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Transition constitutionnelle ou comment instaurer une nouvelle République ? (1ère partie)

par Mourad Hamdan*

  «L'opinion publique est souvent une force politique, et cette force n'est prévue par aucune constitution.» Alfred Sauvy (Démographe, économiste, Scientifique, Sociologue (1898 - 1990))

Constitutionnalisme

«Ce qui compte, c'est moins l'égalité (devant la loi ou devant la justice) que la prééminence du droit et de la Constitution ».

Apparu au siècle des Lumières, le mouvement de constitutionnalisme fait part de la nécessité de la présence d'une Constitution dans un Etat. Après des siècles de monarchies, où seul le souverain pouvait exercer son pouvoir en appliquant, de façon variable et imprécise, un Droit coutumier, la notion de Constitution se base sur le contrat social dès le 16ème siècle. Alors, la mise en place d'un texte régissant et définissant les règles sur la forme de l'Etat, l'organisation de ses institutions, la dévolution et les conditions d'exercice du pouvoir s'impose comme un vecteur d'unité nationale et du respect des « droits inaliénables, naturels et sacrés » du citoyen. L'objet de la Constitution est de séparer les pouvoirs, c'est-à-dire organiser le système politique de façon à ce que les fonctions juridiques de l'État soient réparties entre plusieurs autorités. La séparation des pouvoirs procède, donc, d'un choix politique qui reste la base de l'organisation de la plupart des États. Le but de la séparation des pouvoirs est de mettre en place un gouvernement modéré, garant de la liberté politique. Il ne peut être atteint que par des mécanismes de freins et de contre ? poids : checks and balances selon les Américains.

Concepts fondamentaux

1- Nation

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui n'en font qu'une la constituent : l'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l'héritage qu'on a reçu individis », dixit Ernest Renan. La «nation», selon Yves Alpe et Jean-Renaud Lambert «vient du latin natio qui renvoie à l'idée de peuple et de « race » et à l'idée de naissance. Il est difficile de définir la nation sans faire référence à l' « État-nation » et au « nationalisme ». Pour les spécialistes, il existe deux définitions, normalement acceptées par la communauté scientifique. La première perçoit la « nation » comme une conception « ethnique », qui considère un groupement humain qui partage langue et culture (parfois aussi la religion). Dans cette logique la « nation » est liée au sol et au sang ou filiation de sang (race). La seconde discerne la « nation » comme une « élection », au-delà de la race, le sang ou le sol ; la « nation » est saisie alors comme une construction socio-historique qui résulte de la volonté de plusieurs individus pour vivre ensemble, sous les mêmes lois et dans le même territoire. À ce propos, Tzvetan Todorov nous rappelle que « toute nation est une entité politique et culturelle à la fois ». Force est de constater qu'il nous faut penser la « nation » comme une communauté politique imaginée, limitée et souveraine. Toute communauté, évoluant en communion et en harmonie, est, d'une certaine manière, projetée dans le temps ; il ne s'agit pas de savoir si elle est vraie ou fausse, mais de saisir, au contraire, qu'elle est partagée par des individus évoluant dans un imaginaire social. Elle est aussi limitée, car si elle a des frontières, extensibles et mobiles, il n'existe pas de nations avec des ambitions universelles. Enfin, la « nation » est souveraine parce qu'elle est la fille des Lumières et donc héritière d'une idée plus élaborée de la souveraineté que celle de l'Ancien Régime où la souveraineté reposait sur une « volonté divine ». Cela explique d'ailleurs qu'elle soit conçue comme une communauté avec un profond sentiment d'appartenance, de fraternité, d'égalité et de solidarité.

2- État

L'État se définit comme une personne morale de droit public dite souveraine sur les plans interne et externe. Cela signifie qu'on lui reconnaît la capacité d'exercer le pouvoir suprême à l'intérieur de ses frontières, et la capacité d'agir en droit international. C'est donc une fiction juridique construite pour servir de cadre et d'instrument à l'exercice de la souveraineté sur une population située sur un territoire et dotée d'un gouvernement. L'État c'est à la fois une réalité humaine, c'est ensuite une réalité sociologique et ça a des conséquences juridiques puis politiques. Les termes d'État, de nation et de pays sont différents. L'État est la seule notion juridique pour décrire ce phénomène historico-politique, la nation historiquement c'est le point de départ de l'État, ce qu'on appelle le « vouloir vivre politique » (Renan), c'est pourquoi on a pu dire que l'État c'était la traduction juridique de la volonté de la population. C'est l'origine, l'étymologie du mot « État » qui vient du latin « status » : ce qui se tient debout (statue), ce qui est établi mais c'est aussi l'acte par lequel on établit quelque chose, ce qui donne le mot « statut » en français (permet juridiquement de définir une association, une entreprise?). Le terme État est à la fois la juridisation d'un fait historique et politique et qui découle de son statut (la Constitution). L'Etat est le point de départ d'un système de règles de droit. C'est le dérivé de ce terme-là, c'est quelque chose qui est institué, créé et qui, dans la conception post 18ème siècle, repose sur un acte fondateur (sa Constitution). Le terme d'État manifeste le fait que cette organisation de la société est une abstraction juridique : c'est le moyen de dissocier l'Etat comme entité, comme institution de ceux qui exercent le pouvoir dans l'Etat à un moment donné. L'État perdure étant donné qu'il est dissocié des gouvernants. Sans continuité de l'État, il n'y a pas de démocratie car elle suppose l'alternance politique (changement de gouvernants), qu'on peut changer de députés, or s'il n'y avait pas cette continuité il n'y aurait plus d'élections car on ferait « tomber l'État ». L'État est donc le seul cadre possible pour que la démocratie existe. L'État existe indépendamment de ceux qui le gouvernent. L'État est donc pérenne, ses actes durables, les textes juridiques demeurent applicables tant qu'il n'est pas décidé de les faire disparaître. L'État moderne, à savoir l'État rationnel n'a pu véritablement s'imposer qu'en Occident, et ce, grâce au libéralisme. Cet État rationnel est le résultat d'une alliance pragmatique et stratégique entre le capital bourgeois national, le droit formel (romain et moderne) et l'État lui-même. Max Weber atteste en ce sens: « nous entendons par État une entreprise politique de caractère institutionnelle, lorsque et en tant que sa direction administrative revendique, avec succès, le monopole de la violence physique légitime ». Ainsi, l'État et la politique marchent ensemble; l'État étant le domaine des hommes qui empruntent la voie de l'exercice et de la violence légitime. Seul l'État peut exercer la violence, la coaction n'étant pas l'unique moyen employé mais celui qui le caractérise. Pour cela, il a besoin de former une bureaucratie qui hiérarchise la société. Cette conception d'un État moderne, rationnel et bureaucratique, est née au cours du 19ème siècle et s'est développée tout au long du 20ème.

3- État-nation

On appelle « État-nation » un État qui coïncide avec une nation établie sur un territoire délimité et défini en fonction d'une identité commune de la population qui lui confère sa légitimité. C'est un concept politique qui est la rencontre d'une notion d'ordre politique et juridique (l'État) et d'une notion d'ordre identitaire (la nation). Il se caractérise par une autorité fondée sur une souveraineté émanant de citoyens qui forment une communauté, à la fois politique et culturelle (ou ethnique). L'État-Nation suppose un attachement fort de la population au modèle national et donc aux structures politiques et étatiques. Ainsi, le sentiment national n'est pas figé et fluctue en fonction du contexte socio-politique du pays. Si bien qu'à notre époque, la diffusion d'un modèle politique commun notamment, dans les pays occidentaux (la démocratie) ainsi que d'un même système économique, tend à uniformiser les comportements, les façons de vivre et influence la conception du pouvoir, même si dans certains pays le sentiment national a encore une place très importante. Il s'agit de s'interroger dans quelles mesures l'État-Nation dépend-il du contexte politique, social et historique dans lequel il se trouve, d'étudier le concept d'État-Nation et le rôle politique de l'État par rapport à la nation puis de voir comment le rôle respectif de l'État et de la nation est influencé par la politique, l'idéologie et l'économie.

L'État-Nation n'a pas une seule âme (pour ainsi dire ? et au-delà de toute ambiguïté) qui serait idéale, liée au patriotisme et aux passions de l'identité. Il possède, aussi, une âme que l'on pourrait appeler matérialiste ? dans laquelle l'identité et le patriotisme trouvent, souvent, leur expression à travers l'égoïsme et l'agressivité à l'égard d'autrui. L'État-Nation moderne, il ne faut pas l'oublier, naît du romantisme, comme une lutte contre le jacobinisme révolutionnaire et l'expansionnisme napoléonien, contre les Lumières révolutionnaires (et leur dérive) ; mieux encore : il traduit l'affirmation de l'identité nationale en un principe « réactionnaire » par rapport à l'universalisme, c'est-à-dire en un principe de différence, et souvent d'exclusion, pour tous ceux qui, du point de vue du sol ou du point de vue du sang, n'en font pas partie. L'État-Nation se lie étroitement au développement du capitalisme.

Les grands États souverains de la modernité ? la Grande-Bretagne et la France ? avaient déjà donné lieu à l'accumulation primitive du capital ; ils avaient aussi renversé les résistances de la dimension commune et des usages agraires pré-capitalistes en favorisant les processus d'accumulation manufacturière. Mais, bien au-delà de ce qu'ont été cette expropriation des commons et de l'accumulation primitive, ce n'est que dans le cadre de l'État-Nation moderne que des formes juridiques, administratives et politiques, adaptées à la stabilisation de la croissance capitaliste et à la formation de l'État bourgeois, s'organisent. En bref : l'âme contre-révolutionnaire et anti-illuministe qui avait été à la base de la formation des idéologies et de la plus récente formation de l'État-Nation, cette âme, donc, sous la poussée du développement capitaliste, s'incarnera dans des figures qui n'étaient, peut-être, pas nécessairement très prévisibles au départ, mais qui ont été très rapidement considérées comme fondamentales dans l'exercice du pouvoir étatique et dans le développement du pouvoir économique « de classe ». Ces figures ont également été décisives pour maintenir l'unité de la nation, face aux difficultés de l'accumulation et aux déchaînements de la lutte des classes. C'est dans cette situation que l'État-Nation européen libère pleinement sa propre vocation. Il s'agit là des figures de la conquête coloniale, des pratiques de l'agression impérialiste, des productions idéologiques fascistes, pour arriver finalement jusqu'à la production de monstrueuses machineries de guerre auxquelles on a voulu lier l'existence même de la nation.

4- Peuple

Au cours des créations des États-Nations modernes ? et plus particulièrement dans les nations des citoyens contemporains (avec une diversité pluraliste et hétérogène dans leurs racines, leur démographie, leurs traditions, leurs cultures et leurs langues) ?, le concept de « peuple » a évolué pour se placer dans le domaine du droit constitutionnel. Ainsi, sa définition est assez complexe, controversée et non sans ambiguïté; mais ce concept se trouve de nos jours aux origines de systèmes juridiques modernes et de la pensée politique libérale occidentale. Le vocable « peuple » est issu du latin populus, signalant ainsi l'ensemble des citoyens ayant le pouvoir de voter dans la constitution romaine, et qui s'oppose à la plèbe. Dès lors, le « peuple » désignait l'ensemble des citoyens dans la Rome antique. Avec le temps, d'autres conceptions plus modernes du terme ont surgi. Ainsi le « Peuple» peut être compris comme l'ensemble d'individus vivant au sein d'une nation, d'une région ou d'une localité spécifique.

Le « peuple » peut être compris également comme une identification ethnique (raciale ou culturelle), surtout dans les expressions de « peuples originaux » ou de « peuples autochtones ». Parler de « peuple », de « nation » ou d'« État » n'est pas chose aisée. De même, tenter de le conceptualiser de façon scientifique n'est pas possible car ces concepts sont des créations sociales et historiques, des sujets qui évoluent et changent. « Peuple », « nation » et « État » sont des outils sociaux, des artefacts culturels créés et utilisés par une certaine classe sociale particulière, généralement la dominante, avec l'idée de garder ses privilèges et l'hégémonie au sein d'un groupe social défini.

A suivre...

*Consultant en management