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Quand les Banques centrales échouent à doper l’inflation

par Akram Belkaïd, Paris

A quoi sert une Banque centrale ? Ou plutôt, à quoi servent deux des plus grandes Banques centrales du monde, à savoir la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) ? Officiellement, les deux sont chargées de mener une politique monétaire indépendante des gouvernements américain et européens. Par politique monétaire (attention aux faux amis), on entend la gestion des taux d’intérêts (et non pas celle des taux de change) afin d’influer sur l’évolution de l’économie, plus exactement de la croissance du produit intérieur brut (PIB).

Inflation et emploi

La Fed comme la BCE ont pour objectif commun de limiter l’inflation à un objectif fixe (2% pour ces deux institutions monétaires). On peut dire que cela n’est pas nouveau, la lutte contre le dérapage des prix étant, depuis le milieu du vingtième siècle, la mission principale des Banques centrales. Mais la nouveauté, c’est que l’on est dans une configuration où l’inflation est inférieure à cet objectif (1,5% en moyenne pour les Etats-Unis et la zone euro). On connaît les dégâts infligés par une inflation trop forte mais on ignore souvent ceux qu’induit une quasi-déflation. A terme, c’est la vigueur de l’économie qui est mise en danger. En théorie, donc, la Fed et la BCE sont censées œuvrer pour que l’inflation regagne un niveau proche de 2% (des salaires et des prix qui augmentent, c’est la garantie d’un dynamisme économique, du moins en théorie).

Aux Etats-Unis, la tâche est compliquée pour la Banque centrale car sa seconde mission est aussi de maintenir un haut niveau d’emploi. Autrement dit, la Fed doit à la fois agir sur l’inflation mais aussi sur la croissance (censée avoir un effet direct sur les créations d’emplois). On connaît la stratégie suivie depuis quelques années : des taux d’intérêts faibles (via une politique monétaire accommodante) sont censés pousser les entreprises à emprunter pour investir et donc, in fine, à recruter. Or, cette approche produit des effets secondaires plutôt préoccupants. Ainsi, l’argent « bon marché » obtenu grâce aux taux faibles alimente des bulles spéculatives. La Bourse américaine vole de records en records (ce qui permet à l’administration Trump d’affirmer que les marchés valident sa politique) et l’immobilier continue à tutoyer les cimes. La Fed en est consciente. Elle a enclenché un processus de hausse de ses taux directeurs (une nouvelle appréciation devrait avoir lieu en décembre prochain). Cela, alors que l’inflation demeure toujours faible.

Approche non orthodoxe

En Europe, la BCE n’a que faire de l’emploi (cela lui est souvent reproché) et elle concentre ses efforts sur l’inflation et la stabilité monétaire de la zone euro. Comme aux Etats-Unis, l’institution monétaire s’est engagée dans un plan de rachat continu d’actifs sur le marché obligataire. Appelée « Qantitative Easing » (QE), cette approche non orthodoxe (en théorie, une Banque centrale n’a pas à intervenir sur les marchés obligataires) est destinée à maintenir un niveau élevé de liquidités. De mars 2016 à avril 2017, la BCE a injecté 80 milliards d’euros par mois pour acheter ces actifs (elle a déjà déboursé plus de 2.500 milliards d’euros ce jour). La Banque centrale vient de décider de ramener ces interventions à 30 milliards d’euros à partir de janvier 2018. Là aussi, l’institution n’a pas atteint ses objectifs en matière d’inflation mais elle se targue d’une meilleure santé de l’économie et avance cet argument pour justifier l’allègement du QE.

En réalité, la BCE, comme la Fed aux Etats-Unis, réalise qu’il est temps de limiter l’expansion des bulles spéculatives qui sont apparues dans le sillage des politiques monétaires accommodantes destinées à lutter contre les effets de la crise de 2008. Un acte préventif destiné à éviter un nouveau choc (on ne sait pas encore ce qui se passera quand BCE et Fed vont alléger leurs portefeuilles de ces actifs acquis au cours des dernières années). Productrices de bulles spéculatives, la BCE et la Fed semblent avoir renoncé, même si elles s’en défendent, à atteindre leur objectif d’une inflation à 2%.