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La Méditerranée et les pourtours régionaux : 3- Mutations mondiales et transition énergétique

par Denis Simonneau*

  Nous définissons la transition énergétique par les quatre D :

- Digitalisation car les technologies de l'information sont très présentes dans le monde énergétique d'aujourd'hui qu'elles transforment profondément.

- Décentralisation car nous passons d'un système dominé par des grandes structures (centrales thermiques de grande capacité, EPR de 1650 MW?) à des unités de production qui sont beaucoup plus petites (comme le panneau photovoltaïque placé sur le toit d'une maison, en deçà du kWh); touchant tous les marchés, la décentralisation révolutionne le monde de l'énergie.

- Décarbonisation car la réduction des émissions de gaz à effet de serre implique tous les énergéticiens.

- Diminution de la demande : c'est l'efficacité énergétique. On observe en Europe, depuis 2008, une décorrélation très nette entre le taux de croissance économique et le taux de consommation, qui s'est amorcée avec la crise économique mais qui se prolonge avec le souci de lutter contre le réchauffement climatique.

C'est dans ce contexte que je reviens au bassin méditerranéen, en rappelant d'abord que c'est une région dotée d'un fort potentiel :

- hydroélectrique ; en particulier, l'est de la Turquie possède des ressources importantes ;

- en énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque) ;

- gazier, offrant la possibilité de valoriser le trio gagnant gaz-renouvelables-hydroélectrique.

Mais il faut considérer aussi les risques inhérents à cette région :

- C'est d'abord le risque de perte d'indépendance énergétique, lié à une forte augmentation de la consommation domestique. La production, qui était principalement destinée à l'exportation, est de plus en plus largement consommée sur place, ce qui conduit de nombreux pays producteurs ou importateurs à reconsidérer leurs politiques énergétiques. Les importateurs traditionnels, comme le Maroc ou le Liban, doivent vivre une profonde transition énergétique ; à long terme, le Liban a des perspectives remarquables de production gazière en Méditerranée, mais aujourd'hui il entre dans une phase difficile de restructuration. Mais les pays producteurs qui connaissent une forte augmentation de leur consommation intérieure, comme la Tunisie, l'Egypte ou l'Algérie, vivent aussi une transition énergétique.

- Le second risque majeur est lié aux effets du réchauffement climatique, à commencer par la désertification ; l'eau est évidemment essentielle pour la vie courante et pour l'agriculture, et chacun connaît les liens qui existent entre l'eau et la production d'énergie.

Il convient de souligner qu'entre tous les pays évoqués, il y a un effort commun qui porte sur l'amélioration de l'efficacité énergétique. C'est une clé importante pour maîtriser la demande et la consommation énergétiques et pour mieux optimiser l'utilisation des ressources fossiles. Et son importance est reconnue, notamment par Engie qui a développé de nombreuses compétences dans ce secteur, à tel point que les 2/3 de ses personnels travaillent dans ce domaine. Il s'agit évidemment d'améliorer le système de consommation, donc de diminuer la facture énergétique de chaque consommateur. On peut citer l'exemple de l'Usine Renault à Tanger, dont Engie gère l'ensemble des systèmes de consommation.

Evoquons maintenant le cas des différents pays qui bordent la Méditerranée ; tous sont engagés dans la transition énergétique et la plupart travaillent avec Engie dans ce domaine.

- Le Maroc a défini un plan solaire extrêmement ambitieux, avec un objectif d'énergie renouvelable de plus de 50 % en 2030, et il y travaille très activement. Nous avons la chance d'œuvrer à la construction de la plus grande centrale éolienne d'Afrique (avec 300 MW) à Tarfaya. Mais nous sommes engagés dans d'autres projets solaires ou hydroélectriques.

- L'Algérie a décidé de s'engager dans un programme de 4 000 MW de solaire ; un appel d'offres sera lancé dans les prochains mois et nous y sommes particulièrement attentifs. C'est une révolution car l'Algérie était jusqu'à présent orientée vers le gaz.

- La Tunisie a montré beaucoup de dynamisme en lançant la première phase d'un programme de production d'énergies renouvelables qui vise à développer plus de 1 000 MW d'énergies renouvelables sur la période 2017-2020. C'est aussi un projet sur lequel nous sommes attentifs.

- Son Excellence Ismail Haki Musa a largement parlé de la Turquie, où nous sommes très actifs, pas seulement avec la centrale nucléaire de Sinop.

- Le Liban et la Jordanie se lancent dans des programmes d'énergie renouvelable, notamment solaire et éolienne. Le Liban le fait dans des conditions difficiles, compte tenu de sa proximité avec la Syrie, mais avec une maturité suffisante pour lancer des projets avec le soutien de plusieurs bailleurs, sur lequel je reviendrai.

- L'Égypte affiche un objectif de 20 % de production d'électricité renouvelable d'ici 2020, et nous sommes impliqués dans des projets, notamment d'éolien et de solaire dans la vallée du Nil ou au bord du Canal de Suez.

J'évoquerai maintenant la coopération régionale, en particulier le rôle des institutions financières internationales, car nous ne réussirons cette transition énergétique en Méditerranée qu'en travaillant les uns avec les autres. Le rôle des entreprises est, à cet égard, fondamental ; le partenariat public-privé est un élément essentiel pour réaliser ces projets. Mais il faut agir dans le cadre, d'une part, des initiatives qui ont été prises au niveau mondial (COP 21 et ses conséquences, COP 22 qui s'est tenue au Maroc, prochaines COP, objectifs du millénaire des Nations Unies) et, d'autre part, d'initiatives plus spécifiques qui visent à créer des conditions financières, réglementaires et techniques favorables au développement de l'énergie solaire.

Je pense notamment à l'Alliance solaire internationale, initiative prise au moment de la COP 21 à l'initiative du Premier ministre indien Narendra Modi et du président François Hollande. Engie a décidé de soutenir cette initiative en créant Terrawatt Initiative qui vise à rassembler les financiers, les équipements, les énergéticiens et tous les acteurs privés qui souhaitent donner à l'énergie solaire les bases de son développement international. Nous le faisons car nous sommes convaincus que le solaire a un potentiel considérable et nous constatons que, grâce aux progrès technologiques, ses coûts pour produire de l'électricité baissent considérablement. Dans le cas d'un récent appel d'offres passé en France, il est apparu que le prix du solaire était la moitié de celui du nucléaire à construire. Evidemment, les perspectives sont encore plus favorables pour les pays qui ont un ensoleillement important, comme ceux du pourtour méditerranéen. Nous souhaitons poursuivre Terrawatt Initiative avec tous les acteurs du secteur privés qui le souhaitent.

Je terminerai en rappelant le rôle des institutions régionales comme la Banque européenne d'investissement, très impliquée notamment en Jordanie et en Egypte, et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement qui construit un partenariat important avec l'Union pour la Méditerranée dans le cadre du programme SEMed Private Renewable Energy Framework, qui développe des financements pour le conseil, pour l'assistance technique et pour certains projets de développement d'énergies renouvelables.

Les groupes énergétiques sont donc totalement engagés dans cette transition qui vise tous les pays du monde (notamment sur le pourtour méditerranéen) selon des conditions spécifiques à chacun d'entre eux.

*Directeur des Relations Européennes et Internationales, ENGIE