Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Tensions énergétiques dues à la crise ukrainienne: quelle stratégie pour Sonatrach ?

par Abderrahmane Mebtoul*

Outre les tension sur les produits alimentaires, la Russie comme l'Ukraine étant parmi les plus gros exportateurs de céréales dans le monde, environ 30%, où le conflit entraîne une envolée des prix et menaçant le commerce international, le cours du blé s'affichant à 393 euros la tonne sur Euronext le 06 mars 2022 concernant l'échéance de mars et s'orientant vers 400 euros la tonne, avec les tensions géostratégiques, l'Europe est dépendante de plus de 26% pour le pétrole et plus de 47% de la consommation de gaz russe premier exportateur mondial de gaz naturel qui ont fait flamber le prix du pétrole qui a été coté le 08 mars 2022, 9h GMT, à 126,23 dollars pour le Brent et pour le Wit 121,61 et pour les cours du gaz naturel en Europe 195 euros le mégawattheure sur le marché de gros, le 07/03/2022 contre 75 euros en février. Dans ce contexte particulier, l'Algérie approvisionnant l'Europe pour environ 11% et les hydrocarbures avec les dérivés lui procurant environ 98% de ses recettes en devises, quelle stratégie d'adaptation pour Sonatrach et d'une manière générale quelle politique adopter une économie diversifiée notamment pour sa sécurité alimentaire ?

1.-Sonatrach a dressé un bilan provisoire des réalisations de l'année 2021, les premiers indicateurs de production révélant une augmentation de près de 5% de la production d'hydrocarbures, qui passe de 175,9 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2020 à 185,2 millions de TEP en 2021. Pour ce qui est du volume de production au niveau des unités de raffinage, nous avons une stabilité de l'ordre de 27,9 millions de TEP en 2021, contre 27,8 millions en 2020. S'agissant de la production de gaz naturel liquéfié (GNL), Sonatrach a réalisé en 2021 une progression de 14%, le niveau de production ayant atteint 26,3 millions de m3 en 2021 par rapport à la quantité produite en 2020 (23,1 millions de m3), tout en ayant couvert les besoins du marché national, estimés à 64 millions de TEP en 2021, soit une augmentation de 9% par rapport à 2020, avec une baisse importante des quantités importées (-70%), passant de 859.000 TEP en 2020 à 255.000 tonnes en 2021. En ce qui concerne les niveaux d'exportations, le bilan a fait état d'une augmentation significative de 18% entre 2020 et 2021, ce qui a permis d'accroître les quantités exportées de 80,7 millions de TEP fin 2020 à 95 millions en 2021 pour une recette (à ne pas confondre avec le profit net devant déduire les coûts ) en 2021, d'une valeur dépassant 34,5 milliards USD (contre 20 Mds USD en 2020). Afin de développer les capacités nationales de production, en vue de répondre aux besoins internes qui enregistrent une croissance annuelle de 5%, ainsi qu'aux engagements contractuels avec les différentes partenaires, notamment en Europe et en Asie, il est prévu que Sonatrach investit 40 milliards de dollars à l'horizon 2026, dont 8 Mds USD en 2022.

La déclaration récente du PDG de Sonatrach a été mal interprétée car elle contient des nuances que la presse internationale n'a pas mis en relief, je le cite « les appoints en gaz naturel et/ou en GNL vers l'Europe sont tributaires de la disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national, de plus en plus importante, et de ses engagements contractuels envers ses partenaires étrangers ». L'Algérie qui selon la Commission européenne a toujours respecté ses engagements étant un partenaire fiable, est connue pour produire du gaz moins cher que le gaz russe et plus facile à transporter, mais cela nécessite des investissements importants dans le cadre d'un partenariat gagnant-gagnant avec les firmes étrangères, afin de développer les infrastructures nécessaires pour le transporter à grande échelle, impliquant un nouveau management stratégique de Sonatrach afin de réduire les coûts car actuellement il est difficile de distinguer si les recettes de Sonatrach dépendent des fluctuations des prix au niveau international ou de l'amélioration d'une gestion interne.(A. Mebtoul contribution HEC Montréal Canada 2012 et direction du premier -audit de Sonatrach entre 1974/1976, assisté des cadres dirigeants de Sonatrach et d'experts- 1976 ? l'audit sur le prix des carburants dans un environnement concurrentiel assisté des cadres de Sonatrach, d'experts, du bureau d'Études Ernst & Young 2006/2007). En s'en tenant aux données officielles, ses réserves de pétrole sont estimées selon la déclaration officielle du ministre de l'Energie (source APS décembre 2020) à environ 10 milliards de barils et les réserves de gaz à environ 2500 milliards de mètres cubes pour le gaz traditionnel. Les exportations, à ne pas confondre avec la production (et tenant compte d'un pourcentage d'injection de gaz dans les puits pour maintenir leurs activités , la différence étant la consommation intérieure) pour 2020/2021 ont fluctué entre 450.000/500.000 barils/j contre plus de 1 million de barils d'exportation vers les années 2007/2008, et 40 milliards de mètres gazeux d'exportation en 2020 et 42/43 en 2021 (33% GNL et 67% par canalisation).

La première destination du gaz algérien reste le marché européen, essentiellement l'Italie (35%), l'Espagne (31%), la Turquie (8,4%) et la France (7,8%). Mais existent des limites économiques, l'Algérie étant confrontée à deux contraintes majeures, la forte consommation intérieure et la concurrence de nombreux acteurs. Pour les canalisations nous avons le Transmed, la plus grande canalisation d'une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux via la Tunisie, le Medgaz directement vers l'Espagne à partir de Beni Saf au départ d'une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension depuis février 2022 à une capacité qui a été portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux et le GME via le Maroc dont l'Algérie a décidé d'abandonner, le contrat s'étant achevé le 31 octobre 2022, d'une capacité de 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. En ce mois de mars 2022, le constat est que les exportations sont toujours dominées par les hydrocarbures y compris les dérivés, pour le bilan 2021, 34,5 milliards de dollars dont 2,5 de dérivés comptabilisés dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le ministère du Commerce soit environ 98% des exportations totales et en mars 2022, Sonatrach c'est l'Algérie et l'Algérie c'est Sonatrach irriguant l'ensemble du corps économique et social : taux de croissance, taux d'emploi, niveau de l'inflation, réserves de change en basse 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014 et ayant terminé au 31/12/2021 à environ 44 milliards de dollars.

Aussi, dans cette conjoncture, elle ne peut augmenter substantiellement les volumes, peut-être entre 3D 4 milliards de mètres cubes gazeux à travers le Transmed via l'Italie où l'Algérie exporte 22 milliards de mètres cubes vers l'Italie sur une capacité du gazoduc de 33,5 milliards, restant 11 milliards de mètres cubes supplémentaires qui peuvent être acheminés sans de gros investissements. Mais, il faut être réaliste, Sonatrach est confrontée à plusieurs contraintes : des contrats de gaz fixes à moyen et long terme dont la révision des clauses demande du temps ; le désinvestissement dans le secteur rendant urgent la promulgation des décrets de la nouvelle loi des hydrocarbures pour attirer les investissements étrangers, tenant compte de la forte concurrence étrangère ; la forte consommation intérieure qui risque horizon 2025/2030 de dépasser les exportations actuelles, dossier lié à la politique des subventions sans ciblage, dossier sensible qui demande un système d'information en temps réel et la maitrise de la sphère informelle qui contrôle selon les propos du président de la République entre 6000/10.000 milliards de dinars, soit entre 33 et 47% du PIB.

2.-Quelles perspectives des relations énergétiques pour l'Algérie ? Nous avons la possibilité d'exploiter le pétrole/gaz de schiste (A.Mebtoul- Direction du dossier pétrole et gaz de schistes « risques et opportunités » pour le gouvernement 2015, 8 volumes 980 pages assisté de 20 experts. Où un volume a été consacré aux nouvelles mutations énergétiques mondiales horizon 2030 dont les axes du futur mix énergétique). Selon les statistiques internationales l'Algérie possède le troisième réservoir mondial avec environ 20.000 milliards de mètres cubes gazeux. Mais étant un dossier complexe, cela nécessite comme l'a souligné le président de la République Abdelmadjid Tebboune, de lourds investissements et un dialogue social et des nouvelles techniques appropriées autres que telles que celles existantes de la fracturation hydraulique, afin de protéger l'environnement et ne pas polluer les nappes phréatiques dans le sud du pays. Nous avons le gazoduc Nigeria Europe via l'Algérie d'une capacité d'environ 33 milliards de mètres cubes gazeux, toujours en négociation mais dont la faisabilité ne peut se faire sans l'accord de l'Europe principal client évalué à environ 20 milliards de dollars en 2020, pour une durée de réalisation minimum de cinq années. Mais existent également d'autres alternatives, où avec le réchauffement climatique le monde devant accélérer la transition énergétique et s'orienter vers un mix énergétique, existant d'autres alternatives que les énergies traditionnelles qui seront encore pour longtemps dominants entre 2022/2030, dans le bouquet énergétique. (A. Mebtoul a présidé la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne lors des rencontres de la société civile de la Méditerranée orientale en juin 2019.

Le premier axe est d'améliorer l'efficacité énergétique car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommations d'énergie alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation. Le second axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner le thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l'avenir. Or, la réalité est amère pour les énergies renouvelables, malgré des discours et de nombreux séminaires, en Algérie représentent moins de 1% en 2021 au sein de la consommation globale. Or, avec plus de 3000 heures d'ensoleillement par an, l'Algérie a tout ce qu'il faut pour développer l'utilisation de l'énergie solaire et à travers des systèmes de connexions être un grand exportateur d'énergie solidaire vers l'Europe. La promotion des énergies renouvelables suppose des moyens financiers importants en investissement et en recherche-développement afin de réaliser le programme du gouvernement qui consiste à installer une puissance d'origine renouvelable de près de 22000 MW d 'ici 2030, l'objectif étant de produire 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables surtout avec la forte consommation intérieure, la différence, afin de pouvoir exporter le gaz traditionnel. Le troisième axe selon les experts, horizon 2030/2040, est le développement de l'hydrogène comme source d'énergie enrichissant le « mix » ou le bouquet énergétique mondial, pour le transport et le stockage des énergies intermittentes et pourrait aussi permettre de produire directement de l'énergie tout en protégeant l'environnement, l'hydrogène en brûlant dans l'air n'émettant aucun polluant et ne produisant que de l'eau.

En conclusion, l'Algérie a adopté une position de neutralité entretenant des relations diplomatiques cordiales tant avec les USA et l'Union européenne qu'avec la Russie et la Chine, expliquant d'ailleurs sa position à l'ONU le 02 mars 2022 concernant le conflit en Ukraine appelant à la retenue et au dialogue, au respect du droit international, la même position d'ailleurs de bon nombre de pays africains et de la Chine (A. Mebtoul février /mars mars 2022-interviews/contribution à Africapresse Paris, l'hebdomadaire Jeune Afrique Paris, au Monde.fr et à la radio/ Beur TV Paris ?débat avec le DG de cette chaine que vous pouvez écouter le 13 /03/2022 de 17 à 18h, déjeuner débat au siège du Sénat français à Paris le 09 mars 2022, en présence de différents ambassadeurs étrangers accrédités en France, dont les USA, les pays du Golfe, européens, de personnalités internationales de différents horizons, des experts internationaux et sénateurs français, rencontre à laquelle le Pr A. Mebtoul a été invité). Sonatrach est guidée essentiellement par une position purement commerciale pour satisfaire le marché intérieur et honorer ses engagements internationaux, l'Algérie étant consciente que dans la pratique des affaires n'existent pas de sentiments en rappelant l'abandon du projet de Galsi de l'Algérie vers l'Italie qui devait également approvisionner la Corse, d'une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, abandonné Gazprom ayant fait pression sur les élus de la Sardaigne. (voir conférence du Pr Abderrahmane Mebtoul lors d'un déplacement en Italie à la chambre de commerce de la Corse www.google.com 2009). Aussi, face à un monde en perpétuel mouvement, tant en matière de politique étrangère, économique, que de défense, actions liées, nul doute que l'évolution de la guerre en Ukraine aura des conséquences sur la morphologie du monde multipolaire.

* Docteur - Professeur des universités, docteur d'Etat 1974, expert international