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L'eau, ce colossal défi de l'humanité !

par Farouk Zahi

L'Algérie est-elle en train de remporter la bataille de l'eau qui fait invariablement partie de la sécurité alimentaire ? A l'évidence, la réponse est «oui» selon le ministre chargé du secteur. Invité du Forum de la télévision du samedi 30 mai, loin de se départir de la truculence dans le propos, M. Abdelmalek Sellal a levé plusieurs zones d'ombre sur un secteur que l'unanimisme ambiant plaçait dans les secteurs fustigés par la vox populi. Ce secteur, rendu vulnérable par sa transparence à travers le simple robinet qui ne coule pas ou peu, traîne une tare qui est passée dans la chronicité. Il faudrait à un moment ou un autre, créditer ce qui se réalise et voir venir. Desservi par des errements antérieurs, le secteur, à qui il faut cependant accorder des circonstances atténuantes, a dû mettre les bouchées doubles pour rattraper, un tant soi peu, les retards cumulés, opérer une mise à niveau par un plan de relance des plus périlleux et attendre la manne pluviométrique. Cette dernière, comme tous les impondérables, ne relève d'aucune volonté humaine. Après plus d'une décennie de rude sécheresse qui avait même fait envisager par le gouvernement d'importer de l'eau, voilà que le ciel déverse des quantités inespérées faisant au passage de malheureuses victimes: inondations de Ghardaïa et Béchar entre autres. L'ondée providentielle aurait pu connaître le même sort que les précédentes n'eût été la mise à l'eau d'ouvrages tels que Béni Haroun à l'est et Koudiet Asserdoun au centre du pays. Cette relative sécurité hydrique nous fait approcher, avec notre ratio de 600 m3/hab, des normes internationalement admises de 1.000 m3 /hab. Ce taux de satisfaction sera de 700 m3/hab à fin 2010, selon les affirmations du ministre.

L'eau est considérée de par le monde comme un enjeu économique, notre pays en fait un facteur de développement social sachant pertinemment qu'il génère des coûts de production et d'exploitation. L'Algérienne des Eaux (ADE) consent un prix de revient de 31 DA par mètre cube, le seul prix de revient électrique pour sa production s'élève, lui, à 6,25 DA. Il est vrai que, compte tenu de la modulation de la tarification en six catégories, la faveur est bien évidemment accordée à la consommation domestique dont la moyenne de tarification ne s'élève qu'à 19 DA/m3. Quant aux secteurs économique et industriel, ceux-ci sont facturés au prorata de la consommation et de la valeur ajoutée. L'ADE, qui a toujours «pris» gracieusement cette eau, devra à l'avenir, selon un projet à l'étude, s'acquitter de 1 à 2 DA par mètre cube au bénéfice de l'Agence nationale des barrages (ANB) dont les équipements sont pris en charge financièrement par le budget de l'Etat. Et c'est à ce propos que le patrimoine en réserves d'eau est soulevé par la question d'un journaliste, qui voulait faire préciser la consistance du parc actuel et à venir des barrages. Le pays a disposé jusqu'à l'année 2000 d'une trentaine de barrages de moyenne contenance, il dispose actuellement de 61 et prévoit 80 à l'horizon 2014. L'innovation est dans l'approche de création de réserves régionales, comme c'est le cas de Béni Haroun, qui alimente déjà cinq wilayas de l'est du pays. Le méga projet Mostaganem-Arzew-Oran (MAO), dont les eaux seront transférées de l'oued Chéliff, desservira la bande côtière ouest. Sa réception est prévue pour juin ou juillet de l'année en cours. La problématique de l'envasement est prise en compte, l'étude en cours a ciblé 27 ouvrages qui bénéficieront de réhabilitation. L'opération menée déjà avec le département de l'agriculture prévoit la protection des talwegs et des bassins versants par la reforestation. La lutte biologique par ensemencement piscicole participe aussi à la réduction du phénomène. La réception des 14 stations de dessalement prévue pour l'année 2011 fera éloigner le spectre de la soif à toute la bande côtière du pays qui, comme chacun le sait, est plus peuplée que le reste du territoire national. A la réflexion d'un journaliste qui rapportait les incriminations de riverains à l'endroit de certaines stations de dessalement, le ministre n'eut que cette réplique pour rappeler si besoin était, que de tels ouvrages ne peuvent être qu'en bord de mer: «On ne peut tout de même pas nous demander de les implanter dans le Bouzegza !».

Ce foisonnement de projets n'a pas, pour autant, fait que les Hauts Plateaux et le Sud ne soient en bonne place dans la prospective du secteur. Et c'est dans le contexte que le membre du gouvernement qui, en toute apparence, maîtrise son sujet sans en référer à quiconque parmi le staff présent, parle des grands transferts hydriques tels que celui qui alimentera les hautes plaines sétifiennes à partir du littoral bougiote pour les besoins d'irrigation de 30.000 hectares de terres agricoles et celui de Méniaâ (M'Higane) vers les Hauts Plateaux du centre (sud de la wilaya de Tiaret-Djelfa et sud de la wilaya de M'sila) ainsi que le projet du Chott El-Gharbi. En ce qui concerne la reconversion des eaux vannes et usées pour les besoins agricoles, les 75 stations d'épuration ou projetées produisent déjà 500 millions de m3. Ces quantités seront de l'ordre de 700 millions à fin 2011. Dans le registre de la pollution, oued El-Harrach évoqué a fait dire au ministre que les relents olfactivement perçus sont moindres que par le passé. L'Office national de l'assainissement a eu recours à un leurre chimique rappelant l'odeur de l'orange. La solution définitive viendrait de la ponction de l'oued au niveau de Hammam Melouane pour les besoins du nouveau barrage de Douéra et l'obligation faite aux unités industrielles polluantes pour s'équiper conséquemment.

Qu'en est-il du projet du In Salah-Tamanrasset ? (projet du Président, a tenu à préciser M. Sellal). Celui-ci est en bonne voie. Les quinze forages situés à 70 kilomètres au nord-est de In Salah ont été complètement réalisés. Ils mobilisent 100.000 m3/jour, soit le double des besoins transférables. La double adduction courant sur une distance de 775 km, sertie de 6 stations de refoulement de grande sophistication, rencontre un problème de taille, celui de la déclivité. Faut-il rappeler que le plateau de Tam culmine à près de 1.400 mètres ? L'ouvrage connaît, en dépit des aléas topographiques, un taux d'avancement qui avoisine les 50%. Il faut noter au passage les difficultés inhérentes à la nature du terrain dans les gorges d'Arak et la climatologie saisonnière qui avoisine les 50 °C à l'ombre. Souder sous une telle température relève beaucoup plus de la gageure que de l'oeuvre courante. Ce projet drainera sur son passage des retombées significatives sur la région et sur la bande sahélienne et au-delà même. Qui ne connaissait pas Tamanrasset des années 70 ne pourra jamais imaginer le bond qualitatif qu'a opéré cette région en matière de développement. Et là, M. Sellal, qui a été en exercice dans cette région, ne pouvait restituer le contexte d'alors qu'en usant de métaphore: «On ne pouvait prendre sa douche qu'avec l'équivalent d'un verre d'eau» ! C'est dire le dénuement hydrique séculaire de la région. Le ministre balaie d'un revers de mains les supposés motifs qui ont conduit à la réalisation de cette grande oeuvre. Seuls les hommes et les cheptels ont prévalu dans ce choix stratégique, dira-t-il. Induite par une interrogation journalistique, la remontée des eaux de Ouargla et d'El-Oued sera bientôt inscrite dans les registres des mauvais souvenirs que les prochaines générations ne connaîtront pas. D'un coût approximatif de 27 milliards de dinars chacun, les deux projets sont en phase de réception. Le paradoxe ici réside dans la profusion en eau des nappes superficielles de ces deux régions. El-Oued serait mieux alimentée en eau que la ville de New York (dixit le ministre). Pour rester toujours dans le comparatif, Alger et son agglomération et dont les besoins en eau sont déjà satisfaits à hauteur de 81%, seraient à un niveau supérieur que ceux enregistrés à Casablanca et Tunis. Fasse Dieu que la bonne gouvernance soit à la hauteur de l'investissement consenti et que la désillusion du cauchemar ne se substitue pas à l'illusion du rêve. Les espérances sont grandes et les défis plus grands, rappelons-nous seulement que les plus grandes embellies culturelles présentes et passées de l'humanité se sont réalisées grâce à la disponibilité de l'eau, du Yang-Tsé-Kiang à la Mésopotamie et de la vallée du Nil à l'Hudson.