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La main invisible du baron: El Hadj el Maghribi

par M. Nadir

  Près de 650 kg de résine de cannabis, deux barons de la drogue -un Algérien et un Marocain- six accusés, dont trois originaires de Bouira, sept véhicules, un président d'audience extrêmement tatillon et une défense très alerte ont été les ingrédients d'un long procès qui s'est déroulé mercredi dernier au tribunal criminel d'Oran. Après huit heures d'audience, quatre des mis en cause ont été condamnés à 20 ans de réclusion criminelle, deux ont été acquittés et un accusé a écopé de la prison à perpétuité par contumace.

Au départ, un renseignement?

L'affaire des 649 kg de résine de cannabis démarre en septembre 2015 par un renseignement parvenu à la gendarmerie de Bir El-Djir sur l'existence d'un réseau de trafic de stupéfiants activant entre Oran et l'est du pays. L'enquête aboutit à l'interpellation de plusieurs suspects dont les plus importants sont G. Youcef, 38 ans, B. Arif, 35 ans, K. Rabah, 28 ans et B. Abdelkrim, 43 ans. Dans la maison louée à Bir El-Djir par Youcef, dit Youyou, les enquêteurs trouvent un fourgon Renault Master, 649 kg de kif traité et la somme de 255 millions de centimes qu'ils considèrent comme provenant de la vente de drogue. K. Rabah, propriétaire du Renault Master, originaire de Bouira, est interpellé dans la maison de B. Arif, originaire de la même wilaya, chez lequel il devait passer la nuit. Soupçonné de faire partie du réseau de trafic de drogue, Arif est arrêté dans la foulée de la perquisition qui permet de trouver 170 millions de centimes.

Abdelkrim sera interpellé à Canastel alors qu'il est en train de charger dans un autre Renault Master des meubles du frère de Rabah qui venait de déménager. Deux autres personnes seront interpellées : M. Djelloul, 59 ans, transporteur clandestin, et Z. Ahmed, 62 ans, commerçant mais aussi cambiste connu sur la place d'Oran.

Inculpation

Après investigations, les enquêteurs en sont arrivés à cette thèse selon laquelle ces suspects appartiendraient à un réseau de trafic de drogue chapeauté par un certain D. Samir, baron algérien ayant quitté l'Algérie 10 jours avant la vague d'arrestations. En cheville avec l'un des plus grands exportateurs de kif marocain, le fameux Noureddine, dit El Hadj el maghribi, D. Samir aurait chargé G. Youcef de veiller sur la drogue qui transite par Oran, avant que K. Rabah ne la convoie vers Alger, dans son fourgon transportant des haut-parleurs et divers instruments de musique. Arif est suspecté d'être l'élément chargé de sécuriser la route, Djelloul le collecteur de fonds générés par la vente de la substance prohibée et Ahmed celui qui transfert l'argent aux complices marocains. Abdelkrim, lui, serait un acolyte auquel Rabah recourrait épisodiquement, selon les besoins.

Après instruction, tous seront inculpés pour importation et trafic de drogue en bande organisée suivant les articles 19 et 17 (alinéa 1 et 3) de la loi 18-04 relative à lutte contre le trafic de stupéfiants.

Aveux

Hormis G. Youcef qui -après quelques tergiversations et une tentative de faire reporter le procès qui a fait bondir de leurs chaises bon nombre d'avocats- a fait des aveux complets en justifiant ses actes par une situation sociale difficile, tous les autres accusés ont clamé leur innocence. «Je n'avais pas de maison et D. Samir en a profité pour me manipuler. Il a dit qu'il me louerait une maison à Bir El-Djir mais que je devais veiller sur un garage situé à proximité. Il m'a présenté Arif comme étant un ami proche en me précisant qu'il viendrait de temps en temps. C'est plus tard que j'avais compris qu'ils activaient dans la drogue», dira-t-il en affirmant avoir vu Arif décharger des quantités de kif dans le garage : «Je ne pouvais rien faire, j'avais peur pour les miens», tentera-t-il de plaider. Il confirmera avoir assisté à plusieurs livraisons de drogue dans le garage en question, transportée par des voitures dotées de cachettes aménagées, et admettra avoir lui-même exécuté des transferts de kif à Alger. De même qu'il impliquera Arif dans toutes les opérations auxquelles il aura assisté ou accomplies, il niera connaître K. Rabah. Cependant, il affirmera que c'est Arif et Rabah qui ont chargé la drogue dans le Master qui se trouvait dans le garage.

Démentis

Ce que B. Arif niera tout en rejetant l'ensemble des accusations qui pèsent sur ses épaules. Il dira qu'une nuit, il avait été contacté par Rabah qui se trouvait à Canastel : «Il m'a dit qu'il pensait être suivi et qu'il avait peur de se faire braquer parce que son véhicule avait une immatriculation étrangère à Oran (16, Ndr). Je suis allé le chercher en compagnie de Youcef, il a mis son véhicule dans le garage et nous sommes partis chez moi. C'est là que nous avons été arrêtés».

Rabah confirmera les déclarations de Arif en niant une quelconque implication dans le trafic de drogue : «Je vends des instruments de musique que je transporte un peu partout dans le pays».

Abdelkrim -également originaire de Bouira - dira avoir été appelé à la rescousse par Rabah qui se plaignait de l'embrayage du Master : «Il m'a demandé de le rejoindre à Yellel à bord du second Master. Nous avons chargé les instruments de musique dans le second fourgon et j'ai pris le sien. Je suis mécanicien de formation et comme j'ai vu que la panne n'était pas très sérieuse, j'ai continué jusqu' à Oran pour récupérer le mobilier du frère de Rabah qui avait déménagé», expliquera-t-il en affirmant ne rien savoir de la drogue.

Quant à Z. Ahmed et M. Djelloul, ils diront ne rien comprendre à ce qui leur arrive étant donné qu'ils ne connaissent pas les autres accusés et qu'ils n'ont rien fait d'illégal.

Un réseau bien huilé

Ce qui n'empêchera pas le ministère public de requérir la perpétuité pour l'ensemble des accusés, considérant qu'ils constituent un réseau aux mécanismes bien huilés, chacun jouant un rôle bien précis. Dans son bref réquisitoire, le magistrat rappellera la saisie des 649 kg de kif et d'importantes sommes d'argent, la découverte de véhicules dotés de caches spécialement aménagées pour le transport de stupéfiants pour conclure que les faits ne souffrent d'aucune ambiguïté. Il ne fait aucun doute que les accusés sont coupables des graves accusations qui leurs sont reprochées.

La défense, elle, a d'abord tenté de démonter la charge d'importation de drogue, dont les éléments constitutifs, dira-t-elle, n'ont pas été démontrés : «Qui est allé au Maroc pour faire rentrer la drogue ?», s'est-elle interrogée en tentant également de battre en brèche l'accusation de trafic en bande organisée qui implique une structure importante, hiérarchisée, puissante et dotée d'importants moyens d'action.

Bien entendu, l'avocat de G. Youcef plaidera les circonstances atténuantes pour son client qui, dira-t-il, a été une proie facile pour D. Samir en raison de son problème de logement.

De la présomption d'innocence

Toutes les autres robes noires demanderont l'acquittement de leurs clients respectifs pour absence d'éléments de culpabilité probants. Au cours d'une intervention «didactique», un avocat au long cours avertira le tribunal contre les préjugés qui ne servent ni la justice ni l'Etat de droit. Il regrettera que les avancées, enregistrées sur papier dans le sillage de la réforme de la justice, ne se soient pas encore traduites sur le terrain : «L'instruction reste insuffisante et les arrêts de renvois sont toujours bâtis sur les PV de la gendarmerie ou de la police», déplorera-t-il, ce qu'il considère comme un travail à charge qui ignore les droits des accusés. Et cela en contradiction avec le principe de la présomption d'innocence qui doit toujours prévaloir.