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Une stratégie mondiale de lutte contre la pandémie du Covid-19

par Erik Berglöf*

LONDRES - Le coronavirus COVID-19 bouleverse presque tous les aspects de la vie quotidienne dans le monde entier. Naturellement, chaque pays s’efforce de protéger d’abord sa propre population, notamment en fermant les frontières, en imposant des quarantaines et des confinements. Mais, ce faisant, les autorités de ces pays ont une perspective trop restreinte. Cette grave erreur de jugement, si le tir n’est pas corrigé, viendra tous nous hanter plus tard.

Les souffrances que le COVID-19 laisse dans son sillage - les décès, les systèmes immunitaires affaiblis et le ralentissement des économies - seront les plus graves pour ceux qui sont les moins en mesure de se défendre, dans nos collectivités locales et mondialement. Pourtant cette vague d’infections risque d’être la première, mais pas la dernière. À mesure que le COVID-19 se propage dans des pays dotés d’institutions fragiles et de réseaux de santé défaillants, un très grand nombre de personnes pourrait mourir à brève échéance, y compris les millions de personnes vulnérables vivant dans des camps de réfugiés sans ressources où le désordre règne. Qui plus est, le virus pourrait devenir endémique.

Selon Jeremy Farrar du Wellcome Trust, là où le virus est apparu en premier, les statistiques de décès et de nouvelles infections commencent à fléchir à Wuhan en Chine qui est dans la 18e ou 20e semaine d’une épidémie de 20 à 22 semaines. L’Italie du Nord est peut-être dans sa 11e à 13e semaine et le Royaume-Uni dans sa 8e ou 9e semaine. Les pays vulnérables d’Afrique et d’Amérique centrale et du Sud sont par ailleurs dans leur 1re ou 5e semaine - le tout début de leur cycle épidémique.

Endiguer une pandémie nécessite un renforcement des maillons les plus faibles - dans chaque hôpital, collectivité, pays ou dans le monde entier. Il est donc dans l’intérêt de tous de renflouer d’urgence les réseaux de santé défaillants, qui doivent pouvoir traiter le déluge imminent de cas, mais également préparé pour des vagues futures de COVID-19 et des virus similaires.

De tels efforts doivent être déployés rapidement et à grande échelle, et ils doivent être structurés pour le pire scénario. Les autorités doivent utiliser des données de recherche et venir à bout d’un processus d’apprentissage ardu. Les slogans vides et les vagues intuitions n’y ont pas leur place. Les coûts d’une intervention vigoureuse sont modestes par rapport à ceux qui découleraient d’hésitations ou d’erreurs.

Le G20 doit prendre la tête d’interventions galvanisantes, comme celles prises lors de la crise financière de 2008. À son sommet 2009 de Londres, le G20 s’est rallié à un plan d’action à frais partagés qui a mobilisé les principaux intervenants et assuré que le système financier mondial continue de fonctionner. Une stratégie similaire est nécessaire aujourd’hui.

En premier lieu, une stratégie mondiale doit prendre en charge les initiatives de développement et de distribution de vaccins. La pandémie du COVID-19 a déjà suscité les échanges les plus rapides de connaissances scientifiques dans l’histoire de l’humanité, les revues scientifiques enlevant même les péages informatiques sur les articles pertinents.

Il n’y a aucune garantie que l’on trouvera un vaccin - nous n’en avons toujours pas pour le rhume, qui peut être provoqué par un autre coronavirus. Mais si l’on parvient à en développer un, il doit être produit en série et distribué dans le monde entier. Il faut éviter de s’engager dans des initiatives unilatérales comme celles de l’administration du président des États-Unis, Donald Trump - qui auraient tenté d’acheter les droits exclusifs de vaccins mis au point pas une société pharmaceutique allemande.

Une stratégie mondiale efficace doit également comprendre des informations sanitaires. Comme Tedros Adhanom Ghebreyesus le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le décrit à la dernière Conférence sur la sécurité de Munich, «Nous ne combattons pas seulement l’épidémie ; nous devons aussi nous battre avec une épidémie de fausses vérités» - un phénomène qui peut être aussi virulent que le virus, particulièrement dans les pays où les institutions sont moins solides. L’accent actuel mis sur la santé présente une rare occasion d’investir dans une campagne d’information de ce genre.

Pour y parvenir, les membres du G20 devront écouter les organismes internationaux et travailler avec eux - à commencer par l’OMS. Cet organisme a récemment essuyé de sévères critiques, comme pour les autres épidémies, mais la recherche d’un coupable est en grande partie mal orientée, malavisée et contre-productive. L’OMS demeure la seule institution pouvant donner une impulsion aux initiatives mondiales en matière de santé et inspirer la confiance nécessaire pour intervenir. Aller à l’encontre d’une telle institution ne peut se faire qu’au détriment de notre sécurité.

Sur le plan économique, le Fonds monétaire international - qui a fourni des fonds absolument nécessaires lors de l’épidémie Ebola de 2014-16 en Afrique de l’Ouest - s’est déjà engagé à mettre environ 50 milliards à la disposition de programmes de financement d’urgence à versements rapides. La Banque mondiale, qui a une longue feuille de route dans son appui aux soins de santé, a annoncé une première enveloppe de 12 milliards de $ en aide immédiate aux pays touchés par le coronavirus.

Finalement, le secteur privé et le monde de la philanthropie doivent se joindre aux efforts. Déjà, le Wellcome Trust, ainsi que la fondation Mastercard et la fondation Bill & Melinda Gates ont annoncé le programme d’accélération des traitements du COVID-19 - une initiative de 125 millions de $ pour trouver des traitements potentiels des patients infectés par le virus, accélérer leur mise au point et préparer la production de millions de doses à distribuer mondialement. Les partenariats public-privé - comme la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations et Gavi, l’Alliance du Vaccin, qui appuient la mise au point et l’administration des vaccins, respectivement - devraient être mis en branle.

Mais il reste un énorme manque de financement à combler. Le comité chargé de la surveillance de la préparation en cas de pandémie, le Global Preparedness Monitoring Board a réquisitionné au moins 8 milliards de $ en nouveau financement immédiat, dont 1 milliard de $ pour consolider les capacités d’intervention d’urgence de l’OMS, 250 millions de $ pour les mesures de surveillance et de contrôle, 2 milliards de $ pour la mise au point de vaccins, 1 milliard de $ pour la production sur place et la distribution des doses de vaccin et 1,5 milliard de $ pour les médicaments de traitement de patients infectés par le COVID-19.

Les ministres des finances du G20 doivent assurer les ressources nécessaires avant la prochaine réunion en avril. L’investissement nécessaire est infime par rapport aux coûts sociaux et économiques de l’inaction. Et une intervention conjointe efficace pourrait établir les bases d’un nouveau multilatéralisme plus agile qui serait beaucoup mieux armé pour relever les prochains défis planétaires, des changements climatiques à la prochaine pandémie.

Les historiens de demain jugeront de l’efficacité de nos interventions pour contrer la pandémie COVID-19. À moins que les dirigeants arrivent finalement à travailler de concert, l’histoire ne fera pas preuve d’indulgence dans son verdict.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Ancien économiste en chef de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement - Directeur de l’Institut des affaires internationales de la London School of Economics and Political Science