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Note de conjoncture de l'économie algérienne, 2017/2018: Balance commerciale, balance des paiements et projet de loi de finances 2018

par Abderrahmane Mebtoul *

Partant des données statistiques officielles publiées entre janvier et novembre 2017, les projetant pour donner un aperçu de la clôture fin 2017, cette note de conjoncture est une brève synthèse de l'évolution de la balance commerciale durant les neufs premiers mois de 2017, de la balance des paiements, seul document de référence fiable durant le premier semestre 2017 et les axes directeurs de l'avant-projet de loi de finances 2018.

1.- La balance commerciale

Les exportations ont été évaluées à 25,79 milliards de dollars (mds usd) sur les 9 premiers mois de l'année 2017 contre 21,82 mds usd sur la même période de 2016 (+18,2%), en hausse de 3,97 mds usd, selon les données du Centre national de l'informatique et des statistiques des Douanes (CNIS), effets positifs dus essentiellement à la remontée du cours du pétrole. Concernant les importations, elles ont connu une légère baisse en s'établissant à 33,92 mds usd contre 34,93 mds usd (-2,9%), en baisse de 1,01 md usd, montrant que les mesures restrictives ont eu un impact mitigé. Aussi, le taux de couverture des importations par les exportations, il est passé à 76% contre 62% à la même période. Les hydrocarbures continuent de représenter l'essentiel des ventes algériennes à l'étranger. 94,66% du volume global des exportations, en s'établissant à 24,41 mds usd contre 20,52 mds usd sur la même période de 2016, soit une hausse de 3,89 mds usd toujours grâce à des effets externes. Les exportations hors hydrocarbures marginales composées des demi-produits avec 973 millions usd (contre 982 millions usd), des biens alimentaires avec 277 millions usd, des biens d'équipement industriels avec 61 millions usd, des produits bruts avec 51 millions usd, des biens de consommation non alimentaires avec 15 millions us et des biens d'équipement agricoles avec 0,16 million us. Les lignes de crédit ont financé les importations pour un montant de 12,01 mds usd (35,42% des importations), tandis que les comptes en devises propres ont été utilisés pour des importations de 7 millions usd (0,02%). Le reste des importations a été financé par le recours à d'autres moyens de paiement à près de 1,2 md usd (3,6% des importations). Les cinq premiers clients de l'Algérie, au cours des neuf premiers mois de 2017, ont été l'Italie avec 4,22 mds usd (16,4% des exportations globales algériennes), suivie de la France avec 3,17 mds usd (12,31%), de l'Espagne avec 2,79 mds usd (10,81%), des Etats-Unis avec 2,34 mds usd (9,1%) et du Brésil avec 1,6 md usd (6,22%). Quant aux principaux fournisseurs de l'Algérie, la Chine est encore venue en tête avec 6,56 mds usd (19,4% des importations globales algériennes), suivie de la France avec 3,07 mds usd (9,06%), de l'Italie avec 2,58 mds usd (7,62%), de l'Allemagne avec 2,29 mds usd (6,74%) et de l'Espagne avec 2,28 mds usd (6,71%). Comme résultante, le déficit commercial de l'Algérie a reculé à 8,14 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de 2017, contre un déficit de 13,11 milliards de dollars sur la même période de 2016, soit une baisse de 4,97 milliards de dollars correspondant à un recul du déficit de 37,94%. Avec la même tendance, les importations de biens fluctueront entre 42/45 milliards de dollars fin 2017 et les entrées de devises entre 31/33 milliards de dollars.

2.- La balance des paiements

Mais le document le pus fiable est la balance des paiements qui retrace le flux de biens (commerce extérieur des marchandises), de services, de revenus, de transferts de capitaux et les flux financiers réalisés entre l'Algérie et le reste du monde, représentant l'ensemble des entrées et sorties de devises entre l'Algérie et les autres pays. Selon le gouverneur de la Banque d'Algérie pour le premier semestre 2017, le poste services hors revenus des facteurs qui se compose notamment des prestations techniques assurées par les étrangers en Algérie (études, etc.), le transport assuré par les transporteurs étrangers pour les marchandises importées par l'Algérie (armateurs, etc.) et les assurances à l'international, est évalué à 4,47 milliards au 1er semestre 2017, 3,84 mds au même semestre de 2016. Ainsi le poste services souvent oublié a représenté entre 2010/2016 entre 10/11 milliards de dollars/an et devrait s'établir avec la même tendance à 10 milliards de dollars fin 2017. Le poste transferts nets (dons, retraites et pensions?), s'est élevé à 1,48 md usd, en hausse de 7,01% par rapport au 1er semestre 2016, dans un contexte de légère dépréciation de l'euro face au dollar. Quant au solde du compte capital et opérations financières, il a affiché un excédent de 0,971 md de dollars (contre un excédent de 0,15 milliard au 1er semestre 2016). Concernant le poste revenus des facteurs, comprenant notamment les bénéfices rapatriés vers l'extérieur par les entreprises étrangères activant en Algérie, les bénéfices réalisés par les sociétés algériennes à l'étranger, le déficit a diminué à 1,23 md usd contre 1,31 md de dollars, en raison principalement de la hausse des revenus perçus sur les réserves de change (hausse des taux d'intérêt et plus-values de cession de titres). Comme résultante, le solde global de la balance des paiements de l'Algérie a affiché un déficit de 11 milliards de dollars au 1er semestre 2017 contre un déficit de 14,6 milliards de dollars au même semestre de 2016, selon le gouverneur de la Banque d'Algérie, et devrait être proche de 20 milliards de dollars à la fin de 2017, avec un impact sur le niveau des réserves de change qui seront entre 94/97 milliards de dollars fin 2017, si le cours de pétrole se maintient entre 55/60 dollars durant le dernier trimestre 2017. En fin de compte, les sorties de devises (biens, services et transferts légaux de capitaux) devraient fluctuer entre 55/57 milliards de dollars.

3.- Qu'en est-il du projet de loi de finances 2018 ?

Selon le ministre des Finances, l'économie nationale devra faire face à plusieurs défis, à la lumière de la contraction de la liquidité, l'épuisement de l'épargne publique, à compter de février 2017, et un recul des réserves de change, en raison de l'effondrement des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux ayant conduit à une réduction des recettes et mettant le Trésor public sous pression.

a.- Le projet de loi de finances 2018 (PLF) se base sur un prix référentiel de 50 dollars le baril de pétrole et des prévisions de change de 115 DA contre un dollar. Le déficit budgétaire est estimé à - 9,2% du PIB et selon le ministre des Finances, la loi donne la priorité au budget de l'équipement qui a connu une hausse de 60%. Le PLF 2018 prévoit des dépenses globales de 8.628 milliards de dinars composées de 4.043,31 mds DA de dépenses d'équipement et de 4.584,46 mds DA de dépenses de fonctionnement. Pour ce qui est des recettes budgétaires, elles se situent à un seuil de 6.496 milliards de dinars, contre 5.635,5 mds DA en 2017. 3.688,68 milliards DA sont des ressources ordinaires et 2.807,91 milliards DA ont pour origine la fiscalité pétrolière. Ce qui donne un déficit global de 2132 milliards de dinars.

b- Selon le ministre des Finances, le Fonds de régulation de recettes (FRR) pourra, à partir de 2019, financer le déficit du Trésor public, étant attendus des approvisionnements positifs à compter de 2020 avec des fonds avoisinant 276,4 milliards de dinars. La raison invoquée par le ministre est que les niveaux des équilibres financiers mondiaux seront moins risqués en 2018, comparativement à 2016 et au premier semestre de 2017 avec l'augmentation du taux de croissance mondiale en 2018 (3,6%). Miser sur une demande exponentielle est un scénario risqué car le monde devrait connaître de profondes mutations dans sa structure de production et ne s'orientant pas nécessairement vers une consommation intensive d'énergies fossiles classiques.

c- Le gouvernement postule l'hypothèse de la stabilisation des prix du baril du pétrole avec un cours entre 50 et 55 dollars le baril et que le taux de croissance de l'économie nationale pour le prochain exercice atteindra un niveau de 4% en 2018, 4,2% et 4,6% en 2020, sans préciser quels seront les secteurs qui impulseront cette croissance. Par ailleurs, toujours selon le ministre des Finances, les recettes des hydrocarbures devraient atteindre 34,4 milliards USD en 2018, 38,3 milliards USD en 2019 et 39,5 milliards USD en 2020, et pour les importations de marchandises, contredisant le ministre du Commerce, elles devraient être de 43,6 milliards USD en 2018, 41,4 milliards USD en 2019 et 40,9 milliards USD en 2020. Ces hypothèses sont-elles réalisables sachant qu'en 2017, le secteur industriel, selon l'ONS, représente 6% du PIB et que 97% des entreprises de PMI/PME sont peu préparées au management stratégique international et que sans réformes structurelles profondes, il est impossible d'impulser des entreprises compétitives qui doivent reposer sur le savoir.

d.- Comme déduction de cet optimisme, les réserves de change de 102,4 milliards de dollars à fin septembre contre 114,1 milliards de dollars à la fin décembre 2016, s'établiront à 85,2 milliards de dollars à fin 2018, soit l'équivalent de 18,8 mois d'importations, à 79,7 milliards en 2019 et de 76,2 milliards en 2020. Tout dépendra de l'évolution des cours du pétrole et aussi du gaz traditionnel qui représente plus d'un tiers des recettes de Sonatrach.

e.- Le dispositif de la solidarité nationale est maintenu comme les transferts sociaux et la relance de plusieurs projets, telle la réalisation de 120.000 logements AADL. Une enveloppe budgétaire de 1.760 milliards de DA est allouée aux transferts sociaux durant l'exercice 2018, en hausse de près de 8% par rapport à 2017. Or, la politique des subventions généralisées est source de gaspillage, de fuite des produits hors des frontières et d'injustice sociale, devant aller vers des subventions ciblées au profit des catégories et régions défavorisées.

f.- Le PLF 2018 prévoit une série de mesures législatives et fiscales dont je ne citerai que quelques-unes, comme la taxe sur la fortune qui sera imposée à toute personne ayant un patrimoine d'une valeur égale ou supérieure à 50 millions DA, la taxe sur les produits pétroliers (TPP) applicable sur les carburants sera par ailleurs augmentée de 5 DA/litre pour l'essence et de 2 DA/litre pour le gasoil, sur les produits tabagiques elle est fixée à 21 DA par paquet, dont 10 DA seront destinés au budget de l'Etat, 6 DA au profit du Fonds pour les urgences et les activités de soins médicaux, 2 DA pour le Fonds national de sécurité sociale, 2 DA pour le Fonds de lutte contre le cancer et 1 DA pour le Fonds de solidarité nationale. Dans ce cadre, il faut être réaliste, pragmatique et non utopique. Comment ne pas rappeler que plus de 50% du parc immobilier est sans titre de propriété devant réactualiser le cadastre, et comment fiscaliser les nombreuses fortunes de la sphère informelle avec le risque de faire fuir les capitaux de la sphère informelle et des capitaux d'Algériens résidents placés à l'étranger soit légalement, soit dans des paradis fiscaux ?

g- La Fonction publique emploie plus de 2.2 millions de fonctionnaires et il est prévu la modernisation des secteurs de l'administration. Pour ce qui est du recrutement, la LFC 2018 le prévoit dans les secteurs de la santé, de l'éducation et de l'enseignement supérieur. Dans le cadre de la modernisation, la PLF 2018 prévoit l'obligation faite aux commerçants de recourir au commerce électronique, avec une durée d'un (01) an pour la généralisation de ce dispositif, ce qui permettra une augmentation de la liquidité dans les banques et une résorption de la masse monétaire circulant sur le marché parallèle et l'amélioration du recouvrement fiscal.

4.- Avoir une cohérence et visibilité dans la démarche pour redonner confiance

En résumé, une loi de finances n'est qu'un document comptable retraçant les recettes et les dépenses et n'a pas pour vocation de définir des objectifs stratégiques qui font cruellement défaut. Des modèles économétriques et calculs mécaniques sont souvent trompeurs et n'ont aucun sens sans la prise en compte des stratégies souvent divergentes des acteurs locaux (le dynamisme de la morphologie sociale) et internationaux. Sans retour à la confiance, et une vision claire du devenir du pays, de profondes réformes dont l'enjeu 2018/2022 sera la réforme des entreprises publiques, de la fonction publique, un nouveau management stratégique de Sonatrach, qui, il ne faut pas être utopique, sera la principale rentrée de devises pour encore longtemps, le primat à l'économie de la connaissance, il ne faut pas s'attendre à des investissements à moyen et long terme, fondement de la base d'une économie diversifiée concurrentielle. Le ministre des Finances, n' pas fourni le montant du financement non conventionnel pour les années 2018/2019/2020 et surtout sa destination, ce qui a conduit non pas des théoriciens de bureau mais des experts de terrain dont le FMI, la Banque mondiale, plusieurs organismes financiers internationaux crédibles, dans leurs récents rapports d'octobre 2017, sans compter les mises en garde de nombreux experts nationaux, d'une spirale inflationniste. Le taux d'inflation, selon les chiffres fournis par le ministre, de 5,5% en 2018, 4% en 2019 et 3,5% en 2020 est-il réaliste ? Aussi, la présentation du ministre des Finances devant l'APN en ce mois de novembre 2017 repose sur plusieurs hypothèses de court terme, dont la variable stratégique est la remontée du cours du pétrole, en plus de toutes ces hypothèses, dont il s?agira de vérifier la véracité en toute objectivité.

* Professeur des universités, expert international