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Dépenser ou investir, il faut choisir

par Abed Charef

Le conseil des ministres a adopté un imposant plan quinquennal. S'agira-t-il d'investissements, de simples dépenses ou d'un butin à partager ?

L'aveu est cruel. Abandonnant, pour une fois, les déclarations triomphalistes concernant les grands acquis réalisés dans le cadre du plan quinquennal du président Abdelaziz Bouteflika, le ministre du commerce Hachemi Djaaboub a reconnu que ce programme s'est limité essentiellement à des importations massives, sans impact réel sur l'économie du pays.

 Dans un moment de lucidité rare, M. Djaaboub a déclaré que sur les 150 milliards de dollars prévus dans le cadre du plan quinquennal qui s'achève, 70 pour cent se sont évaporés sous forme d'importations. Soit près de 105 milliards de dollars d'importations en cinq ans pour le seul volet équipements. Chaque Algérien aurait ainsi importé pour 3.000 dollars d'équipements. A l'échelle d'un pays comme la Chine, cela aurait représenté 4.500 milliards de dollars !

 Où est passé cet argent ? Quel en a été l'impact sur l'économie du pays ? Difficile à dire. L'injection de sommes aussi colossales dans la sphère économique devrait déboucher sur un taux de croissance à deux chiffres. Et doubler le PIB au bout d'un plan quinquennal. Au lieu de cela, l'économie algérienne affiche un taux qui se situe péniblement entre trois et cinq pour cent par an.

 Ni les célèbres stratégies industrielles de M. Abdelhamid Temmar, ni l'entêtement bureaucratique de M. Ahmed Ouyahia ne peuvent occulter ces réalités. Aucun pays au monde ne réalise des résultats aussi faibles avec de telles injections d'argent. A l'inverse, de nombreux pays, comme le Maroc et la Tunisie, assurent des taux de croissance supérieurs ou identiques avec des apports financiers sans rapport avec ce qui est enregistré en Algérie.

 Cette spirale génère, en outre, ses propres mécanismes. Plus on importe, plus on est obligé d'importer. Et plus les Algériens s'habituent à un mode de consommation, plus il devient difficile de se passer des importations. Même M. Ouyahia a fini par s'alarmer de cette tendance, et a voulu freiner les importations. Non en essayant de comprendre pourquoi la production locale ne s'est pas, au moins partiellement, substituée aux importations, mais en décrétant des interdits massifs et en mettant en place des obstacles à l'importation.

 Le gouvernement peut toutefois afficher une petite note de satisfaction. Les importations au premier trimestre 2010 ont chuté de près de dix pour cent par rapport au premier trimestre 2009. Cela signifie que les mesures destinées à freiner les importations commencent à donner des résultats. C'est du moins ce que disent les officiels.

 L'explication est pourtant fausse. Au moins en partie. Car la baisse des importations est due à deux facteurs : la déstabilisation des circuits d'importation, et la hausse des prix qui en a résulté. En effet, la loi des finances complémentaire pour 2009, reprise par celle de 2010, a introduit de nouvelles procédures quoi ont déstabilisé les importations.

 La généralisation du fameux Crédoc a notamment a provoqué un allongement important des procédures, ce qui a débouché sur un décalage des importations d'environ un mois. Un importateur nous a ainsi confié que le container, livrable auparavant à Alger au bout de trois semaines, demande désormais trois à six mois !

 Ce décalage a provoqué, à son tour, une pénurie de certains produits, qui ont disparu du marché, et subi d'importantes hausses des prix. Certains produits informatiques ont ainsi subi une véritable flambée, et voient leur prix multiplié par quatre ou cinq, sous l'unique effet de la pénurie. Dès lors, c'est l'engrenage : la hausse des prix a donné, à son tour, une baisse des achats, qui contribue à son tour à ralentir les importations.

 La baisse des importations enregistrée au premier trimestre est donc une baisse accidentelle, provoquée par une décision bureaucratique mal étudiée. Elle n'est pas le résultat d'une démarche réfléchie et planifiée. Elle est presque le résultat du hasard, et n'indique pas une tendance de fond. Ceci va se confirmer dès le deuxième trimestre, lorsque les importations se seront de nouveau stabilisées.

 Cette logique implacable va se traduire de manière encore plus brutale dans les années à venir. En effet, le gouvernement vient d'adopter un programme d'investissements quinquennal de 286 milliards de dollars. Si la logique évoquée par M. Djaaboub se confirme, et si les importations engloutissent 70 pour cent de ce programme, l'Algérie importera pour 200 milliards de dollars d'équipements durant les cinq prochaines années. Un chiffre qui donne le vertige.

 On en connaît qui se frottent déjà les mains : tous les acteurs de l'import-import, tous les fournisseurs traditionnels de l'Algérie, qui s'agitent déjà pour élargir leur part de marché, ainsi que les intermédiaires et spécialistes des commissions, qui se préparent à percevoir leur part. On ne peut rien reprocher aux deux premiers groupes: ils ont trouvé une proie facile, ils se servent.

 Par contre, que dire de ceux qui se montrent fiers d'annoncer que leur pays va jeter autant d'argent par les fenêtres ? Que dire de ceux qui vont percevoir leurs commissions dans tous ces marchés ? Et que dire des gouvernants qui persistent dans ce fonctionnement, alors qu'ils en connaissent tous les rouages ?