Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le bilan de la réforme LMD : une réforme pour quels objectifs ?

par Pr. Mohamed Mezghiche

A l'instar des réformes de 1972 et celle de 1985 de l'enseignement supérieur, ni le contenu ni l'objectif de la réforme LMD n'ont été débattus et discutés par la communauté universitaire (enseignants, responsables et étudiants). Nous pourrons douter même s'il y avait d'autres objectifs que celui de mettre en œuvre le LMD sous contraintes.

Le paquet LMD, comme tout le monde le sait, a été ficelé et empaqueté à Bologne et importé en Algérie avec ses avantages mais aussi avec ses multiples inconvénients. Son application par touches successives n'a pas fait apparaître dès le début les difficultés et les incohérences de son application à l'université algérienne. Dès le début de son application en 2004 dans les trois université pilotes Boumerdès, Blida et Béjaia, des réserves ont été émises par certains enseignants sur son applicabilité et aussi sur le manque de clarté de ses objectifs pour l'université algérienne. Mais, les défenseurs de ce projet, qu'ils soient enseignants ou responsables dans les institutions de la tutelle, mettaient en avant ses avantages et surtout les solutions qu'il est susceptible d'apporter aux problèmes dans lesquels pataugeait l'université. Leurs arguments s'appuyaient sur les points suivants :

1. Le système qui prévalait avant l'introduction du système LMD (l'ancien système) était, de l'avis de tous les pédagogues, devenu obsolète. Les contenus des programmes des différents cursus marquaient un grand décalage avec l'état de développement permanent de la science et leur mise à jour obéissait à une très lourde procédure. Le système d'évaluation, composant fondamental du système d'enseignement, avait perdu totalement son sens. Les multiples accommodations apportés par les responsables de la tutelle pour augmenter les taux de réussite chez les étudiants avaient complètement faussé le sens des examens. Il suffisait, par exemple, à un étudiant de travailler très peu pour réussir dans son module. Le contrôle des connaissances des étudiants était devenu sans pertinence. L'ancien système croulait devant cette incohérence et les diplôme délivrés perdaient de leurs valeurs. Le réformer devenait nécessaire.          Le système d'évaluation du LMD devrait intégrer une grande part du travail personnel de l'étudiant qui sera responsabilisé dans son activité d'apprentissage. Ceci est supposé à améliorer le niveau de la formation et revoir la conception classique de l'activité pédagogique. Cette dernière avait perdu de son efficacité, minée par le manque flagrant d'enseignants qualifiés et expérimentés et d'une gestion des institutions piégée entre laxisme et dirigisme.

2. La gestion des flux des étudiants est considérée comme objectif primordial. A chaque Bachelier une place pédagogique est devenue le seul principe des gestionnaires de l'enseignement supérieur. Mais, ils se rendaient compte qu'avec le nombre croissant de bacheliers qui devait dépasser très rapidement le million ce principe était difficile à satisfaire. Le LMD, contrairement à l'ancien système, offrait des paliers dans la formation universitaire. Les gestionnaires comptaient, par analogie à ce qui se passait dans les pays européens, mettre sur le marché du travail la majorité des étudiants après le premier palier. Ainsi ils pensaient diminuer le nombre des étudiants pour les études de longue durée. Des paliers L (Licence) M (Master) et D (doctorat) devraient en principe aider à inverser la pyramide des diplômés. Mais ce calcul ne tenait pas compte de la réalité algérienne.

3. Le LMD était supposé aider l'université algérienne à s'ouvrir sur le monde et particulièrement à l'union européenne en facilitant une plus grande mobilité des étudiants algériens. A l'image des étudiants européens qui peuvent intégrer plus facilement d'autres universités de la communauté. Cet objectif devrait être atteint par l'uniformisation de la gestion des différents cursus en introduisant les concepts de crédits et de parcours de formation. En principe chaque étudiant peut construire son parcours de formation et s'inscrire pour acquérir les crédits nécessaires. C'est là le fondement même de la réforme de Bologne.

4. L'apport du LMD sur les études doctorales est axé sur le concept recherche sur projet. Ceci devrait traduire les besoins en innovation et solutions pour l'entreprise dont la survie dépend de sa compétitivité dans un marché de plus en plus mondialisé. Les différentes formations proposées doivent être avant tout professionnalisantes en adéquation avec les besoins du marché. Après presque une décennie d'application, On peut se demander si les objectifs assignés à cette réforme LMD ont été atteints. A-t-elle apporté les solutions attendues des problèmes de l'ancien système ? Peut-on réellement affirmer que la réforme LMD a permis à l'université algérienne de remplir pleinement son rôle dans la société, c'est à dire assurer une formation de qualité ?

Pour répondre à ces questions nous allons voir les différents axes cités ci-dessus autour desquels s'est articulée la mise en oeuvre de cette réforme LMD et analyser l'impact de leur application dans la réalité de l'université algérienne.

L'ACTUALISATION DES PROGRAMMES

Dans l'ancien système, les programmes des cursus de formation étaient des programmes nationaux. Par exemple le contenu des programmes du cursus de formation d'ingénieurs en informatique était le même dans toute les universités algériennes. C'est le conseil national pédagogique (CPN) qui définissait le contenu du cursus pour chaque type de formation. Il se trouve que toute initiative pour améliorer le contenu d'un module ou introduire de nouvelles matières se heurtait à une lourde procédure. Pour faire aboutir une proposition il fallait en moyenne cinq années. Très vite, les programmes de différentes formations se trouvaient parfois en décalage avec l'actualisation des connaissances.    A la différence de l'ancien système le LMD a introduit la notion de formation spécifique à chaque université. Il n'existe plus de programmes de formation à l'échelle nationale. Chaque université peut en toute liberté définir ses propres formations. On comprend donc la souplesse introduite dans le montage de nouvelles formations. Ceci dépendra seulement de l'encadrement enseignant des différentes spécialités et type de formations. Mais cette liberté de confectionner, proposer des formations et les faire aboutir rapidement a un prix. La qualité des formations proposées n'est pas garantie dans toutes les universités. Les contenus des différentes formations proposées dans Les universités reflètent leurs capacités en encadrement des étudiants. Les universités étoffées en enseignants en qualité et en quantité suffisante ont pu proposer des formations d'un niveau acceptable. Mais certaines universités, souvent de l'intérieur du pays, manquant cruellement d'encadrants de rang magistral, ne pouvaient, naturellement, proposer des formations de bonne facture. On peut affirmer donc qu'il s'est crée un enseignement à deux vitesses dans notre pays. Un étudiant inscrit dans les universités des grandes villes a plus de chance de réussir qu'un étudiant inscrit dans une université de l'intérieur. L'équilibre régional a été rompu par l'introduction du LMD.

Même si depuis quelques années, les responsables ont pris conscience de ce problème et ont pris des décisions pour mettre de l'ordre dans les offres de formations des universités, les méthodes pour l'habilitation des formations restent très loin des normes internationales.

SYSTEME D'EVALUATION

Dans l'ancien système, la gestion des flux et la pression exercée par les étudiants avaient amené les responsables de la tutelle de l'enseignement supérieur à alléger fortement le système d'évaluation. De plus, la mesure d'exclusion de l'étudiant après trois absences dans les travaux dirigés (TD) d'un module n'a jamais été appliquée. Ce laxisme a fini par transformer complètement le système en un système qui délivrait des diplômes à des étudiants qui étaient loin de les mériter. Le diplôme algérien commençait à perdre de sa valeur et les étudiants partant à l'étranger se sont très vite aperçu qu'il leur fallait beaucoup d'efforts pour combler leur lacunes. Le système d'évaluation dans la réforme LMD a-t-il apporté les solutions à cet état de faits ? Malheureusement non. Le système d'évaluation a été aussi modelé pour avoir un taux de réussite le plus élevé possible. Le souci d'assurer un bon niveau aux étudiants n'est pas été considéré comme la priorité des efforts à consentir. Les multiples dérogations, comme par exemple exiger seulement 30 crédits sur 60 pour le passage, ont commencé doucement par diminuer la pertinence du système de contrôle des connaissances. Des incohérences inacceptables ont même été constatées. De plus, le manque de rigueur dans la prise en charge des contrôles des connaissances intermédiaires (ETCD) n'a pas contribué à améliorer le niveau des étudiants. Le LMD intègre aussi le concept du travail personnel de l'étudiant. Les volumes horaires ont été allégés relativement à ceux de l'ancien système. Cette baisse du volume d'activité pédagogique n'a pas été mise à profit par les étudiants qui n'ont pas été préparés pour une telle tâche. Ceux qui étaient censé appliquer la réforme LMD n'ont pas tenu compte de ces contraintes pour bien la réussir. Encore une fois, le système d'évaluation mis en place aujourd'hui ne peut conquérir à améliorer la qualité de la formation universitaire.

LE CONTROLE DE FLUX

A la différence de l'ancien système, le LMD prévoit trois paliers, licence, master et doctorat. Les responsables du ministère de l'enseignement supérieur comptaient sur cette organisation en palier pour mieux gérer les flux importants d'étudiants. Dans l'ancien système la majorité des étudiants s'inscrivait pour des études de longues durées 5 années). Le coût de ce long séjour est devenu important. L'idée, que des étudiants pouvaient quitter l'université après un premier diplôme acquis seulement en trois ans, est bien séduisante pour les gestionnaires de la tutelle et aussi pour ceux qui pensent que les problèmes de l'université viennent seulement du nombre croissant des étudiants. Cette vision ne pouvait pas se réaliser. Les étudiants ont très tôt compris qu'ils n'ont aucune chance de s'insérer dans le monde du travail s'il n'ont acquis que le premier palier. Ils ont donc opté pour des études aussi longues que possible et s'est devenu aussi leurs principale revendication. Ils ont donc réussi à mettre en échec l'application de la réforme LMD telle qu'elle a été pensé par ces concepteurs qui l'avaient inventé en se référant à des pays dont l'économie générait des emplois qualifiant. Ce n'est pas le cas dans notre pays.

MOBILITE ET ENSEIGNEMENT A LA CARTE

En adoptant le même système d'enseignement supérieur que la communauté européenne( CE), les responsables algériens avaient crû voir un avantage dans les relations de coopération avec ces pays et particulièrement avec la France. Mais, la réalité de la situation confirmait que la coopération avec la CE obéissait à d'autres critères. Les mêmes qui prévalaient bien avant l'introduction du LMD. Les universités des pays des tiers monde étaient toujours considérées par les pays développés comme un réservoir de matières grises dans lequel ils puisent ce qui peuvent les intéresser pour renforcer leur potentiel scientifique. D'un autre coté, l'absence de politique nationale de développement qui définit le rôle à jouer et la place de l'université dans la réalisation de ces objectifs, ont aidé ce type de coopération «dominant-dominés». Sur ce plan de l'ouverture au monde, l'université algérienne n'a fait aucun progrès. Nous pouvons aussi noter que la mobilité interne des étudiants algériens au lieu d'être encouragée a été plutôt limitée. La diversité des cursus de formation dans chaque université rendait difficile le choix de mobilité des étudiants. La différence entre les cursus d'une même spécialité est souvent énorme.

La formation à la carte, possible en théorie avec la réforme LMD, a été un échec total. Les formations proposées sont de type «tubulaires». L'absence, presque totale, de passerelles entre les différentes spécialités rendait inopérant l'argument de vente «formation à la carte» censée accompagner l'application de la nouvelle réforme.

FORMATION DOCTORALE

On parle aujourd'hui de doctorat classique et de doctorat LMD, alors que les textes officiels réglementant la formation doctorale parle seulement du diplôme unique appelé « Doctorat d'université ». L'accès à cette formation est aujourd'hui ouvert aux titulaires d'un Master LMD sur la base d'un concours et aux titulaires de Magister (ingénieur +3). Pour être plus clair, rappelons qu'avant la mise en place de la réforme LMD, la formation doctorale était composée de deux paliers.

Le premier palier le Magister dont l'accès se fait par concours national. L'obtention de ce diplôme nécessite 3 années d'études après l'ingéniorat. Le doctorat demandera au minimum 4 années d'études après le Magister. L'inconvénient majeur de ce type de formation est la longue durée nécessaire pour l'obtention du diplôme du doctorat. Ceci coûte cher aux finances publiques et l'âge des doctorants dépasse souvent la quarantaine. Cela est absurde. Le seul avantage de l'existence du palier intermédiaire Magister est qu'il permet de former rapidement des spécialistes dans des domaines différents qui peuvent être recrutés comme maître assistant à l'université. Ces diplômés vont rarement à l'entreprise pour des raisons d'absence d'offre d'emplois dans le secteur productif. Le système LMD n'offre pas de palier intermédiaire dans la formation doctorale. L'étudiant titulaire d'un Master2, après une sélection sur dossier et concours s'inscrit en doctorat qu'il est censé préparer en 3 années.

Cette organisation est récente, et, nous n'avons pas assez de recul pour pointer ses avantages et ses inconvénients. Mais l'expérience de son application depuis quelques années a fait ressortir que le mode de sélection des étudiants basé sur les résultats obtenus durant son cursus et complété depuis l'année passée par un examen écrit n'est pas pertinent. Certes le parcours et les résultats obtenus par le candidat sont un important indicateur mais, il est loin de refléter ses capacités et son intérêt pour un domaine de recherche particulier.

Dans les pays où ce système est appliqué, la sélection se fait au niveau du troisième semestre du Master. Le projet du mémoire, préparé durant le quatrième et dernier semestre, est déterminant pour le choix du sujet de thèse de doctorat. Il existe, bien sûr, quelque rares exceptions à cette règle. Mais, elles restent marginales pour en tenir compte. Le contrat d'engagement entre l'enseignant encadreur et l'étudiant est très clair. L'étudiant sait ce qui l'attend et l'enseignant sait à qui il a affaire.

Ce type d'organisation est malheureusement inapplicable dans notre université. Le type d'admission en doctorat ne le permet pas, car au moment de choisir le thème de son projet de mémoire l'étudiant ne sait pas s'il sera pris ou non pour la formation doctorale. En réformant les études doctorales, les concepteurs du LMD avaient pour objectif de financer la recherche scientifique, en grande partie, par les entreprises.

La durée de 3 années pour la préparation d'un contrat de recherche (un sujet de doctorat) correspond bien aux souhaits des entreprises. L'idée de recherche sur projet a donc trouvé sa concrétisation dans la réforme LMD. L'activité de recherche doit obéir aux besoins du marché en innovation et aux besoins des entreprises à résoudre leurs problèmes. C'est tous ses besoins qui concourent à définir les thèmes de recherche sur lesquels devraient travailler les doctorants. C'est un contrat à respecter entre l'université et le monde du travail et dont la durée ne doit pas dépasser trois années. Nous ne pouvons pas avoir une telle logique dans notre pays. Nous ne vivons pas les mêmes conditions ni la même situation économique. Le doctorat du LMD ne répond pas aux attentes actuelles de l'université algérienne dont les besoins en encadrements sont encore importants.

L'URGENT A FAIRE

Contenus des points soulignés ci-dessus, il apparaît difficile de continuer d'ignorer les vrais problèmes qui empêchent l'université algérienne de prodiguer un enseignement de qualité. Le défi est de taille. Quelque soit l'effort que peut consentir notre pays pour le financement de la recherche scientifique, si la formation des futurs chercheurs et aussi des futurs cadres de l'économie n'est pas de bon niveau alors, l'investissement sera de pure perte. Il faut aussi être convaincu que l'université a un rôle à jouer pour le développement de la société. Conviction qui n'est pas toujours réellement partagée par les responsables du pays, même si elle est rappelée souvent dans le discours officiel mais rarement suivie d'effets concrets. Pour concrétiser de telle politique, la communauté universitaire doit être sensibilisée et mobilisée. Un regard critique sur l'université et sur la réforme est nécessaire. Un débat sérieux et continu doit s'articuler sur les points suivants :

1.La qualité de la formation doit être l'objectif primordial. Malheureusement cet objectif est encore loin d'être atteint . Il s'avère aussi nécessaire pour une recherche scientifique utile dans le sens le plus large du terme. Ce lien est souvent omis dans l'évaluation de la performance de la recherche scientifique. Il faut en tenir compte pour éviter des dépenses inutiles dans des projets qui n'aboutissent jamais.

2. La recherche scientifique en Algérie ne peut réellement concrétiser ses objectifs que si elle accompagne un développement économique et industriel important. Seul un secteur public dynamique est capable d'insuffler une telle orientation. Le secteur privé encore en formation pourra-t-il aussi contribuer ?

3. Beaucoup considèrent que le nombre élevé d'étudiants qui s'inscrivent à l'université chaque année est l'origine de tous les maux.

Au contraire, c'est un atout majeur pour l'université à condition, bien sûr, Qu'ils soient correctement pris en charge et leur éviter la perte de temps suite aux multiples grèves pour revendiquer une meilleure formation. Ce qui peut gêner l'université ce n'est donc, pas le nombre importants d'étudiants, mais, c'est leur niveau médiocre.

4. Il est clair qu'il faut mettre un terme à la formation à deux vitesses. Revoir les cursus des formations proposées et éviter, sous prétexte d'assurer une formation à des étudiants déjà inscrits, ouvrir des nouvelles formations sans avoir réellement les capacités de les prendre en charge. C'est la fuite en avant qui peut avoir des conséquences très grave à l'avenir

5. La rigueur d'application du système d'évaluation est une nécessité. Des mécanismes, à trouver, doivent être introduits pour mobiliser les enseignants autour de cet objectif. Un travail continu, dont les modalités sont à définir, est à développer envers les étudiants pour réussir le système d'évaluation.

6. La formation doctorale doit être repensé et ses objectifs clairement définis.