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Finances islamiques en Algérie : Comment et pourquoi ? Acte III (Suite et fin)

par Zerouali Mostefa*

- Le législateur pourrait enrichir le texte en spécifiant que les opérations des banques et guichets relevant de la finance islamique sont considérées comme des contrats commerciaux à marge bénéficiaire ou à rendement fixe ou variable tout en limitant ces rendements et marges. Il faut savoir par ailleurs que :

* Les opérations de leasing sont des opérations de location pures avec promesses unilatérales de vente

* Les opérations de Mourabaha sont des opérations de vente ou de vente à tempérament pure et non pas des opérations de prêt ou de crédit

* Les opérations de Moudaraba sont des opérations de conseils, d'assistance et d'expertise en investissement avec mandat global ou spécifique et non pas des opérations de prêt ou de crédit

* Les opérations de Moucharaka sont des assimilés à des participations directes définitives ou temporaires dans les fonds propres des projets et entreprises. Leur rémunération ou perte pourrait être définie proportionnellement aux rendements réels et commerciaux.

Article 20, 21 et 22 : Dépôts à vue et à terme vs confiance et investissement

Les dépôts collectés par les banques et guichets de finance islamique sont différents des dépôts de la banque tel que défini dans les textes réglementaires applicables aux banques et établissements financiers. En effet, dans la finance islamique trois catégories de dépôts sont généralement collectées :

- Dépôts simples de confiance , sont l'équivalent des comptes de dépôts sans intérêts ni affectation ni engagements et qui sont garantis par la banque. Ils sont généralement utilisés par celle-ci pour des opérations de financements de bienfaisance ( ) dont la rémunération provient essentiellement des commissions de gestion.

- Comptes d'investissement affectés

qui sont comme une sorte de compte d'investissement affecté à des domaines, des activités et des clients préalablement précisés et identifiés dans les contrats. La banque agit en tant que mandataire et n'a pas le droit d'investir ces fonds que dans les limites contractuelles, car c'est une forme de Moudaraba limitée, spécifique et orientée par le titulaire et propriétaire des fonds dans le compte. Seuls les titulaires peuvent perdre leur argent et la banque n'en perd pas. Mais, les banques ont trouvé des solutions techniques et contractuelles équitables pour limiter ces pertes ou pour les provisionner à partir de leurs propres revenus et réserves sous forme de dons ou de mutuelle (Takaful).

- Comptes d'investissement non affectés

qui sont la propriété de titulaires «investisseurs» et non pas «déposants», mais qui donnent la liberté aux banques de choisir les domaines, secteurs d'activité, projets et clients dans lesquels ils peuvent investir. Dans ce cas, les opérations de financements sont généralement syndiquées entre fonds propres des banques et fonds issus de ces comptes appartenant à leurs clients investisseurs. Il s'agit tout simplement de Moudaraba et Moucharaka. C'est là que le paradigme (P.P.P) prend tout son sens : Partage des Pertes et des Profits.

Le même principe de provisionnement ci-dessus est également pratiqué en cas de pertes. Dans ce cas, ce règlement renvoie aux dispositions d'un autre règlement 11-03 du 23 août 2003 pour le traitement des dépôts autres que les comptes d'investissement. À mon avis, le règlement ne voudrait pas préciser la dénomination des comptes, mais il s'agit de comptes de dépôt de confiance.

Les comptes d'investissement seront régulés par un dispositif particulier, probablement en cours d'élaboration. C'est une bonne chose. Enfin, l'obligation de notification, d'informations, de transparence et de compréhension des risques auxquels les clients pourraient être exposés est l'essence même de la pensée islamique encourageant les opérations commerciales consentantes et transparentes :

Tout contrat vicié par une quelconque forme de dissimulation est considéré comme illicite, illégitime et illégal. D'où la nécessité de recueillir le consentement explicite et conscient des clients pour toutes les opérations de finance islamique quelle que soit leur forme. Dans ce cadre, je propose au législateur d'examiner les voies suivantes :

- Pour les comptes de dépôt : Les pouvoirs publics doivent savoir que les banques islamiques ne font pas de création monétaire, mais agissent sur des actifs réels et déjà existants. Ces dépôts sont confiés par confiance pour des raisons de canalisation vers des projets et activités utiles et bénéfiques à la communauté musulmane au lieu d'être oisifs et thésaurisés. Ils ne sont rémunérés sous aucune forme, même s'ils génèrent des commissions de gestion pour les bénéficiaires des crédits de bienfaisance. Ils sont garantis par les fonds propres des banques. Une question se pose légitimement ici :

Les fonds propres des banques ayant opté pour un guichet islamique sont de quelle origine et comment seront traités ces dépositaires en cas de remboursement sur ces fonds ? Doter ces banques de fonds propres issus de sources licites est nécessaire dans ce cas pour garantir ces dépôts.

- Pour les comptes d'investissement globaux ou spécifiques le dispositif particulier qui sera promulgué aurait plus de chance d'aboutir à un cadre proche de Bâle III s'il est élaboré en concertation avec les professionnels et références normatives du métier. Il comprend de nombreux aspects techniques, mais éthiques très différents des normes des banques conventionnelles. Les instruments de provisionnement développés par ces professionnels sont pertinents et évoluent plutôt bien en concordance avec le comité Bâle. L'IFSB a réalisé des travaux extraordinaires et très détaillés dans ce domaine.

- Pour les aspects relevant des règles prudentielles, ce sont les définitions des contrats que les banques et leurs clients signent qui déterminent si oui ou non ils relèvent des contrats soumis aux textes bancaires.

D'où la nécessité de se diriger rapidement vers un code, un recueil homogène et une source unique qui détaille les règles applicables aux marchés de la banque et des finances islamiques.

En guise de conclusion, il me paraît que deux éléments essentiels doivent requérir l'attention des autorités et des pouvoirs publics pour garantir la réussite et le succès de leurs efforts d'inclusion financière, de drainage de l'épargne publique dans le circuit bancaire et de diversification des sources de financement de son économie et de ses finances publiques :

Tout d'abord, l'adaptation du cadre local et national aux pratiques et normes internationales en vigueur permettra d'aller plus loin et de mettre à profit toutes les évolutions et innovations financières, technologiques, juridiques et institutionnelles que l'industrie de la finance islamique a capitalisées depuis plus d'un demi-siècle d'existence.

Cette adaptation permettra également aux pouvoirs publics de mettre à contribution cette industrie pérenne et très stable pour mobiliser d'éventuelles ressources internationales sans en subir les inconvénients de l'endettement extérieur. Nous notons ici que l'État algérien détient d'importants actifs réels susceptibles d'être intéressés par les épargnants musulmans de par le monde via des émissions obligataires adaptées.

Ensuite, l'adaptation du cadre fiscal national aux spécificités de la finance islamique, à son caractère populaire et aux tares, ainsi qu'aux difficultés d'inclusion financière locales notamment par le biais de création de nouveaux impôts composés de notions issues de la Charia tels que la Zakat, le Waqf, la Sadaqah, le Ghan'm et le Kharadj afin de rapprocher les taux d'imposition conventionnels aux contributions dues par la finance islamique. Ceci encouragera grandement les citoyens, les petits épargnants et les commerçants lambda à s'intéresser, à s'impliquer, à se sentir obligés vis-à-vis de leur éthique et de leur morale, sans pour autant privilégier cette industrie d'une quelconque façon qu'il soit.

Adam Smith expliquait que le désir «d'épargne» naît avec nous et ne nous quitte que lorsque l'on est dans la tombe. Il est motivé par le désir d'amélioration de son prochain. La religion est la notion qui définit le mieux ce désir d'amélioration de son prochain.

* Ex-cadre de banque, consultant et conseiller en finance islamique. 

Note :

(10) Economiste et Philosophe britannique (écossais), 1723/1290, dans sa description des motivation de l'épargne.