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Le point sur le classement mondial en fiscalité (1ère partie)

par Mustapha Bensahli (*)

Certaines organisations internationales réputées se sont investies d'une mission qui consiste à procéder, chaque année, à des classements en ciblant, à cet effet, divers secteurs socio-économiques des pays dans le monde pour essayer de situer, effectivement, leur niveau respectif d'avancement.

Sur ce registre précisément, le Cabinet international PwC s'est chargé, comme chaque année, en collaboration avec la Banque mondiale, de publier, dans la 11ème édition, son rapport 2017 intitulé « Paying Taxes 2017 », en étant assorti du classement des systèmes d'imposition fiscale de 190 économies mondiales à partir de certains éléments d'information exploités. Comme, dès sa première lecture, ce rapport ne manque pas de susciter un certain intérêt, voire certaines interrogations, il a été jugé utile de tenter de situer sa portée, en lui consacrant à cet effet, une approche et pour ne se perdre en conjectures, elle a été circonscrite avec pragmatisme, seulement, à la fiscalité des pays du Maghreb.

Aussi, le plan retenu se décline, en substance, comme suit :

-Le contenu dudit rapport établissant le classement et sa portée (1),

-Le déclassement indu de la fiscalité algérienne (2),

-Une comparaison du classement, notamment, avec les pays de certains pays du Maghreb (3),

-La portée du classement en termes de crédibilité et d'objectivité (4).

Le contenu du rapport établissant le classement et sa portée

Le classement des systèmes d'imposition fiscale des 190 économies mondiales y compris, celui de l'Algérie, est opéré sur la base, essentiellement, de trois critères d'évaluation, à savoir :

- le niveau de taxation totale (y compris les charges sociales),

- le nombre de déclarations à réaliser,

- et le temps passé par les entreprises pour se conformer à la réglementation fiscale de chaque pays. Comme il y est indiqué, aussi, le classement vise essentiellement à mesurer :

-le niveau de taxation globale des entreprises moyennes dans le monde,

-la facilité de paiement des impôts et surtout l'efficacité de la politique fiscale dans l'amélioration du climat des affaires.

En Afrique, le classement est dominé par le Lesotho avec un taux de 13,6% quand le Nigeria et l'Afrique du Sud occupent les 6ème et 15ème rang et s'agissant de la Côte d'Ivoire, son rang est à la 39ème place avec un taux d'imposition de 51,3%. S'agissant des pays qui disposent des fiscalités, nettement les plus avantageuses pour les entreprises moyennes, il y est précisé que ceux du Golfe, comme le Qatar et les Emirats Arabes Unis arrivent en tête du classement, suivis de la Chine, le Bahreïn, l'Irlande et le Koweït. Le classement favorable aux pays du Golfe n'est pas du tout étonnant, ceci en raison du fait que leur fiscalité respective se trouve, pratiquement, à l'état embryonnaire, en raison de son faible apport, tout en étant compensée par la forte rente provenant de la production pétrolière. Au bas du tableau de classement, se trouvent le Venezuela, la Bolivie, la République Centrafricaine, la Mauritanie et en tout dernier le Tchad (189ème ).

Pour revenir au Cabinet international PricewaterhouseCoopers (exerçant sous la raison sociale de PwC) il a organisé principalement, ce classement annuel en tant que société d'avocats de dimension internationale disposant d'un réseau spécialisées d'entreprises américaines, dans 157 pays avec plus de 184.000 agents chargés d'assurer des missions pluridisciplinaires notamment d'audit, d'expertise comptable et fiscale et de conseil pour, généralement les multinationales. A ce titre, ce Cabinet a pu réaliser un chiffre d'affaires mondial, au cours de l'exercice fiscal de 2013 de 32,1 milliards de dollars.

[ ]Quant à la Banque mondiale qui lui prête sa collaboration dans l'organisation dudit classement, il n'est pas besoin de souligner que c'est une grande institution internationale, dépendant de l'ONU et en tant que telle elle apporte, pour ainsi dire, à PwC son assistance et en même temps sa caution. A l'analyse les premières remarques susceptibles d'être formulées d'emblée en ce qui concerne ce classement des fiscalités, dans le monde, sont les suivantes :

- il est établi, régulièrement, chaque année, et en principe il est censé être conçu sur des bases probantes en recueillant directement, sur le terrain des données en tout cas pleinement vérifiées et ce point suscite quelques doutes examinés plus loin,

- il est reconduit, quasiment, d'une manière récurrente, chaque année, en reprenant quasiment les éléments produits les années précédentes avec quelques nuances près, au point de considérer qu'il s'agit, ni plus ni moins, en réalité qu'une forme de recyclage et réellement sans apport nouveau.

Le déclassement indu de la fiscalité algérienne :

Il ressort que le classement opéré, cette année, s'avère peu louable, à l'endroit de la fiscalité algérienne, en étant ainsi reléguée, comme à l'accoutumée, quasiment au dernier rang, c'est-à-dire à la 155ème place sur 189 pays, comme pour chercher, comme par une sorte de fatalité, à pérenniser le mauvais classement. C'est ainsi qu'en guise de justification, le rapport s'est focalisé, une nouvelle fois, cette année, sur le fait invoqué que l'entreprise en Algérie doit s'acquitter de 27 différents impôts et taxes, ce qui nécessite 385 heures de travail et représente 72,7% des profits des entreprises. En vérité, tout indique que le Cabinet international PwC est allé fort en besogne, dans son rapport, celui de faire croire sciemment, par suite de ce classement dérisoire que la fiscalité algérienne se trouve dans un état de désorganisation avancée et par conséquent, elle se trouve privée de la moindre perspective d'évolution, en termes d'amélioration, rendant dans ces conditions sa gestion, pratiquement, hypothétique. C'est là, en somme, une forme de déclassement qui verse dans une sorte de manichéisme qui aboutit à ce que la fiscalité algérienne soit dévalorisée à l'excès.

Il s'agit là d'une forme patente de glissement qui ne peut pas passer inaperçue ou tenter de la relativiser au point de la banaliser éventuellement jusqu'à admettre son existence, d'autant que le message véhiculé annonce un avenir peu prometteur à la fiscalité algérienne laquelle, pourtant, constitue le levier de l'activité des entreprises, avec le risque d'impacter les facteurs socio-économiques avec lesquels elle interfère. Cette prétendue allégation de dénigrement de la fiscalité algérienne ne résiste pas à l'examen des faits réels qui montrent, au contraire, qu'elle s'est bien affranchie de ce plafond de verre qu'on veut lui attribué faussement, puisque que force est constater qu'elle renoue, graduellement, avec le processus de réforme, si bien que ces dernières années, les lignes qu'elle accuse ont nettement progressé à son avantage.

En tout état de cause, il n'est pas possible d'occulter le fait que la fiscalité algérienne se trouve à son rythme dans une trajectoire encourageante, en étant, toujours, en quête d'une gestion efficiente et en cherchant manifestement à se mettre au diapason des standards internationaux.

En témoignent, s'il en était besoin, les multiples mesures intervenant, chaque année, dans le cadre de la loi de Finances introduisant, progressivement, des améliorations notables en termes de simplifications et d'allègements, en faveur des entreprises, ne serait-ce que pour remédier à la complexité dont elles supportent le poids lourd, à leur corps défendant.

Déjà la loi de Finances pour 2017 a prévu toute une série de mesures de facilitation e,n faveur des entreprises et il suffit de citer la plus emblématique, entre toutes, celle consacrée par l'article 90, visant à accorder aux entreprises en difficulté financière, un rééchelonnement pour le paiement de leur dette fiscale, pour un délai atteignant 36 mois et ce, quel que soit leur statut juridique (entreprises individuelles, sociétés de droit algérien, EPIC), leur régime d'imposition (réel ou forfait) ou encore, leur activité (production, travaux, services et achat-revente).

Outre le calendrier de paiement mensuel, fixé en concertation avec l'entité économique concernée, en fonction de l'importance de la dette fiscale, cette dernière bénéficie de l'effacement total des pénalités d'assiette et de recouvrement sans demande formulée de sa part, sous réserve, toutefois, que l'échéancier soit respecté.

Certes, toutes ces avancées n'enlèvent, en rien, le fait que la fiscalité algérienne est loin d'atteindre, entièrement, le stade de performance et comme à l'instar de toutes les fiscalités dans le monde, elle reste, encore, entachée de certaines imperfections qui persistent dans le temps et qui tendent à se résorber à mesure et résolument.

Dès lors, la fiscalité ne peut être indemne, éventuellement, de critiques surtout lorsqu'elles sont, somme toute, justifiées, ce au motif qu'étant d'ordre sociétal, elle est appelée à s'adapter perpétuellement, à l'environnement qui l'entoure, tout en étant en pleine mutation. D'ailleurs, toutes les fiscalités ont, nécessairement, cette vocation en ce qu'elles sont dotées de propriétés d'adaptation pour tendre à être en phase avec le contexte actuel, lequel est ancré à la mondialisation caractérisée par les bouleversements d'une ampleur inégalée, en matière, notamment, des finances internationales et du progrès tangible des nouvelles technologies. D'ailleurs, tout système fiscal n'est pas un phénomène isolé pour pouvoir rester réfractaire à l'influence extérieure et par conséquent, le chantier reste, toujours, ouvert aux changements, si bien qu'il donne le sentiment qu'il demeure toujours, virtuellement inachevé. Comme tous les pays, l'Algérie se trouve confrontée à des défis et elle a la volonté pour les relever d'autant qu'elle dispose de tous les atouts, sur ce plan.

A cet égard, selon les dernières recommandations du FMI «Cet effort de redressement devrait, alors, «reposer, essentiellement, sur les leviers suivants : l'élargissement de l'assiette fiscale grâce, notamment, à l'amélioration du recouvrement de l'impôt et à la rationalisation des exonérations fiscales?», en ajoutant que : «la stratégie d'ensemble devra être conçue et séquencée, de telle sorte que les réformes se renforcent mutuellement?».

Comme ledit rapport, établissant le classement, n'hésite pas à déroger à certains principes, il ne pourrait pas, par conséquent, être valide, dès lors qu'aucune contradiction ne lui est opposée pour mettre en cause de ce qui est décidé, unilatéralement, à distance, à partir d'une tour d'ivoire, sans avoir pris soin de vérifier la référence de ses paramètres qui deviennent, ainsi, à géométrie variable. A l'évidence le Cabinet international PwP, avec la collaboration de la Banque mondiale, s'est octroyée, sans conteste, un pouvoir exorbitant, voire à la limite discrétionnaire, en s'autorisant, dans son rapport et de son propre chef, à recourir à un logiciel visant à formater sans confrontation et en monopole, c'est-à-dire sans une vérification probante, sur le terrain, la fiscalité algérienne en la vouant, délibérément, à une posture défavorable par rapport à la fiscalité des autres pays du Maghreb, comme en témoigne la comparaison ci-après.

La comparaison entre la fiscalité algérienne et celle les autres pays du Maghreb:

S'agissant de la fiscalité des pays du Maghreb, le rapport établit le classement suivant :

l'Algérie est positionnée à la 155ème place, le Maroc est à la 41ème, quant à la Tunisie, elle arrive à la 106ème et la Libye à la 121ème position.

Ce classement, tel qu'il est conçu, ne manque pas de poser un problème en termes de rationalité et de crédibilité, d'autant qu'en faisant la comparaison, à ce niveau, ne serait-ce que d'une manière basique, entre la fiscalité algérienne et celle des autres pays du Maghreb, il en résulte, singulièrement, des distorsions notables et voire injustifiées.

A titre d'exemple avec le Maroc cette différence est de 155 ? 41 = de 110 places et avec la Tunisie elle est de : 155-106 = 49 places et la Libye 155 ? 121 = 34 places et cet écart béant ne manque pas, à l'évidence, de choquer et de susciter une certaine perplexité, quant à la logique observée, en l'occurrence, tant il est vrai que le classement fait, ainsi, fi de tout espèce de neutralité et par son caractère aléatoire et peu fiable.

L'inconvénient de ce classement, c'est qu'il fait l'effet d'un vase communiquant, puisqu'il est établi :

- d'une part, à charge pour certains pays en les tirant vers le bas, comme c'est le cas de l'Algérie qui pâtit de cette forme de pratique qui heurte l'entendement,

- et d'autre part, à décharge envers les autres pays du Maghreb, en étant tirés, vers le haut, à la faveur des progrès supposés réalisés.

En vérité, le Cabinet international et la Banque mondiale en collaboration s'autorisent, de leur propre chef, à décerner ainsi des bons points pour la fiscalité de certains pays et des mauvais points pour d'autres, et ce, sans craindre de mettre en cause les principes d'équité, en recourant, ainsi, à la politique marquante de deux poids et deux mesures. Toute chose étant égale par ailleurs, ce rapport est, manifestement, accablant à l'endroit de la fiscalité algérienne, tout en faisant l'impasse sur de nombreux points de similitude avec les autres fiscalités des autres pays du Maghreb, en se situant, en substance, aux niveaux suivants :

- l'architecture des principaux impôts et taxes, avec l'existence des mêmes piliers à savoir : l'IS, l'IRG et la TVA,

- le mode déclaratif avec paiement spontané avec la retenue à la source pour les salaires,

- un droit de contrôle a posteriori.

Sur cette base, en prévision de la construction du Grand Maghreb, il est possible de prédire que les fiscalités appartenant, respectivement, à l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie, telles qu'elles sont constituées en l'état actuel, semblent réunir toutes les conditions susceptibles de donner lieu, potentiellement, à une harmonisation à l'avenir.

Ce n'est le cas en revanche, des pays de l'Union européenne qui se débattent, dans de réelles difficultés, jugées insurmontables pour s'entendre sur ce processus d'harmonisation et, du reste, ils continuent à intervenir en ordre dispersé. D'ailleurs chaque pays de l'Union européenne intervient fiscalement, en cavalier seul, et décide en toute souveraineté, ce en fonction de ses intérêts propres pour rendre sa fiscalité à la fois compétitive et attractive conduisant, nécessairement, à une forme de dumping fiscal. Pour se rendre compte de l'utilisation de la pratique anachronique de la sélectivité dont se trouve marqué le classement de la fiscalité des différents pays du Maghreb, en accordant une place confortable au bénéfice de certains pays et au désavantage d'autres, comme celle de l'Algérie, il est procédé ci-après, à dessein, à la comparaison sommaire entre la fiscalité algérienne et les autres fiscalités.

a) La comparaison avec la fiscalité marocaine :

Dans le sillage des résultats dégagés à travers ledit classement, il ressort que la fiscalité marocaine a pu engranger, ces dernières années, des points supplémentaires de satisfaction, puisqu'elle est passée de la 66ème place, de l'année dernière à la 41ème cette année, en réalisant, ainsi, un bond qualitatif de 21 places, dans le classement,

C'est ainsi que le «Paying Taxes 2016» a réservé ce classement favorable à la partie marocaine, en tablant à la plate-forme électronique de l'administration fiscale ayant permis d'apporter des facilitations en matière de paiement, ce qui a abouti, par suite à un nombre faible de paiements (6 par an, contre 25,6 pour la moyenne mondiale) et aussi les 211 heures nécessaires pour se conformer à la réglementation fiscale (inférieures à la moyenne des 162 pays concernés par le classement fixé à 261 heures).

En même temps, ce rapport fait état d'une chose et son contraire, puisqu'il est dénoncé qu'en matière de pression fiscale, le Maroc est largement au-dessus de la moyenne mondiale, avec des taux d'imposition au royaume de 49,1%, soit 8,3 points de plus que la médiane des 162 pays. Par ailleurs, l'ONG Transparency confirme que la fiscalité marocaine est entachée de nombreux points noirs, entre autres :

- d'une part, «le chemin à parcourir dans l'instauration d'une relation normale entre l'administration fiscale et le contribuable ou redevable (ou l'usager) est encore long»,

- d'autre part, le contrôle fiscal est surnommé la sempiternelle «boîte noire » ou la «zone grise n°1»,

- enfin, le recouvrement forcé revêt un «caractère archaïque et contenant beaucoup de faiblesses pouvant être à l'origine des abus».

De surcroît, les analystes bien avisés du Centre marocain de conjoncture (CMC) abondent dans le même sens aussi strict, en considérant que le système fiscal marocain souffre, encore, de certaines carences et ils le signalent nettement dans leur dernier spécial « politique fiscale ». Entre autres, selon les experts du CMC :

- les taux des prélèvements obligatoires ont atteint un niveau de pression se rapprochant du potentiel de saturation, ce qui porte atteinte à la compétitivité des entreprises,

- le manque d'efficacité par suite de l'existence d'un grand nombre d'exonérations et d'abattements spéciaux et d'une profusion de niches difficilement maîtrisables,

- une complexité par suite d'une grande hétérogénéité de l'imposition des revenus.

- une certaine instabilité par suite des changements imprévisibles introduits lors de chaque loi de finances.

Les experts du CMC signalent, dans le bilan de trois ans, qu'ils ont dressé lors des assises de la fiscalité de 2013 que «Les dernières assises de la fiscalité ont annoncé des réformes ambitieuses, visant à rendre le système fiscal marocain plus équitable, plus efficient et plus transparent, mais les faits laissent apparaître une lenteur dans l'exécution des recommandations des assises ainsi qu'une rigidité dans le comportement de l'Etat, dans la conduite des réformes préconisées», en visant, principalement, l'un des principaux piliers celui de l'équité fiscale.

A suivre...

(*) Ancien Expert international en fiscalité - Auteur d'ouvrages traitant de la problématique de la fiscalité