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Qui sera le nouveau président américain ? (1ère partie)

par Medjdoub Hamed*

Peut-on penser un instant que Donald Trump ne sera pas président ? Oui, c'est dans l'ordre du possible. Mais alors s'il n'est pas élu, pourquoi cette campagne présidentielle américaine houleuse, folle ? Peut-on croire qu'Hillary Clinton élue présidente des États-Unis mettra fin à cette campagne trouble et complexe ? Une campagne qui se termine en queue de poisson, avec quelque chose d'inachevé, tant les enjeux sont considérables dans cette élection. On peut même dire que les États-Unis sont à la croisée des chemins.

Ce n'est pas pour discréditer Hillary Clinton, mais si elle est élue, c'est que l'Amérique risque de péricliter dans cette situation de naviguer à vue, et le système qui la régit reste toujours agrippé aux forces politiques, économiques, géostratégiques qui ne rapportent plus ou très peu, elles ne font qu'étirer une corde qui, aujourd'hui, apparaît de plus en plus fragile. Et il y a Donald Trump, un candidat qui dénonce un système corrompu, truqué et honteux.

Donc, quel sens aura cette élection ? Et comment ce Trump anti-système qui après avoir battu ses rivaux républicains est en challenge avec la candidate démocrate, Hillary Clinton, pour le poste de la magistrature suprême américaine ? Si elle sera élue, elle sera la première femme à accéder à cette fonction suprême. Et pourquoi pas ? Barack Obama, un Afro-américain, est bien devenu président des États-Unis, et a exercé cette fonction durant deux mandats (2009-2016). Si c'est le cas, une femme présidente, l'Amérique aura toujours à nous surprendre.

Une campagne présidentielle houleuse en Amérique

Il semble cependant que les élections ne vont pas se dérouler comme l'annoncent tous les sondages qui font d'Hillary Clinton, la grande favorite du 8 novembre 2016 ? En effet, sinon pourquoi tout ce vacarme médiatique sur Donald Trump, ces dernières semaines, à moins d'un mois avant la ligne d'arrivée ? Cette dénonciation massive de femmes qui accusent le candidat non favori d'attouchements et d'agressions sexuels, malgré le démenti catégorique de l'intéressé. Tout s'est joué sur la publication, à la mi-octobre 2016, d'une vidéo de 2005 dans laquelle Donald Trump s'est vanté d'un comportement, relevant du harcèlement sexuel, et usant de mots d'une grande vulgarité. Le candidat s'est ensuite excusé d'avoir tenu ces propos, affirmant qu'il « s'agissait de discussions de vestiaire » et qu'il ne s'était jamais comporté de la sorte.

Malgré ces dénégations, des femmes comme Jessica Leeds et Rachel Crooks ont maintenu leurs accusations et ont confié leurs témoignages au ?New York Time' sur des attouchements sexuels dont elles n'avaient jamais fait part publiquement, auparavant. Outre le témoignage de ces deux femmes, il y a celui de Temple Taggart, de Mindy McGillivray, de Cassandra Searles, de Natasha Stoynoff, et même une autre plaignante qui l'accuse de l'avoir violée en 1994, alors qu'elle était âgée de seulement 13 ans. (1)

Que dénotent ces accusations contre Donald Trump de dernière minute, si proche du jour du destin pour les deux candidats, et aussi pour l'Amérique ? Et le monde, tant l'influence de l'Amérique, il faut le reconnaître, est grande sur le monde ? Simplement que cette campagne de dénigrement montre les craintes réelles de voir Donald Trump remporter les élections. Et pourquoi ces accusations n'ont pas été divulguées auparavant ? Etaient-elles ignorées ? Et elles surviennent au dernier moment, surtout que des grands journaux comme le ?New York Time' colportent ces accusations, sans contrôler la véracité des faits reprochés au candidat républicain.

Et le problème c'est que même dans son propre camp, Donald Trump est malmené pour ces accusations, alors que les républicains sont censés le soutenir. Paul Ryan, un poids lourd du parti républicain, il est président de la Chambre des représentants, se dit « écœuré », par les propos dégradants sur les femmes tenus par M. Trump dans la vidéo de 2005. Le chef républicain annonce qu'il abandonne tout espoir de reconquérir la Maison Blanche avec Donald Trump et qu'il cherche, avant tout, à sauver la majorité au Congrès, qui sera renouvelé le même jour que la présidentielle. (2) Alors que normalement, vu les enjeux, il aurait dû soutenir le candidat et que ce n'était qu'un « débat de vestiaire » comme l'a affirmé le candidat républicain aux élections présidentielles. Une posture qui est très loin de l'« affaire Monica Lewinsky » ou « Monicagate » qui a défrayé la chronique, à l'époque, et pourtant le Congrès américain a bloqué la procédure de destitution (impeachment). Il est évident qu'une cabale, au plus haut des sphères dirigeantes, est montée contre Donald Trump qui a annoncé qu'il va changer le système en Américain et faire regagner la place de la grande Amérique. Comme il l'a écrit dans son livre « Crippled America : How to Make America Great Again (L'Amérique estropiée : comment rendre sa grandeur à l'Amérique) publié au moment même où le milliardaire, dans l'immobilier a fait un début de campagne exceptionnel, depuis l'annonce de sa candidature cet été, est au coude-à-coude dans les sondages avec son principal adversaire côté républicain, le neurochirurgien retraité Ben Carson. » (3)

Plusieurs centaines de partisans, venus des quatre coins des Etats-Unis, s'étaient rassemblés en fin de matinée à la tour Trump, à New York, où l'ancienne vedette de la télé-réalité tenait une séance de dédicaces pour son livre, « qui se vend comme des petits pains », selon lui.

Et Donald Trump lance devant les caméras : « Je pense que je vais être investi et gagner la Maison-Blanche. Je pense que battre Hillary Clinton (candidate démocrate à la présidentielle) va être facile, car ses antécédents sont tellement mauvais. » Il y a, à la fois, la crédulité, la franchise, la sincérité, la sagacité de l'homme d'affaires, donc autant de traits qui font sa force et touche le public, les électeurs. Il y a cette impression dans ses déclarations qu'il dit ce qu'il pense, sans calcul, avec ses bévues, ses polémiques.

Dans sa préface intitulée « Vous devez le croire », il ne revient pas sur ses déclarations-chocs concernant les Mexicains, qu'il avait qualifiés de violeurs et de trafiquants de drogues (les immigrants mexicains illégaux) en début de campagne, ajoutant cette fois que l'immigration clandestine privait les Américains de travail.

Il y défend, également, sa volonté d'ériger un mur le long de la frontière mexicaine, citant comme source d'inspiration la barrière de séparation bâtie par Israël en Cisjordanie, « grandement efficace pour arrêter les terroristes. Donald Trump, sans expliquer comment, appelle, aussi, à vaincre le groupe djihadiste ?État islamique', dont les forces, selon lui, « ne pourraient probablement pas remplir le stade des Yankees, à New York. » (3) Ce sont des déclarations politiques-chocs, populistes, simplistes, mais réelles et terre à terre, qui touchent le public américain.

Le «je me battrai pour vous, et je gagnerai pour vous» de Donald Trump

Mais pourquoi cet acharnement du système américain contre ce qu'on dit de Donald Trump ou ce qu'il dit lui-même, l'homme anti-système. Dans un discours (4), le milliardaire lance une violente attaque contre sa rivale, l'accusant d'avoir «transformé le Département d'Etat en fond d'investissement personnel» à son profit, et «d'avoir déstabilisé presque seule le Moyen-Orient».

Il dit : « Cette élection va décider si nous sommes gouvernés par le peuple ou par les politiciens. » Le choix est entre « reprendre le pouvoir aux intérêts spéciaux» qui dictent leurs conditions en politique et en économie avec des résultats catastrophiques pour le peuple, poursuit l'homme d'affaires, ou « leur abandonner les dernières miettes d'indépendance qui nous restent encore ».

Donald Trump présente l'élection comme un choix entre le « candidat du peuple », c'est-à-dire lui-même, et sa rivale Hillary Clinton, présentée comme la « candidate d'élites corrompues ». « Le slogan de sa campagne est: je suis avec elle. Laissez-moi vous donner ma réponse: moi, je suis avec vous, le peuple américain », lance-t-il, en appelant, avec habileté, aux électeurs du sénateur socialiste Bernie Sanders, qui n'a cessé de critiquer les liens de Clinton avec Wall Street et d'appeler une révolution politique contre un système truqué.

Donald Trump souligne qu'il a su construire un business pesant plus de 10 milliards de dollars, parce qu'il a « le talent » pour cela. « Je me présente car je veux rendre ce qu'il m'a donné à ce pays qui a été si bon pour moi », dit-il. Il parle de ce qu'il voit à travers le pays, « des routes qui s'effondrent, des aéroports dilapidés », des villes appauvries. Il dit que les élites ont trahi les ouvriers américains, en laissant partir les emplois vers d'autres pays, juste pour servir les intérêts des grandes corporations. Il martèle son opposition à l'idéologie globaliste qui a prévalu sous Bill et Hillary Clinton et conduit à la conclusion d'accords de commerce qui « ont ruiné », dit-il, l'industrie manufacturière américaine. « Nous sommes passés d'une politique d'Américanisme à une politique de Globalisme, qui est en train de détruire la classe moyenne. Nous devons recréer notre industrie manufacturière pour rendre l'Amérique grande et riche, à nouveau. » (4)

« Nous pouvons revenir très fort, mais ces problèmes ne pourront être résolus par Hillary Clinton », s'écrie-t-il, citant l'engagement de George Washington et d'Abraham Lincoln en faveur de l'industrie manufacturière américaine, dont « nous avons besoin économiquement mais aussi pour notre moral». «Les gens qui ont truqué le système ne peuvent être ceux qui vont le réparer », affirme Trump, bien décidé à surfer sur le profond rejet des élites au pouvoir qui traverse le pays. Pour lui, le message d'Hillary « est vieux et fatigué ». « Son message est que cela ne peut pas changer. Mon message est que les choses doivent changer », dit-il, plaidant pour le changement, mais « pas le changement à la Obama, le vrai! ».

« Des emplois, des emplois! Des emplois, c'est mon programme, nous devons recréer notre industrie manufacturière pour rendre l'Amérique grande et riche à nouveau », s'écrie-t-il, sous les applaudissements.

Le milliardaire l'accuse d'avoir « transformé le Département d'Etat en fond d'investissement personnel » à son profit, et « d'avoir déstabilisé presque seule le Moyen Orient. L'Etat islamique nous menace aujourd'hui à cause des décisions qu'Hillary Clinton a prises avec le président Obama », a-t-il martelé, fustigeant le retrait militaire d'Irak, le lâchage de Moubarak pendant la révolution égyptienne de 2011, puis la décision d'intervention armée en Libye. » Les accusations que lance le candidat républicain contre elle sont redoutables. (4)

Donald Trump a bien dépeint une Amérique en déclin tout en promettant d'en devenir le sauveur. Il déclare : «Nous devons recréer notre industrie manufacturière pour rendre l'Amérique grande et riche à nouveau.»

Idem à Cleveland, dans son discours devant la Convention républicaine réunie à Cleveland.

- Je vous dis ces mots ce soir : je suis avec vous, je me battrai pour vous, et je gagnerai pour vous.

- Le Retour à la sécurité. « Mon message, à vous tous, est le suivant : la criminalité et la violence qui affligent aujourd'hui notre pays, vont bientôt cesser. À partir du 20 janvier 2017 (date de la prise de fonctions du prochain président américain, après l'élection présidentielle de novembre prochain Ndlr), ce sera le retour à la sécurité. »

« Le devoir de base de l'État est de défendre la vie de ses citoyens. Tout gouvernement qui échoue à cela est un gouvernement qui n'est pas digne de diriger. » Evidemment, il vise les immigrés, les réfugiés, les musulmans. (5)

Autres signes notables dans son changement, il parle, pour la première fois, de la communauté homosexuelle. « Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger la communauté homosexuelle de la violence, de l'oppression et de la haine venue de l'étranger. Et en particulier le terrorisme que, selon lui, Hillary Clinton a contribué à aggraver lorsqu'elle a été secrétaire d'Etat de Barack Obama. L'héritage d'Hillary Clinton, c'est la mort, les destructions, le terrorisme et la faiblesse du pouvoir. » (6)

A la Convention démocrate, à Philadelphie, contrairement à son rival, Hillary Clinton, veut opposer une image de fraternité au discours clivant de Donald Trump. » L'objectif de la candidate démocrate est de « construire des ponts, pas des murs », tandis qu'à Cleveland, Donald Trump dépeint une Amérique en déclin. Hillary Clinton annonce qu'elle est le camp des solutions, non des problèmes. Une déléguée au micro d'Europe 1, « ce n'est pas l'Amérique « réelle » qui était rassemblée à Cleveland : « Ici vous verrez plus d'Afro-Américains, d'Asiatiques et de Latinos, bref, Hillary c'est l'espoir et Trump, la haine. » (7)

Que peut-on dire de cette élection présidentielle inédite en 2016, aux États-Unis ? Il est clair que tout ce que dénonce le candidat républicain est bien attesté par les faits. Il démontre, simplement, que l'Amérique se trouve à un tournant de son histoire. Et c'est un candidat américain, et milliardaire de surcroît, qui le dénonce, prouve simplement que l'Amérique est bien à une croisée des chemins.

Le renversement de l'équilibre mondial. La Chine, eldorado pour les délocalisations et IDE des firmes occidentales

Pourquoi l'Amérique est à la croisée des chemins ? En réalité, ce n'est pas seulement l'Amérique, mais tout l'Occident. L'Europe, par exemple, subit encore la crise, et celle-ci n'est toujours pas dépassée.

Et l'élection présidentielle américaine est, aujourd'hui, directement concerné par des enjeux qui se jouent à l'échelle planétaire. Très schématiquement, comment s'est déroulée l'évolution du monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Elle s'est articulée sur trois axes.

Le premier axe. C'est la reconstruction de l'Europe, du Japon, de l'Union soviétique, de la Chine, enfin bref tous les pays qui ont souffert des destructions de la guerre, la décolonisation du tiers monde. Et tout s'est opéré durant la Guerre froide. Cette reconstruction terminée et la remise à niveau de l'Europe, du Japon, de l'Union soviétique et l'édification des nouveaux États sortis de la domination et de la décolonisation ont permis ce qu'on appelle les « Trente Glorieuses ».

Le deuxième axe porte sur les pays asiatiques, notamment le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la Malaisie et autres pays du sud-est asiatique qui ont profité de l'aide massive des Etats-Unis, dès le début des années 1950. Face au « péril rouge », l'avènement de la Chine communiste en 1949, la montée en puissance de l'URSS et l'échec militaire dans la guerre de Corée (1950-1953), amènent les États-Unis, à miser sur leurs alliés asiatiques, en soutenant économiquement et militairement, les pays asiatiques alliés : Japon, Taïwan, Corée du Sud, Hong Kong, Singapour? qui se transforment en miracles asiatiques. Cet endiguement du communisme a permis à une partie de l'Asie de devenir des compétiteurs redoutés par l'Occident dans le commerce mondial.

Le troisième axe porte sur les crises monétaires intra-occidentales. Refusant de financer les déficits américains, les pays d'Europe exigeaient des États-Unis la conversion de leurs dollars en or. Ayant perdu une grande partie de leurs stocks d'or au profit du reste du monde, en particulier vers les pays d'Europe et le Japon, ne pouvant pas convertir les dollars, les États-Unis mettent fin à la convertibilité du dollar en or. Le système des changes flottants se met progressivement en place, le dollar n'est plus soutenu par les pays alliés, la situation monétaro-financière dérape en Occident et se solde par une forte inflation dans le monde, due à l'excès de liquidités monétaires qu'émettent les grands pays industriels, détenteurs des monnaies internationales. Ce sont les pays du G5, i.e. les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France. Ce G5 devient G7, l'Italie et le Canada viennent renforcer le groupe des pays les plus riches du monde. Mais en réalité, c'est le G5 qui prédomine avec ses 5 monnaies internationales (dollar, yen, livre sterling, deutschemark, franc). Les deux krachs pétroliers, dans les années 1970, provoqués par les Américains et non par les Arabes, comme les médias occidentaux veulent le faire croire, vont bouleverser l'Economie mondiale.

En 1979, le décor est planté, la situation mondiale devient irréversible. Elle oblige la Réserve fédérale américaine (Fed) à mettre fin au processus d'expansion monétaire qui, devenant fortement inflationniste, mettait en danger la devise américaine et le système monétaire international. En augmentant le taux d'intérêt directeur de 10% à plus de 20%, et en diminuant les émissions monétaires, la Banque centrale a procédé à un formidable siphonnage de la masse de dollars, dans le monde. En effet, les investisseurs du monde entier affluent aux États-Unis pour placer leurs capitaux pour bénéficier du haut loyer de l'argent. Une situation qui deviendra, extrêmement, difficile pour les pays d'Afrique, du bloc-est d'Europe centrale et orientale et de l'Union soviétique, de l'Amérique du Sud et d'une partie de l'Asie. Ces pays qui avaient, fortement, emprunté grâce à des prêts contractés auprès des banques occidentales, à de faibles taux d'intérêt, mais variables se trouvent, brusquement pris dans le piège de l'endettement.

A suivre...

*Auteur et chercheur indépendant en Economie mondiale, relations internationales et prospective