres, illégaux ceux là. Ce chiffre, croissant, reste alarmant si l'on considère que plus de 50 milliards de dinars échappent au fisc annuellement.

A la décharge du ministre, notons que si ces activités clandestines font florès, c'est parce que les consommateurs ne sont pas regardant en matière de qualité des produits ou de leur nocivité sur leur santé. Dès lors qu'il leur soit proposés à des prix défiant toute concurrence.

La seule chose qui demeure difficile à maitriser reste en définitive, la rationalisation de la consommation du citoyen qui, conjugue le verbe manger à tous les temps.

Il reste qu'à chaque ramadhan, on assure qu'il se déroulera sous les meilleurs auspices et la réalité est autre.

A telle enseigne que même le représentant de l'union générale des commerçants et artisans algériens a avoué son incapacité à freiner l'appétit vorace des spéculateurs et partant, a reconnu l'échec de ses appels et autres campagnes de sensibilisation qu'il a entrepris auprès de ses pairs.

Le ramadhan ne se limite pas, uniquement, à l'abstinence ou au ftor.

Il y a aussi toute cette dimension cultuelle et culturelle que l'Etat doit dispenser aux algériens d'ici et d'ailleurs, ces derniers étant, en cette période précise du calendrier musulman, en parfaite communion avec le pays, sa télévision, sa réalité et son avenir. Tout un programme en quelque sorte, qu'il ne faut pas rater.

Que dire également de la gestion de l'opération «couffin du ramadhan » qui a fait couler beaucoup d'encre, ce qui a conduit madame la ministre de la solidarité à s'en dessaisir, promptement, au profit des walis qui devront gérer au mieux cette action sensible, eu égard à la couche de population visée et au nombre des intervenants et du cafouillage qui s'en suit.

Il y a aussi les restaurants de « La Rahma » qui distribuent des repas gratuits et des paniers alimentaires apportés, à domicile, par des mécènes poussant la charité jusqu'à remettre des enveloppes en liquide aux nécessiteux. L'objectif est noble au demeurant, même si beaucoup d'intervenants dans ce domaine caritatif espèrent un retour sur investissement. Allez savoir.

Le ramadhan a, en définitive ceci de particulier, c'est qu'il engage tout le gouvernement. Et là, l'inter-sectorialité prend toute sa mesure et la responsabilité est collégiale, tant dans l'échec, que dans la réussite. Mois de tous les défis, oui assurément : pour le musulman qui aura à tester sa foi et mettre en pratique les préceptes de l'Islam, loin des «fatwas bidons », d'ici et d'ailleurs. Pour le consommateur qui devra refreiner ses envies d'achat intempestives et préjudiciables sur son budget, sa santé et aussi sur l'économie du pays.

Pour le gouvernement qui aura à mettre en pratique les instructions du président de la République consistant « à prendre en charge, correctement, l'approvisionnement des citoyens et d'assurer leur sécurité et celle de leurs biens ».