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La vision 2030 de Mohamed Ben Salman

par Akram Belkaïd, Paris

C’est l’un des termes incontournables dans les pays du Golfe. « The Vision », la vision (1). La vision du monarque qui voit plus haut que l’horizon et qui, tel un poète, déclare que l’économie est l’avenir du royaume (ou de l’émirat). « His highness had a vision », autrement dit fakhamatouhou, Son Altesse, a eu une vision…Ce serait l’explication du boom économique de ces quatre dernières décennies. Chaque pays membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a présenté sa vision pour l’avenir. Le dernier en date est l’Arabie saoudite qui a annoncé à grand renfort de publicités mondiales le lancement de sa « vision 2030 ».
 
Privatisation partielle de l’Aramco
 
On sait que la machine économique du royaume est enrayée du fait de la chute des prix du pétrole et de ses engagements directs et indirects dans plusieurs conflits régionaux. En 2016, la croissance de son Produit intérieur brut (PIB) ne devrait pas dépasser 1,5% contre 3,4% en 2015 (ce qui était déjà considéré comme une mauvaise performance eu égard aux besoins du royaume). On sait aussi que le pays, comme nombre de producteurs d’or noir, est incapable de diversifier son économie. « Un pays incapable de fabriquer une voiture ne peut prétendre jouer le rôle de puissance régionale », relevait il y a déjà deux ans le célèbre chroniqueur Fareed Zakaria.
 
Avec « vision 2030 », Riyad entend donc réformer son économie en profondeur et lui permettre de se diversifier. On ne sait pas encore grand-chose des mesures qui vont être adoptées mais l’une d’elle fait déjà beaucoup parler d’elle : 5% de la société pétrolière Aramco vont être mis en Bourse. Une privatisation partielle qui devrait rapporter 100 milliards de dollars. De l’argent frais destiné à alimenter un Fonds souverain gérant pour 2000 milliards de dollars d’actifs, soit l’équivalent de 10% des capacités d’investissement dans le monde. Pour le reste, on verra dans les prochaines semaines si l’Arabie saoudite va mettre en place une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et si des mesures concrètes seront adoptées pour inciter la jeunesse locale à accepter des emplois dans le privé plutôt que de continuer à rêver à une place dans une fonction publique pléthorique.

L’architecte de ce grand chambardement est Mohamed Ben Salman, jeune prince de trente ans, fils du roi Salman et à la fois ministre de la Défense et président du Conseil économique du royaume. Autrement dit, c’est l’homme en charge de deux dossiers fondamentaux pour l’avenir de la monarchie wahhabite. D’un côté, les guerres, dont celle menée notamment au Yémen, et de l’autre, l’obligation de réformer une économie sclérosée, improductive et dépendante à plus de 90% - en terme de recettes extérieures- des hydrocarbures. Si échec il y a, ce sera celui de «MBS» et donc, par ricochet, celui de son père.
 
Une ouverture vers les milieux d’affaires
 
Voilà pourquoi l’évolution de l’économie saoudienne et l’effet des réformes vont être suivis de près. Pour l’heure, le fait majeur est l’ouverture du capital de l’Aramco. Un événement à grande portée symbolique quand on sait que la nationalisation de cette compagnie a constitué un long bras de fer dans les années 1960 et 1970 entre Riyad et Washington. En décidant cette privatisation, Mohamed Ben Salman se concilie les bonnes grâces des banques d’affaires internationales et une bonne partie du Congrès américain qui a toujours considéré, surtout les élus républicains, que le monopole saoudien sur l’or noir devait être abrogé. Ce sera donc bientôt chose faite. Reste à savoir si cela suffira à calmer les inquiétudes d’une famille royale dont nombre de membres éminents ont adopté une réserve susceptible de vite se transformer en hostilité.