Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quelques grammes de finesse dans un monde en manque

par El Yazid Dib

L'infanticide odieux de Constantine, l'alarme des chômeurs d'Ouargla, la guerre malienne à nos portes ; qui dit faire mieux dans le lot du quotidien ? Madame Toumi, nous distille cependant quelques grammes de douceurs dans nos jours consternés.

Parler de la culture dans l'une des wilayas en dehors d'Alger, ne se doit pas d'être une exclusivité. La culture étant par définition une affaire d'ensemble, en somme la wilaya concernée ne serait donc qu'une partie englobée et fondue dans tout le corps culturel national. Donc l'on ne pourra s'empêcher de faire un crochet, quoique épineux vers cette denrée vitale à tous plans. Parfois se contenter d'un encart télévisuel dans sa propre maison, sur son antenne intérieure et sur ses ondes domestiques est ; pense-t-on une fin en soi pour un événement lourdement qualifié d'international. Editer un recueil qui n'arrive pas sur les étals de la haute connexion, ne produit que de l'autosatisfaction. Alors qu'accrocher une banderole en face du cabinet du chef des lieux, croit-on ainsi faire de la bonne culture. Ce n'est qu'un mirage. Alors que parfois, comme ça, sans regarder l'on se happe au coin d'une artère de théâtre semblant abandonné par un air tiré des années x.

 L'on aurait voulu que notre culture ne soit pas uniquement un contenu hybride d'un lot de spectacles à mettre au-dedans d'un amphithéâtre romain ou dans les sièges inoccupés d'une salle presque vide. L'art du spectacle ou le spectacle vivant comme l'on dit, se devait de dépasser le cloisonnement du seul but de divertir. Certes faire oublier la morosité journalière serait entre autres, l'un des soucis de cette production de joie instantanée lors d'une représentation en public. La joie est partagée et trop vite consommée. Le retour au jour difficile et contraignant ferait subitement omettre sur la scène, le spectacle, l'enthousiasme et les décibels.

 D'autres décibels viennent, le jour tarauder les méninges fragilisées du spectateur aventurier d'hier soir. L'ordinaire, les affres du menu du jour en premières loges. Le chômage, la mal vie et les tragédies continuelles feront le reste de l'ultime assaut. Ils sont ainsi, ces événements culturels censés donner une activité apte à faire détourner l'attention d'un public de ses majeures et essentielles préoccupations. La survie ou la résignation.

Pourtant quelquefois, à la surprise de nombreux débranchés maintenant de l'acte culturel, il se peut qu'une surprise puise causer d'innombrables autres surprises. Peu importe la dénomination ou le titre générique, ces journées nationales dédiées à la musique classique internationale organisées récemment à Batna semblent venir démontrer que le défi peut être emportable. Qu'il peut se faire prévaloir pour affirmer que le peuple, une partie au moins continue à savoir se délecter de bons moments. Qui a dit que ce peuple avait perdu toutes ses valeurs ? Qui a dit que l'algérien, ou l'algérienne ne sait plus applaudir un dramaturge ou évaluer un orchestre philarmonique ? L'antagonisme social ne réside pas seulement dans la confrontation de modes de vie. La cécité qui crève tout œil culturel est à chaque fois dressée au nom de préceptes d'interdits ou d'extrapolation. Les années de sang n'ont pu cautériser des pans de société de leur penchant d'amour et de beauté. Il suffit, pour preuve, d'aller voir ce qui s'est produit en ces soirées hivernales d'un mars pluvieux et terriblement froid, dans l'espace confortablement aménagé du théâtre régional de Batna. Que de phalanges innocentes et majestueuses ont pu agacer par archer obéissant les délicates cordes de violons et de violoncelles. Que de mélodies suaves n'ont cessé de rejaillir de leurs profondeurs pour se répandre comme des complaintes sur l'ensemble des tympans dans un strict garde-à-vous.

Nonobstant ceci, à Batna, Timgad continue à être un engouement local. A l'instar d'autres manifestations. L'on n'a pas cessé toutefois de vanter les mérites du secteur en arborant les objectifs du PPMVSA (plan permanent de mise en valeur des sites archéologiques). Nous pensions que les sites ont besoin, au lieu d'un plan, d'abord d'un fonds. Puis de compétences, de communication et de politique de proximité. Batna sait se gérer culturellement. Elle regorge justement de sites, d'espaces et de monuments historiques. Ce plan est apparemment, selon l'exposé formidable du représentant du secteur, apte à prendre en charge la réhabilitation et la mise en valeur de tous ces repères universels. Il vise en premier lieu à permettre la délimitation des périmètres censés contenir des objets matériels à valeur historique ou archéologique, et ce à l'aide d'études géophysiques qui dévoileront ce que dissimule le sous-sol comme richesses du genre. A cet effet plusieurs sites sont concernés. L'on peut citer, Timgad, Tazoult, Imadghacen, Zana et Tobna. Il y est également question d'étendre les faveurs de ce plan aux quatre villages que sont, Bouzina, Taghoust, Amentat et Tighaninin. Il s'agit en fait de sites vivants, autant qu'ils se trouvent au sein d'agglomérations urbaines ou rurales. L'inventaire des biens culturels est aussi considéré comme une tâche à accomplir avec célérité et finesse. 50 ans après son indépendance, l'Algérie est sans savoir ce que recèle son sol et n'arrive pas à compter ses objets?d'art et d'histoire.

Si le siège de la direction de la culture faisait largement défaut à ces services, il y a plus de deux années ; les structures propres aux activités culturelles sont plus loties à Batna qu'ailleurs, voire toutes les wilayas de l'Est du pays. L'IRFM (institut régional de formation musicale) dont le siège est abrité à Batna, rayonne fonctionnellement sur plusieurs wilayas, telle que Sétif, Annaba, Constantine et Biskra. C'est justement grâce à cette entité et son Directeur, droit et jovial comme un russe, un mélomane attitré que les journées susmentionnées ont connu un succès éblouissant. Au même titre que l'Ecole des beaux arts. Heureusement que pour Batna, il existe dans la société dite civile toute une énergie qui tend vers un avenir radieux en termes de production de l'acte culturel. Le journal local Batna-info en est la parfaite illustration. Les artistes, poètes, écrivains, peintres toute discipline confondue sont légions dans cette partie du pays. Ils n'attendent qu'un souffle d'émulation et d'encadrement. Si pour le commun des citoyens, la culture demeure un comportement, l'art une attitude et la science une recherche ; il en est autrement pour les serviteurs du secteur placés à Alger qui, par obligation devaient imaginer, sinon laisser faire et encourager, l'initiative, la parole et l'acte de culture. L'on saura du service compétent que plus de 200 associations à caractère culturel sont censées opérer dans le terrain. Le chiffre de 200 agréments pourrait être une certitude, le nombre réel d'activants est une autre affaire.

Revenons à ces doucereuses soirées, parties furtivement l'instant d'un spectacle silencieux et suivi comme une messe dans une paroisse, enfin telle une prière aurorale dans une mosquée à grande affluence. Les gens n'étaient pourtant pas homogènes. Ils me paraissaient tous les reconnaitre. Le sourire était plus arboré qu'un ticket d'entrée non exigible. D'entre jeunes et vieux couples, familles et solitaires, tout le monde voulait son strapontin, sa loge ou son poulailler. Le théâtre, de par ses décors, son ordonnance et ses cultes arrivait finalement à briser tout esprit se voulant critique usuel. Il n'y avait pas de différence, dans l'art et la manière entre ce théâtre et celui des champs Elysées. Il est étoffé en termes de panache et d'historicité ludique que ceux d'antan. On croit revenir des années en arrière ou être dans des scènes de films en noir et blanc. L'acoustique, la disposition, l'habillage mural, le revêtement du sol font émerger dans la tête des caciques, fort nombreux dans les sièges, la souvenance irrésistible d'un temps perdu par la barbarie et le caporalisme des idées obscurantistes. Durant presque six soirées consécutives les âmes sensibles ont été dodelinées au gré des différents orchestres de musique classique du pays. Les sopranos, les altos et les ténors dans les chœurs ont vibré les cœurs dans un mutisme sensationnel. Les best-sellers dans la production musicale universelle ont rempli le vide qui sévissait dans les creux culturels de la ville. Les grands maestros du pays étaient là, à être acclamés durablement par l'assistance. Maitre Saouli a pu réussir, en clôture des journées une symbiose maritale pour faire avec brio accoupler dans un couplet inédit la zorna et le piano. De Vivaldi, Rodriguez à Bach, l'harmonie était au paroxysme quand l'IRFM d'Oran entonna mélodieusement Mendelssohn et des thèmes scéniques où des solos sont exécutés par des frimousses angéliques. A ce moment, à penser au drame de Haroun et de Brahim, à revenir sur l'incertitude du lendemain, la poisse vous comprime la poitrine et le soupir vous extirpe de la rêverie instantanée qui vous enveloppe. Dehors il fait toujours froid et il neige. Il est 21 heures passées.