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Tiens, v'la que ça recommence!

par Akram Belkaïd

Il y avait longtemps? On a beau se dire qu'il ne faut jamais baisser sa garde, il arrive que l'on se laisse déborder par le quotidien et que l'on oublie l'existence de ces recettes fétides qui dorment dans de vieux grimoires poussiéreux et qui ne demandent qu'à servir une nouvelle fois. On avait presque oublié les délires de la campagne électorale de 2007 mais nous revoilà plongé de force dans un débat à propos de l'identité nationale française. Quelle étrange coïncidence ! Quel bienvenu hasard ! Tendez l'oreille, écoutez ce refrain de Rachid Taha, il est d'actualité : « Voilà, voilà que ça recommence / Partout, partout et sur la douce France / (?) Etranger, tu es la cause de nos problèmes. »

Pour le président Nicolas Sarkozy, rien ne va ou presque. Sa popularité est en chute libre, une bonne partie de ses troupes renâcle à le suivre, Barack Obama n'en finit pas de l'éclipser sur le plan international et Ségolène Royal a décidé de le harceler. Tout cela dans une ambiance électrique où l'on se dit, à voir les grèves qui se multiplient ici et là, que la moindre étincelle peut déboucher sur une lame de fond sociale comme la France n'en a pas connu depuis 1968.

Et voilà donc que réapparaît comme par enchantement la question de l'identité nationale (sans oublier aussi celle de l'insécurité?). Tout commence avec une lettre adressée par le président français à Eric Besson, le ministre de l'immigration qui, faut-il le rappeler, a abandonné les siens (la gauche socialiste) en pleine campagne électorale pour s'en aller rejoindre le candidat Sarkozy. Mission confiée à celui dont l'Histoire finira peut-être un jour par établir qu'il fut le principal responsable de la défaite de la gauche en 2007 : la poursuite du discours sur l'identité nationale (française) et « la réaffirmation de ce que signifie d'être français ».

Bien entendu, les débats ne vont pas manquer. Nous allons avoir droit à des prises de position, à des polémiques et aux raccourcis habituels sur les immigrés ou encore sur les jeunes des banlieues qui refusent de s'intégrer parce que, nous expliqueront d'anciens gauchistes devenus néo-conservateurs, leur cœur est plein de haine à l'égard de la France, de l'Occident, des Lumières, et d'autres objets de détestation inscrit dans une très longue liste.

Attardons-nous un peu sur cette manœuvre dilatoire. A n'en pas douter, il y a la perspective des élections européennes du 7 juin prochain. Il est fort possible que le président français agite le hochet de l'identité nationale en espérant renouer avec une base électorale dont une bonne partie se demande aujourd'hui si elle a bien fait de voter pour lui. Dans la ligne de mire de cette agitation, se trouvent bien entendu les immigrés ou leurs descendants. Quand on ne peut pas régler les problèmes provoqués par la crise financière, quand on a du mal à faire oublier que l'on a baissé les impôts des plus riches en ces temps de disette budgétaire, quand on cherche à faire oublier que l'un de ses projets de campagne était de permettre aux Français de s'endetter plus pour consommer plus et cela à l'heure même où éclatait la crise des subprimes, il n'y a guère que l'appel aux bas instincts xénophobes pour se refaire une petite santé en terme de popularité.

Du coup, l'on reparle de ceux qui ont sifflé la Marseillaise au Stade de France en octobre 2008 lors du match France-Tunisie. Et voilà l'incontournable Patrick Gaubert, président du Haut Conseil à l'intégration (HCI), qui se demande dans les colonnes du quotidien Le Monde combien « de citoyens français ne respectent pas certaines valeurs fondant la République ou méprisent ses symboles. » Fermez les yeux deux secondes et vous pourrez voir vers qui l'index stigmatisant se pointe.

Admettons que l'on s'interroge à propos de la « francitude » d'un adolescent mal élevé qui siffle la Marseillaise parce qu'il sait que c'est un moyen efficace de provoquer une partie de la société française. Il est évident que beaucoup de travail reste à faire auprès de ceux qui prennent un malin plaisir à rejeter avec insolence et grand bruit leur appartenance à la France (et encore faudrait-il relever que leur grande majorité n'irait vivre ailleurs pour rien au monde?).

Mais pourquoi alors ne se pose-t-on pas la même question à propos d'autres transgresseurs ? Prenons l'une des trois valeurs phares de la République à savoir l'égalité. Est-elle réellement respectée par ceux qui, au mépris des lois et de l'éthique, s'offrent des salaires mirobolants tandis que d'autres ne s'en sortent que grâce à l'aide alimentaire ? Qui pose le plus de problème à la France d'aujourd'hui ? Le yô qui perturbe les manifestations de lycéens ? Le blédard qui a du mal à comprendre qu'il y a des pratiques et des comportements bannis par la modernité et le respect des autres ? Ou bien est-ce alors ceux qui travaillent tranquillement à la désagrégation du tissu social français et à ses solidarités ?

Qu'est-ce qui est le plus grave ? Siffler la Marseillaise ou plutôt fermer une usine pour la délocaliser et, au passage, faire monter le cours de Bourse pour empocher de confortables plus-values (à peine fiscalisées) sur ses stocks-options ? La France, ce sont des valeurs à respecter, ne cessent de répéter ceux qui chapitrent les personnes suspectes de vouloir altérer l'identité française. Que ne sont-ils pas aussi vigilants vis-à-vis de ceux qui démontent l'édifice républicain par leurs privilèges et leurs passe-droits !

Il y a quelque chose qui ne va pas en France. Cela ne relève pas uniquement de Sarkozy et de sa cour. Cela concerne la manière dont sont foulés aux pieds nombre de principes relevant de l'égalité. Comme ses sœurs, fraternité et liberté, cette valeur est attaquée, vilipendée par ceux qui s'en prennent à « l'égalitarisme » pour mieux la discréditer. Et dans ce grand désordre, il ne faut pas s'étonner que « l'autre », le « différend », joue de nouveau le rôle de bouc-émissaire.