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Benisaf: La cité balnéaire, touristique et scientifique oubliée (3ème partie)

par Benallal Mohamed*

  Commençant par un phénomène bien près de chez nous. Depuis belle lurette, la fréquentation des plages naturelles comme celle de Rachgoun mitoyenne avec celle de Madrid devenues de plus en plus suivie surtout pendant les périodes estivales. Selon des révélations historiques contenues dans le livre «l'Album des Benisafien», il fut décidé en 1959 d'ouvrir un chemin depuis «Chabat Ksaria», un sentier qui passerait au pied du château colonial et desservirait les deux plages sus-citées, c'est en ouvrant la plateforme de ce chemin qu'à la limite d'une vigne de l'actuel village ou quartier ex. domaine El Bradj (ferme serbe), une équipe d'ouvriers de la commune de Benisaf découvrit en février 1953 le site préhistorique appelé depuis l'Escargotière.

Pendant que se faisaient les travaux et leur avancement il a été découvert sur le talus nord-est un gisement spécifique composé d'amas de pierres polies de cendre et de coquilles d'escargots d'une quantité conséquente.

Une douzaine de squelettes calcifiés furent mis à jours çà et là. Les trouvailles de ce phénomène ont été peut-être reprises par la presse française de l'époque.

Cet état de fait historique montre bien d'après les archéologues de l'époque qu'il s'agissait bel et bien d'une «escargotière». Parait-il, d'une station préhistorique de l'époque néolithique, c'est-à-dire relative à la dernière période de l'âge de la pierre il y avait un peuplement de «l'homo ?médita-el-arbi contemporain et «l'acheuléen» qui se situe entre 10.000 et 8.000 ans avant notre ère. Cependant la mise en exploitation du port de la plage de Madrid pendant la période romaine et celle du port de Benisaf qui date de 1882 permettant le développement de la petite flotte de pêche avec la venue d'ailleurs de nouveaux pécheurs (espagnols), l'escargotière faisait encore fonction de commerce, restauration ou gargote pour les marins ; les historiens sont appelés à se prononcer anthropologiquement sur ce fait de façon plus scientifique.

La région est riche en ressources naturelles durables, des civilisations connues historiquement ont mis leurs empreintes dans cette région par voie de mode de production.

Par ailleurs une autre ressource naturelle qui a fait les beaux jours d'un certain temps pour la population de la ville de Benisaf , il s'agit de l'exploitation des moules, un produit de la mer qui avait embelli la gastronomie de la ville par des mets qui faisaient baver bien des êtres humains. Ailleurs les huitres faisaient références à la fête de Noël et du jour de l'An, à Benisaf, les moules consommées par les Benisafiens représentent toute une courte fête par son goût et sa saveur.

Les moules sont des organismes aquatiques très résistants et sont solidement fixés par des faisceaux de filaments appelées scientifiquement «byssus» servant pour se fixer solidement à un support de rochers ou épaves situés sur les rivages de mer. Les moules sont protégées par deux coquilles ; ils font partie de la famille des mollusques bivalves appelés communément «mytiloides» les Benisafiens et en particuliers ceux du quartier de Sidi Boucif les surnomment «Masionness», mot argotique venu d'Espagne.

Les moules se trouvent généralement dans des endroits naturels en mer ou dans des lieux d'exploitation ou aquaculture nommés «myciculture» ; la localité en mer où se trouvent les moules s'appelle le «banc de moules» ou plus précisément les «moulières». Les moulières ou bancs sauvages de moules sont situées à faible profondeur, parfois à fleur de l'eau. Jadis, le littoral benisafien sur les rivages de la mer Méditerranée, était riche en moulières et faisaient la joie et le plaisir pour tout un chacun de faire le cueillage en vue d'une éventuelle consommation d'un art culinaire. Actuellement, la pollution (les eaux usées, les vidanges d'huile des chalutiers et les autres saletés en plastique?) a détruit pratiquement tous les bancs de moules, et les moulières se font de plus en plus rares.

Les Benisafiens mangeaient ou plutôt dégusteraient souvent les moules, «gastronomiquement» parlant, il existe de très nombreuses recettes issues de l'art culinaire propre aux Benisafiens. Avec des moules le gastronome benisafien faisait des mets ; le plus simple, le plus ordinaire et le plus populaire est celui des moules au riz genre «paella» ou bien encore des moules en friture avec une sauce tomate ailée. Ailleurs en Belgique et surtout au nord de la France les repas de moules sont très réputés sinon populaires, ils les dégustent aux frites ; ils représentent un repas spécifique de la région.

Les moules peuvent être consommées crues, parfois arrosées d'une vinaigrette ailée pour un meilleurs goût, et une bonne saveur, parait-il, il est bon pour la santé.

La difficulté qui fait partie du style de consommation est alors d'ouvrir la coquille comme tous les coquillages bivalves, la moule encore vivante est difficile de l'ouvrir mais suite à la cuisante elle s'ouvre facilement.

Voila un produit de mer qui donne du goût, de la saveur et surtout du plaisir quant l'art gastronomique que l'on ne peut retrouver que chez ceux qui font des efforts pour l'avoir et le savoir-faire de ces mollusques.

C'est pendant la période du printemps et surtout de l'été que beaucoup de gens dans leurs redonnées du plaisir longeant le superbe littoral benisafien en profitant de la sorte à la cueillette des moules, ces randonneurs ne sont pas des pécheurs mais des amateurs qui aiment bien ce double plaisir pour une finalité ou la jouissance de déguster les moules qui n'est pas donnée à tout le monde.

En dehors de ces deux saisons, jadis, les moules étaient quand même disponibles par la grâce d'un exceptionnel pourvoyeur et ramasseur de moules dont il faisait son métier, qui faisait de lui une personne singulière de Benisaf devenue une icône qui fait partie de l'histoire restreinte propre de Benisaf. Ce fameux personnage se nomme Mr Benaouda Mohamed, son âge un peu trop avancé, très pauvre de nature, mais il savait s'imposer par ce fabuleux unique métier de ramassage de moules dans des endroits et dans des conditions inimaginables, à vrai dire il était impassible en tant qu'homme.

Son lieu préféré de ramassage des moules était un petit rocher de moins de 4m2 nommé «pédra marsionness» en plein milieu de la mer, à une centaine de mètres à la nage de la côte, ce rocher à fleur d'eau se situe entre la plage de Sidi Boucif et la jetée est du port de Benisaf ; «pedra marsionness» mot espagnol qui signifie pierres des moules, ce rocher bourré de moules à longueur d'années représente un véritable gisement exploité uniquement par Mr Benaouda. Vu le manque flagrant de petites barques à l'époque, la nage était son unique et principal moyen pour accéder à la ressource.

Pendant l'été ou en période du printemps la possibilité conditionnelle était permise pour le plaisir de nager et de cueillir par satisfaction les moules, c'est un charme que l'on pouvait avoir pour exister.

Seulement en plein hiver, le froid et une mer trop agitée, le métier de Mr. Benaouda dans des conditions pareilles ne permettait à quiconque d'aller à la nage jusqu'au rocher et passait plus d'une heure en train de cueillir des moules dans des conditions inconcevables, le temps de remplir un sac d'une contenance de 30 kg à 40 kg. Mr Benaouada le faisait quotidiennement et quelle que soit la nature du temps, il traversait à la nage la mer, sur le rocher il fait sa cueillette, remplit son sac, puis retourne à la nage avec son sac cette fois-ci rempli de moules. Le sac est accroché par une corde autour du cou il est tiré par la force du crawl jusqu'au rivage. Il mettait ses habits en haillons sans se nettoyer et balance son sac plein de moules sur son dos où dégouline la flotte d'eau de mer sur son corps. Pour accéder en ville, il escalade avec son sac pesant mis sur son dos, une gigantesque falaise de Sidi Boucif trop abrupte dont l'accès n'est pas aussi facile. Ensuite, il trimbale son sac à travers toutes les rues de la ville de Benisaf pour vendre sa marchandise en criant très fort «marssoness Gordos !» (grosse moules) pour attirer l'attention et l'envie des Acheteurs. Il n'avait pas de balance pour peser sa marchandise vendue, il préférait à vue d'œil offrir un poids plus que celui qui est sollicité, une façon de vénérer un surplus (offrande) de moules à l'acheteur que de se voir être maudit en disant à l'acheteur que «Dieu nous pardonne».

Sa convenance, son courage et sa sûreté de vivre durement avec «la sueur de son front » comme on dit bien chez nous «pour gagner son pain quotidien» était une ancienne culture de vivre honnêtement de son activité, la ville de Benisaf lui avait permis de lui donner un statut sans pareil.

A toute peine est dû un salaire

Ce métier comme tous les autres métiers, Benaouda l'avait exercé avec amour et nécessité jusqu'à son dernier jour sans répit dans des conditions inimaginables, il faisait la cueillette et la distribution commerciale qui lui prenait la journée entière il ne connaissait point de malaise, de faux-fuyant, de rhume, de grippe ou autres maladies et incommodités, son quotidien se manifestait avec le cri de «Marsoness Gordo», les conditions de son travail était très très dures, pareilles à sa peau très dure (écailleuse), semble-t-il. On nous racontait de lui que l'aiguille de la seringue de l'infirmier ne pouvait pénétrer dans son corps tellement sa peau était dure et coriace.

Cet être ou icône représente un patrimoine historique ineffaçable de la mémoire des Benisafiens ; son courage et son affront face à la nature et à la vie font de lui un exemple inouï, un personnage qui vit durement et honnêtement de son labeur, de ses bras, de ses sentiments, de sa raison d'être, de l'amour de son métier exceptionnel, de l'art de bien faire et de satisfaire une demande toujours croissante, il trouvait le goût et la bonté, le maigre salaire lui procurait toute une satisfaction de sa raison d'être et de son plaisir d'être heureux à sa façon.

A suivre

*Auteur et ancien cadre