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Le puzzle, ce
casse-tête, qui nécessite de la patiente, est en définitive un jeu, dont
l'énigme est résolue par la reconstitution d'une image. Cependant, une fois
cette estampe éclatée, c'est la désorganisation, le désordre, le capharnaüm et
la confusion.
D'un coup, tout devient problème, mystère, opacité, obscurité et incertitude. Le trouble et l'instabilité s'installent, et ce qui était solide et assuré, devient chancelant. Et comme c'est un jeu qu'on peut pratiquer seul ou bien en famille, l'onde de choc risque, dans sa brutale transition, de causer d'énormes dégâts à l'harmonie. Hama El Fahem, avait comme tout le monde ses problèmes. Il était chauffeur du seul camion de la commune. Il avait son monde, et son rythme de vie. Il avait ses penchants et ses nécessités, qu'il conduisait en bon chef d'orchestre, méticuleux de son diapason et scrupuleux de la virtuosité des ses instrumentistes. Il disait que les nouvelles machines électroniques, qui servent à indiquer le tempo, la vitesse à laquelle doit être jouée une musique, ou bien apprécié le timing, s'emballaient souvent et faussaient la rythmique. Alors, il avait gardé un faible pour les vieux métronomes mécaniques à ressorts, et se fiait à son instrument biologique pour demeurer en phase et en accord, avec son propre tempo. Poussé à la retraite, et abdiquant, il vit depuis, l'éclatement de son puzzle, à grande vitesse en s'éreintant vainement à retrouver les quatre coins formant les bords du tableau du puzzle. Il s'use à identifier les couleurs dominantes, sinon les formes, comme début de parcours de son labyrinthe, ces méandres, inventés par Dédale, auquel la mythologie grecque attribue la conception et la construction, pour enfermer le minotaure. Cette bizarrerie de la nature, mi-homme, mi-taureau. Hama n'avait plus son camion pour approvisionner la cantine scolaire et assurer parfois le ramassage scolaire à l'occasion de ses cheminements à travers les routes et les pistes du territoire communal. Le véhicule selon ce qui lui est arrivé d'informations, depuis sa retraite, est souvent en panne. Et chaque matin, plusieurs ouvriers étaient mobilisés par le chef du parc communal, pour pousser le camion à la force de leurs bras afin de le faire démarrer. La cantine et les gosses n'étaient plus une priorité. La citerne d'eau potable également, quand elle arrivait, tractée par le camion souffreteux, était déjà en retard de plusieurs rotations. La pension de retraite qui a remplacée la paye du mois après tant d'années de service, accomplies à bord de son camion pour servir ses concitoyens, n'a plus la même odeur, ni le même pouvoir d'achat. Ajouté à la chaleur naturelle de ce mois de ramadhan à cheval sur juillet et août, lui faisait exploser en silence la poitrine. Le kilogramme de poulet vendu à 390 DA, lui procurait et aux siens aussi, des privations. L'année passée à la même période, il pouvait ramener pour la même somme, le jeudi soir, le même volatile à la maison, mais rôti, Que s'est-il passé depuis ? Le poulet a-t-il pris son envol et ne veut plus être domestiqué, ou bien les producteurs de ces volailles travaillent-ils à la rareté et à la protection de l'espèce. Toutes les conjectures de Hama El Fahem le renvoyaient itérativement à la reconstitution du puzzle éclaté de sa vie. Et comme clé à cette énigme, il n'avait que ses souvenirs en pièces à conviction. Le lait en sachet, dont la poudre, l'emballage et les machines de composition, sont importés, a disparu des étals. Et à l'arrivée de chaque camion de livraison, c'était la bagarre, et les plus forts en gueules, ou bien les gros bras, dictaient l'ordre d'être servi. Hama essayait de se rappeler, comment faisait-il pour alimenter en denrées, la cantine de l'école ? Et pourtant c'est l'été, qui est associé au parent du pauvre et à la générosité de la nature, en cette saison, dans cette contrée. D'habitude un morceau de pain et une tomate fraîche avec une pincée de sel, font tenir un bonhomme ou une bonne femme une journée entière. Oui mais où trouver la tomate maintenant, à un prix abordable ? C'est la même chose pour les autres légumes qui demeurent à mi ramadhan intouchables. Les fruits se font désirés. Les nôtres, les autochtones, en matière de prix, dament le pion à ceux importés. Au pays de la terre, l'eau et du soleil, les fruits viennent d'ailleurs. Hama El Fahem se piégeait encore à se demander comment s'y prenait- il, pour ravitailler la cantine scolaire et approvisionner sa famille ? Point de réponses à ces concaténations. Mais des retours répétitifs devant le guichet pour retirer sa pension, avec l'aléa de la disponibilité de liquidités à la caisse, et de l'humeur du caissier, ce dernier aussi, préoccupé à trouver solutions à ses propres problèmes d'avitaillement. Finalement un puzzle éclaté causait beaucoup de dommages principaux, et pareillement d'énormes préjudices collatéraux. Le village durant ce mois de jeûne a les nerfs à fleur de peau, et tous ses habitants rencontrés au marché, devant le laitier ou bien chez le boulanger, bouillonnent et réagissent à l'épidermique. Le boucher, ce dernier qui jure, l'index de la main droite mouillé sur la gorge, et tenant dans sa main droite son couteau à trancher, constitué d'une longue lame, rigide et épaisse, d'environ 30 centimètres. Il lui sert à trancher, à couper, à sectionner les différents morceaux et à les débiter en tranches. Il promet que sa marchandise est nationale, et qu'aucun morceau n'est importé, pour éviter toute réticence et la moindre hésitation des clients. Prendre le bus pour se rendre à l'autre bout du village, qui est entrain de s'étaler et de s'étirer subversivement, est une épreuve. Si tu n'as pas 8 dinars tout ronds, tu paies 10, et si tu réclames ton reste, tes 2 dinars dus, tout le bus te fixera du regard au lieu d'interpeller du même regard le receveur. Et tous sont sur l'offensive. Il n'y avait que le marchand de zlabia, qui recevait et subissait le rush, une heure avant le f'tour, avec un détachement marqué. Il observait une zen attitude, et ne montrait aucun signe d'énervement quand devant lui cela bouillonnait. Cette coexistence du calme et de l'agitation en un même lieu, participerait-elle de la restauration du puzzle éclaté. Le marchand de zlabia en détenait-il le secret, se questionnait Hama El Fahem ? Comment faisait-il pour bannir toute violence dans ses comportements et peut-être, carrément, de tous les moments de sa vie. Est-ce qu'il écoute la cohue qui s'agglutine devant lui, pour être servie ? L'entendrait-il du moins ? En adoptant cette démarche, refuserait-il tout conflit avec tout le monde ? A t-il atteint la station du compromis et du consensus avec tout son environnement ? Hama El Fahem n'arrivait pas à pénétrer l'univers du marchand de zlabia, ni à avoir ce recul et ce discernement, pour réfléchir à solutionner un seul problème à la fois. La retraite et sa pension l'ont submergé de doutes, il n'en émergeait pas. Il n'était plus maître de son temps, tout lui était imposé et il n'avait plus de résistance pour contrer le stress et sortir de ce spleen. Existait-il une médication, pour arrêter cette course folle de la vie et son lot de déferlantes ? La frénésie de tout avoir, de tout acheter durant le mois de ramadhan. Cet effet de foule contrastait avec la sérénité que lui renvoyait l'image de la retraite et des retraités croisés sur le chemin de l'attente, qui évoque désormais pour Hama, plutôt le sursis, que le repos. Cette conciliation de l'homme avec son passé professionnelle, durant la retraite, ne s'accommodait pas avec son vécu. Il se sentait déclassé, ce n'était pas la croisière sur le fleuve tranquille, en guise de récompense, comme entendu. Tout est urgence et particulièrement pendant ce mois de jeûne. Dès que Hama El Fahem tend l'oreille à ce qui se dit et se raconte en public, dans les rues, tous se plaignaient, et pour l'ensemble rien n'allait. Tout le monde voulait plus et encore, et comme c'est impossible, et que l'on obtenait par conséquent, peu ou pas du tout. C'est l'insatisfaction généralisée qui domine. Où vivait-il avant d'atterrir en retraite, se questionnait encore Hama El Fahem ? Etait-il à ce point, déconnecté de son environnement ? Ou bien la conduite du seul camion de la commune, la cantine scolaire, le ramassage des gosses et la préparation du tuf du terrain de foot communal, en l'arrosant, les veilles de matchs de l'équipe locale, évoluant en championnat de ligue de wilaya, l'avaient-ils préservé de ce tumulte et de ces rumeurs. Sportif du vendredi, le sport c'était son dada, son péché mignon. Il se tenait informé, notamment depuis qu'il avait la parabole. Il en avait à raconter et à en commenter, plein la tête. Sinon ceux qui se plaignaient, ont-ils un jour de leur vie, réellement travaillé. Mais alors, comment vivaient-ils ? Quels sont les besoins réels en ce mois de ramadhan ? Et puis, comment les définir, et selon quelle aune les quantifier ? Hama El Fahem voulait que toutes ses inquiétudes soient positives, pour ne pas contaminer son entourage. Pouvait-il revenir en arrière, abandonner sa retraite et la pension ? Il ne possédait pas la grille d'interprétation du nouveau décor de son puzzle éclaté, en ce mois de ramadhan, et en habit de retraité. En ce huitième jour de jeûne,Hama avait décidé d'inviter ses neveux,ses nièces et quelques jeunes voisins, pour regarder ensemble le déroulement de la cérémonie d'ouverture des XVII èm jeux olympiques d'été, de l'ère moderne diffusée sur une chaîne satellitaire à partir de Londres où ils ont lieu. Il comptait leur commenter le cérémonial, et leur faire partager la somme de connaissances qu'il avait acquises. Il voulait voir avec eux surtout, la 13 ème participation de l'Algérie à des jeux olympiques d'été. Leur dire que 39 athlètes algériens y prenaient part à travers 12 sports. Et que ce sera le boxeur Abdelhafid Benchebla, un potentiel médaillé, qui portera le drapeau du pays au défilé des 205 nations participantes. Et comme l'ordre de passage des délégations était alphabétique, les athlètes algériens, ouvriront en quatrième place, le défilé, après la Grèce pour des raisons historiques et juste après l'Albanie et l'Afghanistan. Il aurait voulu leur dire que lors de cette olympiade des femmes défileront en tout état de cause, dans chaque délégation, c'était obligatoire, pour la première fois, dans l'histoire des jeux olympiques modernes. Hama voulait les informer qu'il y aura 80.000 spectateurs au stade olympique de Stratford, et que plus de un milliard de téléspectateurs à travers le monde auront suivi, sur leurs postes de télé, le spectacle de près de quatre heures. Un cocktail détonant de culture et d'humour, so british. Le spectacle orchestré et mis en scène par le cinéaste Danny Boyle, perfectionniste, était grandiose. Le tableau initial, évoquait un Royaume-Uni rural d'un antan fantasmé, qui n'a pas tardé à être bousculé par la révolution industrielle, et l'apparition sur la pelouse du stade, de hauts fourneaux, suivi d'une coulée d'acier, dans une rythmique de percussions, couronnée par l'avènement et l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Même la reine d'Angleterre souvent sur sa royale réserve, s'était prêtée au jeu, en en intégrant un clip, rythmé par le générique de James Bond et laissant penser, aux spectateurs et aux téléspectateurs, qu'elle arrivait au stade en parachute depuis un hélicoptère piloté par l'agent le plus célèbre à avoir œuvré à son service. En hommage rendu à la littérature infantile anglaise, il y avait une nuée de Mary Poppins, cette nurse héroïne du roman de Pamela Lyndon Travers paru en 1934, qui descendue des nuages, apportera du rêve aux enfants et la conscience aux parents. Mais une conscience en rien contrariant le rêve. Venant du ciel et atterrissant sur le stade, les Mary Poppins avaient fait fuir des créatures et des monstres angoissants et obscurs. Et soudainement, des enfants malades re-dansaient sur leur lit d'hôpital. Il y avait également mister Bean, qu'on annonce prochainement du coté d'Oran ! Il faisait des siennes au milieu d'orchestre philharmonique, jouant sur une seule note de piano, la partition des Chariots de feux. Cette musique de la bande originale du film éponyme, composée par le musicien grec, ancien du trio, du groupe mythique, Aphrodit's Child, Vangélis Papathanassiou. L'exécution, frisant la perfection, de tous ces beaux tableaux, était servie par 10 000 volontaires bénévoles. Et bien qu'ils aient pris des photos avec leurs divers appareils, durant toute la période des répétitions, ils n'ont diffusé aucune image, ni fait des révélations aux médias, avant l'ouverture officielle des jeux. 10 000 filles et garçons et zéro fuite ! Ça c'était un record s'était dit Hama El Fahem. Le grandiose spectacle pris fin, vers 0 heure 45 minutes, horaire algérien, quand l'ex Beatles, Paul Mac Cartney achevé son tube de l'année 1968, Hey Jude, cette chanson qui était destinée à soutenir Julian Lennon, le fils de John, lors du divorce de ses parents, reprise, merveilleusement, en chœur par tout le stade. Aucun des neveux, des nièces et des petits voisins, n'était venu au rendez-vous de Hama El Fahem. Il se leva dépité, alla éteindre sa télé et se coucha sans prendre son s'hour, avec un seul regret. Non, pas le faux bond des gosses. Mais l'austérité et l'insignifiance du survêtement porté par les athlètes algériens lors du défilé inaugural des olympiades de Londres en guise de costume de parade. Le lendemain, il alla voir le maire de son village, son ex-employeur pour lui demander de reprendre du service. L'édile assister du secrétaire général de la commune, pour faire plus officiel, lui récita sa tirade sur les concours administratifs, les postes budgétaires, le plan de gestions des ressources humaines communales et son visa par l'inspecteur de la fonction publique etc. Hama informa le maire qu'il connaissait toutes ces procédures. Mais comme le village s'agrandissait, tous les jours, lui dit-il, et que chaque semaine, il accueillait de nouveaux habitants, il fallait que le cimetière suive. Et qu'il était prêt à le gérer, et que pour ce faire, il n'avait besoin, pour le moment que d'un registre. Ya sidi raïs, lui dit Hama El Fahem, je commencerais par répertorier et inventorier toutes les tombes, ainsi, je pourrais aider les familles venues en visites à retrouver les sépultures de leurs morts. Parallèlement, la commune aura un outil fiable, pour administrer le cimetière, qui grossit et s'étend confusément. Quant à moi, je reviendrais après le ramadhan, vous rendre visite, et vous souhaiter Aïd Mabrouk. D'ici là j'aurais su combien de médailles, nos athlètes auront récolté aux jeux olympiques de Londres. Ya sidi raïs, ma pension de retraite me permet d'exister, moi et les miens, mais le travail au cimetière, va me permettre de vivre, même parmi les morts. Ce sera certainement, mon occasion de reconstituer le puzzle éclaté de ma vie. |
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