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«Japonification»

par Akram Belkaïd, Paris

L’histoire dure depuis bientôt trois décennies. Le Japon, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’en finit pas de se traîner dans la stagnation économique. C’est le jugement sans appel de la majorité des économistes qui, statistiques à l’appui, déplorent régulièrement l’incapacité de l’économie nippone à renouer avec une forte croissance. Depuis le début des années 1990, la Banque centrale du Japon (Bank of Japan ou BoJ) tente, vaille que vaille, de relancer l’activité avec force injections liquidités. Le résultat n’est guère probant.

Risque de «japonisation»

 Pour mieux apprécier les résultats de sa politique monétaire, la BoJ, comme d’autres Banques centrales, fixe des objectifs d’inflation. Dans le cas japonais, il est de 2%. S’il est atteint, cela signifie que l’activité économique et la création de richesse sont à un niveau suffisamment élevé pour que l’institution financière commence à réduire l’injection de liquidités et donc à augmenter les taux d’intérêts. Or, l’inflation japonaise affiche une courbe d’évolution plane en étant, en moyenne, inférieure à 1% (inférieure à 0,6% hors énergie). Autrement dit, la politique de la BoJ se solde par un échec. Si l’on relit les déclarations successives de ses présidents, on se rend compte que la même phrase revient de manière périodique : «l’inflation devrait augmenter dans trois ans». Elle devait ainsi reprendre un chemin ascendant en 2012, puis en 2015 puis en 2018. Aujourd’hui, la BoJ évoque 2022...

 Face à cette incapacité de reprendre le chemin de la croissance forte, les économistes parlent désormais de «risque de japonisation» (japanification risk, en anglais) pour évoquer des économies qui, sans être en récession, tournent au ralenti et restent marquée par la déflation (inflation basse, faible croissance). Le terme est ainsi régulièrement appliqué à l’Union européenne ou, plus exactement, à la zone euro. Tout y indique une ressemblance avec la situation japonaise à part, peut-être, des gains un peu plus marqués (mais pas trop, non plus) en matière de productivité. Autre point de comparaison possible. Même si le Japon est bien plus concerné, la zone euro n’échappe pas, elle aussi, à la décrue nataliste. On le sait, quand il s’agit de pays développés, une démographie en berne couplée à un vieillissement important de la population ne constituent pas les meilleurs facteurs de prospérité.

Nouveau paradigme

Mais une question se pose. Et si, finalement, le Japon préfigurait ce qui attend nombre d’économies ? Certes, il reste un nombre important de pays qui ont encore des progrès à faire et des rattrapages à accomplir. Mais dans un monde fini, où la consommation des ressources et la destruction de l’environnement semblent désormais échapper à tout contrôle, le Japon s’est peut-être installé dans un nouveau paradigme qu’il conviendrait de cesser d’accabler de tous les maux. Une croissance faible ? Certes, mais ce n’est pas non plus la récession d’autant que le chômage reste contenu. Une inflation faible ? Quels sont les ménages qui vont s’en plaindre ? Des taux d’intérêts bas ? Qui, à part les banques, s’en préoccupe. Autrement dit, et si la «japonification» constituait l’évolution naturelle de toute économie ayant atteint les limites de son potentiel d’expansion ?