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Temmar va plus loin avec « Le Quotidien d'Oran » : L'économie de l'Algérie vue par le Pr Hamid Temmar

par La Rédaction Nationale



Une étude des stratégies et politiques de développement économique et de la croissance de 1970 à aujourd'hui.

Un imposant ouvrage de présentation, d'analyse et d'évaluation des stratégies et politiques de développement de l'économie mises en œuvre de 1970 à 2010 est publié par le Pr. Temmar, ancien ministre aux Editions de l'Office des Publications Universitaires.

Cet ouvrage vient après un autre travail, publié il y a quatre ans également par l'OPU, portant sur les stratégies et politiques de développement et de relance de la croissance des économies émergentes.

Le nouvel ouvrage reprend le cadre d'analyse, les concepts, les arguments et conclusions de cette étude sur les économies émergentes pour faire l'étude du cas historique très spécifique de l'économie nationale.

Si des travaux sur l'économie algérienne ont été publiés, c'est le premier ouvrage qui déroule l'histoire économique de notre pays depuis 1970, date de réel démarrage de la construction de l'économie nationale.

L'ouvrage fait, du fait de la perspective historique retenue, une présentation totalement renouvelée de l'évolution de l'économie nationale. C'est à travers l'analyse des stratégies adoptées et les politiques mises en œuvre par les différentes équipes politiques qui se sont succédé à la tête de l'Algérie que l'auteur de l'ouvrage relève progressivement les facteurs fondamentaux -de nature idéologique, politique et institutionnelle- qui expliquent les états, les crises et les développements successifs qu'a connus l'économie nationale pendant les 40 dernières années.

C'est un ouvrage qui n'est certainement pas polémique mais une présentation très documentée sur tous les plans (économique, social et politique) qui est parfois très technique mais qui est aussi historique et de ce fait passionnante.

Il concerne l'université et il est particulièrement indispensable, nous semble-t-il, comme source de référence pour les étudiants, les étudiants de Master et les doctorants, les chercheurs et les professeurs des facultés d'économie, de sciences politiques, de sociologie, d'histoire. Mais il s'adresse directement à toutes les institutions publiques (ministères, organismes liés à la gestion à l'économie nationale dont les banques) et privées (partis politiques), les decision makers, le monde des affaires et les organisations syndicales. L'ouvrage les interpelle directement et demande des réactions de leur part.

Nous avons ainsi rencontré le Pr Temmar pour une présentation globale de son ouvrage.

Le Quotidien d'oran.: Vous présentez un travail d'analyse et d'évaluation des stratégies et politiques qui ont jalonné l'histoire de l'économie nationale. Généralement c'est l'évolution de l'économie elle-même à travers les agrégats qui est présentée, pourquoi ce travail s'attache-t-il aux stratégies et politiques plutôt que l'évolution de l'économie elle-même?

Hamid Temmar: L'intérêt de cet ouvrage est de comprendre le fonctionnement et la dynamique de l'économie algérienne et de donner une réponse à des questions qu'on peut légitimement se poser quand on considère les avantages dont dispose l'Algérie pour se hisser au niveau d'une croissance significative. Trois questions se posent:

Pourquoi l'Algérie n'a-t-elle pas rejoint le peloton des économies émergentes? Pourquoi l'Algérie est-elle distancée par la plupart des pays qui ont le même niveau de capacité de développement ?

Pourquoi, malgré un taux d'investissement élevé et la prise de mesures de relance coûteuses, la croissance de l'économie reste-t-elle sous optimale ? Pourquoi voit-on l'économie s'enfoncer toujours davantage dans la dépendance pétrolière et ainsi la croissance dépendre des marchés internationaux ?

Et par conséquent,

Que faire pour que l'économie se transforme en un ensemble diversifié et compétitif capable de contenir les importations et d'aller à la conquête de marchés extérieurs ?

L'Algérie se trouve aujourd'hui dans une situation économique qui rend difficile toute comparaison avec d'autres pays de même niveau de développement. Le revenu par habitant est de l'ordre de 7400 $ (en PPA), 2,5 fois supérieur à celui de l'Inde (2800$) et 1,5 fois celui de la Chine (5700$).

Les indicateurs sociaux placent le pays au niveau des pays les plus avancés. Pourtant, alors que l'Inde comme la Chine ou encore d'autres pays comme l'Argentine, la Malaisie ou la Turquie sont considérés comme des pays émergents, l'Algérie ne l'est pas.

La caractéristique des économies citées est que leur économie est portée par une dynamique vertueuse de transformation grâce à des réformes soutenues et crédibles.

Par contre l'Algérie se distingue par une période de transition anormalement longue, faite de lancement de réformes de grande portée, d'arrêts brusques, d'accélérations suivies d'infléchissements et de retournements du rythme des politiques. Cela a mis l'économie dans une situation de fragilité et d'inefficience.

Cette situation d'inefficience et de faible compétitivité est une caractéristique permanente de l'économie et se retrouve à toutes les phases de développement.

Les équipes dirigeantes ont toujours hésité entre, d'une part, un simple réaménagement du système de production au nom de l'indépendance économique et, d'autre part, un engagement affirmé dans un processus de liberté économique et d'intégration à l'économie mondiale. L'analyse historique montre que ces hésitations expliquent que les phases de changement et d'édification progressive de capacités productives compétitives de la nation se sont trouvées systématiquement contrariées et n'ont pas permis une rupture significative dans le mode de fonctionnement de l'économie et dans l'organisation de ses institutions.

Q.O.: Vous faites une approche historique des stratégies et politiques adoptées et mises en œuvre par l'Algérie pendant les 40 dernières années.

Quelles sont les étapes que vous retenues pour marquer le jalonnement de cette évolution historique pour identifier les explications profondes du développement de l'économie ?

H.T.: Cet ouvrage n'est pas une présentation de l'évolution de la situation de l'économie ni un essai d'explication par les variables économiques et/ou les seuls paramètres structurels de l'économie. Il se propose d'identifier les mouvements profonds de l'économie algérienne et de saisir les paramètres sociopolitiques qui sous-tendent les stratégies et politiques économiques mises en œuvre.         C'est cet objectif qui a rendu nécessaire une approche historique. Le processus de construction de l'économie sur une base nationale, libérée du pacte colonial a ainsi démarré en 1970. Ce sera la date repère de l'analyse qui sera retenue dans l'ouvrage.

L'ouvrage retient quatre phases historiques:

(i) une première période va de 1970 à 1986; elle est marquée par le développement d'une stratégie de développement indépendant volontariste mise en œuvre par l'Etat dans le cadre d'une planification centralisée et un cadre institutionnel de parti unique.

(ii) une seconde période va de 1986 à 1999 ; le «contre-choc» pétrolier (1986) et l'assèchement de ressources financières faciles et abondantes fait entrer l'Algérie dans une phase d'ajustement structurel forcé.

C'est dans une double situation d'insolvabilité et de crise sociale profonde que l'Algérie sera obligée d'entrer en négociation avec le FMI pour obtenir un prêt dans le cadre d'un accord de stabilisation et d'ajustement particulièrement drastique.

(iii) une troisième allant de 2000 à 2008 qui se donne comme objectif prioritaire le rétablissement de la paix et le retour à une cohésion sociale et la formulation d'une stratégie économique faite de deux dimensions : la transformation du système et un programme de relance de la croissance économique.

(iv) une quatrième phase démarre dans la deuxième moitié de l'année 2008, elle apporte de profonds infléchissements à la stratégie et aux politiques en cours.

On assiste à un ralentissement des politiques de réforme et un retour de l'Etat dans le fonctionnement de l'économie qui ont remis l'Algérie dans une situation imprécise qui rappelle la période pre-2000.

L'Algérie se retrouve dans la trappe de la transition. Ce déroulement historique des options et des politiques économiques fait l'objet du Tome I de l'ouvrage. C'est une réelle plongée passionnante bien qu'ardue -parfois trop détaillée- dans le long fleuve du développement de la nation.

On en tire comme conclusion que depuis 1970, et pour différentes raisons, l'Algérie n'a pas été en mesure de promouvoir un système de production solide et sophistiqué capable de se reproduire sans l'intervention systématique de l'Etat. En situation de transition depuis 1986, l'économie nationale n'a pas connu de réelles et profondes transformations structurelles. Elle a surtout vécu des périodes de changement contrariées qui n'ont pas permis une rupture significative dans son mode de fonctionnement et dans l'organisation du système économique.

Q.O.: La question qu'on se pose est alors : pourquoi l'économie nationale semble être enlisée dans ce que la Banque mondiale appelle «un trappe de la transition»?

Trois explications sont avancées par les économistes: (i) le syndrome ou mal hollandais («Dutch disease»), (ii) une deuxième explication se réfère aux contraintes qu'impose l'environnement d'opération des entreprises et (iii) l'explication par la rente pétrolière. Ces explications estime le Pr Temmar sont réelles mais ne sont pas entièrement convaincantes. L'explication se situe à un niveau plus fondamental.

L''histoire économique de l'Algérie souligne que les facteurs idéologiques d'indépendance économique et d'égalité sociale et la nature des institutions et du mode d'exercice du pouvoir qui s'y applique sont les paramètres qui, au rythme de l'importance des ressources financières, ont constitué tout au long de l'histoire économique de l'Algérie, les «constantes» des stratégies et politiques de développement. Selon les différentes phases institutionnelles de développement qu'a connues l'économie, le mix de «constantes» a changé mais s'est traduit invariablement par une doctrine d'action volontariste et d'intervention généralisée de l'Etat. Cela expliquerait l'incapacité du pays et de la plupart des élites (pas seulement politiques) à accepter franchement et à intérioriser l'idée de libre entreprise et d'intégration mondiale et à l'inscrire dans un système et une stratégie qui la concrétisent.

Q.O.: Dans ce cas, quelle est donc la solution et l'approche pour que l'économie puisse sortir de cet état de transition permanente?

H.T.: Les pays qui ont démarré un processus de croissance accélérée comme la Turquie ou la Malaisie -et l'Algérie se trouve devant cette situation historique- l'ont réalisé dans un système de coordonnées précis:

(i) le cadre institutionnel et le mode d'exercice du pouvoir qui s'y réalise, L'introduction de réformes profondes à la fin des années 80 a consacré la fin des systèmes du parti unique mais cela n'a pas signifié le passage à un multipartisme actif, mais à un système d'anocratie ou de démocratie approximative aux institutions instables.

L'auteur s'appuie sur les travaux de toute une nouvelle école d'économistes et un nombre significatif de travaux menés, depuis 20 ans, qui ont remis en avant le rôle déterminant que jouent les idéologies et la nature des institutions et les croyances, dans la dynamique économique et notamment de la croissance. Si, dans pratiquement tous les pays en transition, l'organisation du système politique a changé de forme, fondamentalement le fonctionnement de l'ensemble socioéconomique et le rythme des changements systémiques souhaités seront déterminés par les appareils et les chapelles dominantes, ces dernières adaptant leur comportement et rétablissant ainsi un nouvel équilibre de partage des avantages.

(ii) La mondialisation est un phénomène économique multidimensionnel complexe, en perpétuelle dynamique qui affecte la structure de la production mondiale de biens et services, les flux et la structure des échanges commerciaux, le processus de production de biens et services, l'organisation et les stratégies développées par les entreprises mondialisées, et enfin le volume et la structure des flux financiers.

L'auteur relève que la globalisation notamment des flux économiques, l'utilisation des technologies nouvelles de l'information et la haute compétitivité qui en découle ont agi comme un levier puissant d'adaptation des économies dans le monde et notamment dans la plupart des pays émergents. qui ont ainsi intégré le marché mondial au mieux de leurs intérêts.

Donc la recherche d'une stratégie de sortie de la transition et de relance de la croissance se tiendra forcément dans le cadre de cette double contrainte. Elle devra répondre à une double problématique:

3 Que faut-il faire pour transformer l'économie en un ensemble productif stable et robuste, capable de réagir rapidement et de s'auto-adapter quasi spontanément à l'évolution des marchés mondiaux sans pour cela risquer une rupture du système ? «Comment faire», quelle gouvernance publique économique pour la mise en œuvre des politiques.     La problématique de gestion des politiques est certainement critique et est aussi stratégique que les politiques économiques elles-mêmes.

Q.O.: Mais d'une manière concrète, quelles sont les politiques à mettre en œuvre et qui répondent à la question stratégique première du «Que faire»?

H.T.: En ce qui concerne cette première question, l'étude des expériences dans le monde pendant les trente dernières années montre que la transition vers un cadre économique vertueux qui permet une croissance économique durable et une compétitivité solide passe par la mise en œuvre d'une stratégie faite de deux dimensions:

(i) la mutation du système économique -le cadre de fonctionnement de l'économie nationale-. En Algérie, cela implique la mise en œuvre de politiques qui permettent:

l l'émergence d'un système bancaire efficient qui implique l'ouverture du secteur bancaire et l'introduction d'un cadre concurrentiel entre les banques,

l l'émergence et le développement d'un marché financier (des valeurs) actif,

l l'organisation d'un marché transparent et efficient du foncier économique,

l le renforcement du cadre de concurrence du marché des biens et services pour le libérer des privilèges et des monopoles ainsi que des obstacles imposés souvent par la rigidité administrative.

(ii) la relance de la croissance économique. En Algérie cela implique la mise en œuvre des politiques suivantes qui visent, il faut le noter, une endogénéisation de la décision de croissance:

la promotion de l'investissement national et la mobilisation de- l'investissement direct étranger,

la promotion et le développement du secteur privé en un secteur concurrentiel à forte productivité dans le cadre d'un programme de mise à niveau étendu,

le redéploiement des activités du secteur public accompagné d'un programme d'ouverture de capital et de privatisation des entreprises publiques opérant dans les domaines marchands,

la promotion et le développement de capacités d'innovation et de Recherche-Développement et de systèmes d'information modernes.

La réalisation de ces politiques appelle des mesures de support : (i) mise à niveau des administrations économiques de l'Etat et de formation des decision makers et de ressources humaines expertes, (ii) développement d'infrastructures développés et (iii) politiques macroéconomiques qui servent la croissance dans un cadre de stabilité de moyen terme, (iv) la mise en place d'une politique sociale adaptée.

Q.O.: Vous indiquez dans votre ouvrage que ce cadre stratégique a été clarifié au début des années 2000. Vous semblez avoir utilisé ce cadre Ce cadre stratégique semble avoir été posé avec la mise en œuvre du Programme de stabilisation de 1994.

H.T.: Non. Le programme de 1994 n'attaque pas la remise en question des structures de l'économie héritées du passé malgré les premières réformes du début des années 1990. L'objectif du Programme était le rétablissement des grands équilibres macro-économiques -budget, balance des paiements, taux de change, prix.

Le programme, en dehors de recommandations très générales, a ignoré ce qui fait l'essentiel de la dynamique économique, à savoir la transformation volontariste du cadre de fonctionnement de l'économie; il pense que l'ajustement par les variables macro-économiques et la libération des prix entraînent le changement. Mon passage au gouvernement m'a appris qu'il n'est rien.

A l'inverse, ce cadre stratégique a été au cours des années 2000. Je l'ai donc utilisé comme support pour la présentation que fait l'ouvrage de l'économie de l'Algérie. En effet, pour l'ensemble des politiques de transformation du cadre de fonctionnement et de relance de l'économie, l'Algérie a depuis 1970 mis en œuvre des politiques audacieuses et parfois coûteuses.

Mais, il apparaît que, au fur et à mesure de son évolution vers une économie de libre entreprise, l'Algérie a adopté des politiques de grande portée dont la concrétisation a toujours été contrariée.

Selon l'auteur, cette évolution aussi lente et pénible qu'elle fût témoigne de l'avance inexorable de l'économie vers la liberté d'entreprise et l'ouverture aux marchés mondiaux. Elle témoigne également de la difficulté que les responsables algériens ont toujours eu, pour des raisons idéologiques, à admettre cette nécessaire évolution.

L'ouvrage fait précisément l'analyse des avancées successives et des reculs dans la mise en œuvre des réformes. Je l'ai ainsi structuré en trois Tomes :

Le premier Tome est une rétrospective historique des différentes phases du développement historique. Il présente les stratégies adoptées par l'Algérie pour organiser le développement économique de la nation depuis 1970. Le choix de situer la présentation dans une perspective historique permet de faire une analyse approfondie des stratégies dans chacune des quatre phases retenues dans l'ouvrage et ainsi d'identifier les facteurs fondamentaux qui ont déterminé la dynamique de l'économie nationale, son caractère erratique et son incapacité à se placer dans la voie royale de la croissance élevée et durable. Elle met en valeur le caractère permanent d'une gestion faite de «go and stop» que l'auteur saisit dans «le mythe de Sisyphe».

Le deuxième Tome fait une présentation des politiques mises en œuvre touchant à l'évolution du cadre de fonctionnement de l'économie nationale. Il couvre les choix successifs qui ont été faits en matière de structuration bancaire, les initiatives prises pour la création et le développement d'un marché financier à terme actif, les mesures arrêtées pour l'émergence d'un marché foncier qui sert l'investissement et enfin les tentatives de rationalisation du marché des biens et services.

Le troisième Tome fait une analyse des politiques de relance de la croissance. Il présente l'évolution de l'attitude de l'Algérie en matière de promotion de l'investissement et d'attractivité des Investissement directs étrangers.

Il examine les conditions d'émergence et de développement du secteur privé et évalue les mesures d'appui à sa mise à niveau. Il présente l'évolution du secteur public marchand, les raisons de son incapacité à contribuer d'une manière significative à la formation de la valeur ajoutée industrielle malgré la générosité financière de l'Etat. Il étudie les conditions d'émergence d'une capacité nationale d'innovation, de recherche-développement et d'information moderne.

Q.O.: Les Tome II et III présentent donc les politiques que l'Algérie a introduites au cours de son histoire économique et mises en œuvre à des degrés divers pour répondre à la question «Que faire?». Il reste la deuxième dimension le «Comment faire?» que vous estimez être une question de nature tout aussi stratégique, critique et aussi stratégique que les politiques. C'est en effet tout l'espace des problèmes de gouvernance et d'organisation du mode de gestion des politiques qui est posé.

H.T.: Il faut noter c'est une préoccupation qui n'est posée qu'incidemment et qui n'a pas fait l'objet d'une attention particulière des responsables économiques nationaux et donc il n'existe pas beaucoup de matière à analyser. L'Etat a toujours conduit l'économie; aussi la problématique de la gouvernance économique a-t-elle été absente des préoccupations des dirigeants algériens et de l'analyse des experts nationaux, étant retenu que la gouvernance est par définition de nature politique. Pour des raisons inexpliquées, il est considéré que le corps économique et social algérien est en mesure d'absorber et les agences d'exécution en mesure de mettre en œuvre tout naturellement les politiques de réforme -sans explication et sans mobilisation. C'est une erreur. La période 1987-1989 a certes été l'occasion d'initiatives de gouvernance de grande portée mais les réformes ont été absorbées par la tragédie nationale. C'est la raison pour laquelle, j'ai estimé nécessaire de présenter dans un Tome IV la gouvernance publique économique telle qu'elle ressort implicitement des approches éparses du gouvernement, à chaque étape de l'économie mais en assortissant cette analyse de recommandations détaillées. Cette approche est nettement moins factuelle et est plus normative que les Tomes I à III. Ce que je regrette moi-même.

Il faut partir de la constatation que la période de transition est une période de rupture sociale où s'entrechoquent des systèmes différents et où s'affrontent des chapelles (constituencies) et les intérêts constitués (vested interests) puissants et parfois (informellement) organisés et des groupes sociaux qui veulent conquérir des places.

Dans ce cadre, les choix de gouvernance se trouvent confrontés à trois contraintes:

un équilibre entre réforme/transformation et stabilité,

un équilibre concurrence et solidarité et

un équilibre entre dynamique du marché et gestion de l'Etat.

La constatation historique est que d'une manière générale, les choix opérés par l'Algérie se sont toujours et systématiquement portés sur la sauvegarde de la stabilité, une gouvernance centralisée et une présence de l'Etat dans le système économique. Or, sur le plan du développement, la recherche d'équilibre entre les termes contradictoires des choix de gouvernance requiert l'émergence de mécanismes reconnus de dialogue, d'arbitrage et de régulation entre trois acteurs essentiels du processus de formulation des politiques de réforme et la mise en œuvre de celles-ci: l'équipe/le parti au pouvoir et l'appareil d'Etat, les organisations syndicales et les associations patronales et professionnelles.

Q.O.: Quel est donc le positionnement de chacun de ces trois acteurs de la gouvernance qui semble crucial pour la mise en œuvre des décisions de développement ?

H.T.: D'une manière globale toutes les études indiquent que la transition, processus de transformation, implique l'intervention d'une institution primus inter pares pour amorcer et organiser le déroulement du processus de réforme. Cet élément exogène est l'équipe/le parti politique tirant sa légitimité et son autorité du vote populaire, un pouvoir exécutif ayant une vision claire de changement et d'un appareil d'Etat (le gouvernement) efficace et de decision makers convaincus de la nécessité du changement. Les Institutions financières internationales sont allées en ce sens. L'Etat au sens de Gouvernement (et son appareil administratif) est ainsi posé comme l'agent responsable ou encore le Maître de Cérémonie de la mise en œuvre des réformes.

En ce qui concerne notre pays, l'économie algérienne étant issue d'un système de Parti unique et de gestion étatique centralisée, L'UGTA se présente comme une organisation dominante et se veut le représentant unique du monde du travail.

Dans ce cas, elle se trouve dans une situation ambivalente. Le recul du secteur public, les privatisations et les avancées du secteur privé met l'UGTA devant une situation de recherche d'identité. Enfin, il est maintenant acquis que la concertation du gouvernement en matière de politique économique avec les acteurs sociaux, pour être profonde et opérationnelle, demande que le monde des affaires en général s'organise et s'arme de capacités institutionnelles et techniques pour être en mesure de disposer de pouvoirs de propositions et de critiques. Or, actuellement, si un grand nombre d'organisations générales d'entrepreneurs existent, de ce fait, leur poids en matière de représentativité officielle et leur implication dans le processus de décision du gouvernement restent limités.

Q.O.: A la fin de cet entretien quelles conclusions globales pourrions-nous tirer pour l'avenir?

H.T.: Peut-être trois remarques de nature différente.

1. L'économie de libre entreprise n'est pas le modèle stylisé que l'on enseigne dans les universités. L'Etat, les institutions, les groupes socioéconomiques, leurs poids et leurs rapports de force jouent tous et ensemble un rôle déterminant dans le fonctionnement de l'économie nationale qui est conduite par la dynamique d'un marché libre en permanent risque de déséquilibre. De la même manière, le marché n'est pas la structure idéale telle que définie par la théorie (de fait néoclassique) et assurant quasi automatiquement les équilibres économiques. C'est un espace où les inégalités, les déséquilibres et les menaces monopolistes, privées autant que publiques, sont toujours présents ; le marché doit être mis sous surveillance d'une manière permanente et ramené à l'équilibre par des politiques d'ajustement et/ou de régulation.

2. Dans notre pays, l'Etat-Gouvernement est omnipotent dans les mécanismes de fonctionnement de l'économie nationale : (i) les institutions monétaires, les mécanismes de commerce extérieur, les utilités publiques mais aussi de larges entreprises de nature commerciale restent directement ou indirectement aux mains de l'Etat, (ii) la dynamique de croissance est menée par l'investissement public, la promotion de l'investissement privé est organisée par la réglementation.

Ainsi l'organisation du pouvoir et les modalités concrètes de son exercice déterminent incontestablement les conditions de mise en œuvre des réformes, notamment la durée de réalisation, la mobilisation des moyens, la qualité des institutions.

3. Dans le cas d'une transition trop longue, quel que soit le système historique qui prévaut, naît une situation sociale hybride où des pans entiers de la société ont quitté l'ancien système et les références culturelles et valeurs du passé, sans s?ancrer solidement dans le système naissant et sans en absorber les valeurs de liberté et de solidarité. Cela aboutit à une situation où les centres de décision politiques et du gouvernement sont partagés entre l'encouragement à la liberté économique et politique et la nécessité d'assurer l'ordre et la cohésion sociale pour aboutir. Les risques d'immobilisme sont grands.

C'est là un scénario dangereux car l'immobilisme mène à une situation économique irrationnelle, dominée par l'importation, les activités informelles, la spéculation et la corruption, bref, une situation qui blesse la croissance et gèle toute amélioration du pouvoir d'achat nécessaire dans un processus de changement de système.

Pour finir, lorsqu'on considère les expériences dans le monde, on constate que dans tous les cas, le processus de basculement vers le nouvel ordre a fini par se réaliser vaille que vaille, peut-être lentement mais sûrement. Ainsi, malgré nos hésitations, le pays a été dans l'obligation d'entreprendre des réformes de longue portée.

Le processus de changement du système aboutira car il est difficile de résister à l'évolution de l'histoire. L'Algérie finira ses réformes. Seulement elle le paiera plus chèrement - comme elle l'a déjà fait dans le passé.

Hamid Temmar est un ancien officier de l'ALN (1957 à 1962)

Ancien professeur et doyen de la faculté de droit et sciences économiques de l'Université d'Alger, M. Temmar est Docteur ès sciences économiques de l'Université de Paris (Panthéon) et titulaire d'un Ph.D. en «Public sector management» de l'Université de Londres (London Graduate school of business studies. LBS).

Il a rejoint en 1981 le Département de la coopération technique pour le développement (DTCD) du secrétariat général des Nations unies à New York en tant que Conseiller interrégional.

A ce titre, il a apporté son assistance aux Etats membres des Nations unies en ce qui concerne l'évaluation et l'élaboration des stratégies économiques, la formulation et la gestion des politiques publiques ainsi que le renforcement des capacités de gestion économique. Il a pris part aux opérations de maintien de la paix, notamment au Cambodge et en Angola.

M. Temmar a regagné l'Algérie en 1999 pour être membre du gouvernement, occupant différents postes ministériels en charge des réformes économiques, du redéploiement du secteur public et de la privatisation des entreprises publiques, de la promotion de l'investissement, de la relance et du développement industriel, et de la prospective.

Il a obtenu la médaille d'honneur et la médaille nationale du «Mérite culturel».

Il a été décoré par les Nations unies pour avoir servi dans des situations particulièrement dangereuses.

«L'économie de l'Algérie 1970-2014» OPU 2015

Ouvrage en quatre tomes:

Les stratégies économiques de l'Algérie indépendante

Les politiques de transformations du système économique

Les politiques de relance de la croissance

La gouvernance publique économique

Lettre au lecteur

Hamid Abdennour Temmar

Cet ouvrage est né de mon engagement pour que l'Algérie colonisée et niée dans son histoire reprenne sa place dans le monde et puisse conquérir le futur. Il se veut une contribution aux travaux d'économistes intéressés par le développement économique dans le monde et l'émergence de nations longtemps dominées. 

Ma vie de responsable des réformes économiques, je la dois d'abord au Chef de l'Etat, A. Bouteflika, qui a pris une décision risquée, celle de faire appel à un économiste professionnel pour occuper un poste finalement éminemment politique car visant la transformation d'un système établi. Le développement de l'économie demandait impérativement que l'argument économique soit central dans la décision politique. Cela ne l'a pas toujours été étant donné les circonstances.

Etant le travail d'un économiste qui a été membre de gouvernement, cet ouvrage porte bien sûr l'empreinte des contributions que j'ai faites pendant cette période de responsabilité dans les choix des politiques économiques et leur mise en œuvre. Mais il ne s'agit nullement de défendre des politiques qui, par définition, sont discutables mais de leur donner leur sens historique en les remettant dans un cadre de référence théorique et de choix institutionnels. C'est ainsi que les approches stratégiques, la mise en œuvre de certaines politiques de réforme comme la privatisation ont été l'occasion de confrontations au sein de la société, parfois même de manifestations publiques et de grèves de grande échelle. Cela se devait d'être expliqué pour être compris.

Mes engagements politiques ou autres n'ont influé en aucune manière sur l'exposé des étapes de développement qu'a connues l'économie. Des systèmes de gouvernance et des stratégies économiques ont été mis en jeu depuis l'indépendance du pays, des forces en présence se sont affrontées car leurs visions ou leurs intérêts étaient en jeu. Il fallait comprendre ces positions idéologiques, économiques et politiques, les exposer d'une manière aussi complète que possible, les expliquer et les évaluer et non les rejeter.

C'est au niveau de l'explication et de l'évaluation que ma contribution exprime mes propres engagements. Mon choix doctrinal était simple: le développement endogène de l'économie, une égalité de chances pour tous les citoyens et citoyennes et une maîtrise des capacités de production des biens publics par la nation. Ce sont là des engagements très peu idéologiques car mes options en faveur d'un système de libre entreprise et d'ouverture procèdent de l'observation de l'évolution des économies dans le monde tout autant que de l'analyse des choix institutionnels passés de l'Algérie et de leur échec ou leur succès. L'histoire économique du pays est un livre ouvert, il fallait le lire attentivement. Mais peut-on séparer l'institutionnel de l'idéologie?

Ayant été un observateur attentif et parfois un acteur de l'évolution de l'économie nationale, de ses transformations, de ses succès et de ses reculs, j'ai opté pour un livre qui n'est pas un livre à thèse ou d'analyse globale mais un travail didactique, allant à une documentation aussi précise que possible, présentant parfois les débats qui se sont ouverts à l'occasion de choix de stratégies et de politiques économiques. Le lecteur trouvera parfois certaines parties trop détaillées. L'objectif du livre est de mettre entre les mains des lecteurs tout ce dont ils ont besoin en matière de références théoriques, politiques ou historiques pour qu'ils puissent saisir pleinement les problématiques qui ont fait l'évolution de l'économie.

J'ai souhaité mettre entre les mains des observateurs de l'économie, des hommes politiques, des decision-makers, des milieux d'affaires, du monde académique et de nos étudiants, un instrument de référence pour leur permettre non seulement de connaître et de comprendre leur économie telle qu'elle a évolué depuis l'indépendance mais aussi d'aller plus loin, de corriger, de compléter, de remettre en cause et de préciser. 

Cet ouvrage est le résultat de larges études, enquêtes, commentaires, brainstormings, conférences. Il est le résultat de débats et de confrontations d'idées, aussi bien avec les économistes du monde académique qu'avec des responsables et leaders de partis politiques, de preneurs de décision dans le monde des affaires et des organisations syndicales, et des éditorialistes de la presse écrite. C'est donc un travail qui a demandé la contribution de tous ceux qui ont fait l'économie algérienne.

Il fallait collecter et analyser une vaste documentation, il fallait ainsi des talents nombreux et divers pour rechercher les données, qui parfois dataient, et leur donner un sens. Si les assembler dans un cadre logique et de compréhension était mon travail, la préparation de cet ouvrage est le résultat de la contribution de tous les collaborateurs qui m'ont accompagné au cours de mon aventure de responsable de la transformation de l'économie nationale. Certains chapitres de cet ouvrage incorporent des contributions critiques du point de vue de l'analyse et de l'évaluation des politiques appartiennent à des collaborateurs de haut niveau informés et mobilisés et à des experts indépendants, en tant que conseillers et consultants. Je leur dois beaucoup de mes réflexions. Je leur suis profondément reconnaissant et leur contribution est explicitement indiquée dans les chapitres concernés.

Mais il faut bien préciser que la responsabilité de ce travail est la mienne et j'en assume toutes les erreurs et insuffisances.