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Un vieux métier que nous ne savons plus faire

par Kamel DAOUD

Qu’est-ce que la politique ? C’est ce que nous n’avons jamais pu apprendre à faire. C’est un peu deux voies aux yeux de l’Algérien : «faire de la politique» c’est contester inutilement, couper les cheveux en quatre, prendre des risques ou perdre son temps, ou marauder ou éviter de travailler. La seconde définition est : manœuvrer, gagner plus en faisant moins, pousser vers son apogée la vision de la débrouillardise, contourner, tricher, parvenir, être recruté dans le jeu de la rente, se transformer en «colon» après avoir vécu en colonisé. Trahir et devenir Caïd d’antan ou indicateur d’aujourd’hui. C’est un peu des définitions universelles mais aussi algériennes. La première est voulue par le Régime, la seconde est perçue par la paresse ou le fatalisme.

Du coup, aujourd’hui, avec un Régime moribond, on se retrouve dans le vertige : comment faire de la politique après la «mort» de Bouteflika ? D’autant que nous avons, pas tous mais une majorité, cultivé cette vision du rebelle assisté. Du révolté qui a besoin de la permanence de l’objet de sa révolte. Le Régime nous sert à l’explication du «tout est la faute du régime» et donne aussi son prétexte à un confort d’opposant. Par d’étranges noces, on se retrouve redevables au régime, pour notre révolte, par son existence.

Aujourd’hui, nous sommes, donc, bien seuls et désemparés : il nous faut faire de la politique et nous ne savons pas. Nous marchons, ce qui est le premier pas, mais nous marchons aussi en rond. Du coup, cela aboutit à un étrange spectacle : le Régime est solidaire et organisé, nous sommes légitimes et éparpillés. Notre désunion est sacrée et l’union du Régime est scélérate mais solide et «légale».

Que faire alors ? Commencer par investir les associations, en créer, faire campagne autour de soi, parler aux siens, exposer des idées, s’encarter dans un parti, faire une conférence, aller dans les villages.

Si on ne commence pas par faire de la politique, d’autres la feront à notre place. Et ils sont deux : le Régime et les populismes islamistes. Les deux savent vendre les cimetières ou le paradis. De bons courtiers de l’invisible des morts ou de Dieu.

La situation, comme on aime la désigner, est inquiétante : la Révolution va avoir un coût économique et en temps et si elle continue dans son nihilisme, elle va profiter aux radicalités et aux épuisements. On finira chacun avec un drapeau ou une valise ou une mosquée sur le dos.

Il devient nécessaire de faire de la politique même si c’est un métier mal vu par la morale et privatisé par le Régime. Une journée pour marcher et une journée pour se reposer et cinq jours pour faire le reste. Le Régime veut en garder le monopole et cela est de bonne guerre mais c’est aussi un métier pour tous, pour chacun.

Le «il faut qu’ils partent tous» est valable pour nos habitudes anciennes aussi. Dans notre vie quotidienne. Un par un. Chaque minute. Et c’est difficile de chasser un Régime et si difficile de ne pas finir par lui ressembler.