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Fonction publique : petits et grands paradoxes d'une réforme en panne de repreneurs

par Boudina Rachid *



3ème partie

QUEL ROLE ALORS POUR LA DGFP ?

A priori, cette institution est appelée à se désincarcérer de son modèle organisationnel archi construit sur la dimension statutaire. Tout le décret exécutif n°14-193 du 3 juillet 2014 fixant ses attributions en est fortement imprégné. Il s'agit pour l'essentiel d'un rôle limité et en même temps défensif et les quelques bribes dédiées à la gestion prévisionnelle des ressources humaines ne sont que pure illusion.

S'il nous est permis, nous pensons que cette institution doit devoir assumer surtout un rôle d'impulsion et de coordination qui l'obligerait à se transcender pour quitter son pré carré en s'appropriant une GRH publique complètement rénovée qu'elle devra diffuser à une échelle interministérielle. Plus en détail, cette mission devra se décomposer au titre du plan de charge suivant :

- d'abord et en priorité, de se doter d'une unité de recherche et d'un conseil scientifique pour tenir son rang au niveau académique et scientifique et pour se montrer plus à l'aise face aux problématiques qui exigent un investissement intellectuel avéré;

- se doter d'un organigramme de type « état-major », ou transfonctionnel, qui privilégie le management par projet destiné à mobiliser pour un même objectif et pour une durée déterminée des personnels dédiés. Cette force d'attaque spécifique se développe en parallèle de l'organisation fonctionnelle habituelle. Un tel projet se caractérise comme suit :

- il est limité dans le temps : il a un début et une fin marquée par l'atteinte de l'objectif;

- il est novateur : il ne reproduit pas une expérience passée;

- il dispose d'une micro-organisation ad hoc non permanente : ensemble de personnes rassemblées temporairement pour réaliser des actions nécessaires à l'atteinte des objectifs.

A ce titre, la DGFP serait bien inspirée d'en faire son premier chantier dans le cadre précisément de ses nouvelles missions qui fixent, entre autres missions, de « promouvoir les méthodes et les techniques modernes d'organisation et de fonctionnement de l'administration publique ».

- Fournir une prestation générale d'animation et de pilotage interministériel afin de garantir l'unité de la fonction publique en favorisant et en mutualisant les bonnes pratiques mises en œuvre par les diverses administrations;

- assurer une fonction de tête de réseau, ou, ce qui est dans l'air du temps, de DRH groupe, en s'appuyant sur un comité de pilotage pour instruire, expérimenter et certifier les outils de la GRH;

- accompagner les ministères dans la phase préparatoire de mise en forme ou de réactualisation des missions et de l'évolution attendue de leur organisation;

- assurer la maîtrise d'ouvrage interministérielle des systèmes d'information en matière de ressources humaines dans le cadre des opportunités offertes par l'informatique décisionnelle, qui permet de collecter, consolider, modéliser et restituer les données, matérielles ou immatérielles, d'une organisation en vue d'offrir une aide à la décision;

- participer à la création des SIRH des ministères en vue d'une mise en conformité des spécifications techniques et fonctionnelles de ces systèmes et pour garantir la sécurité des données et l'interopérabilité interministérielle;

- entreprendre de recenser toutes études ou recherche sur la gestion des ressources humaines dans la fonction publique;

- élaborer et diffuser des données, informations et études statistiques sur la fonction publique et établir à ce titre le rapport annuel sur l'état général de la fonction publique à adresser au Premier ministre;

- animer le dialogue avec l'ensemble des administrations sur leur politique de gestion des ressources humaines, en instituant une conférence GRH périodique avec l'ensemble des DRH des différents ministères ou établissements publics à vocation nationale;

- évaluer les politiques des ressources humaines et assurer une fonction de veille sur les évolutions de l'emploi au sein de l'administration;

- contribuer à la définition des objectifs de la gestion des ressources humaines aux niveaux ministériel et interministériel;

- assurer l'animation des réseaux interministériels des responsables de la gestion des ressources humaines;

- élaborer et impulser la politique de la formation des fonctionnaires et agents de l'Etat;

- proposer aux employeurs publics des méthodes et outils pour la gestion des ressources humaines, notamment en matière de gestion personnalisée des parcours professionnels des agents;

- assurer la coordination de la politique des ressources humaines dans le cadre des réorganisations des administrations déconcentrées de l'Etat;

- détecter les pratiques innovantes et les connaissances comparatives des pratiques de gestion des ressources humaines, en s'appuyant sur les exemples étrangers et sur les pratiques dans le secteur des entreprises;

- établir et conduire en relation avec l'ensemble des ministères et des représentants syndicaux les règles relatives au temps de travail dans la fonction publique ainsi qu'aux congés, à l'exclusion des congés pour raison de santé, dans une optique de rationalisation de l'activité au sein des différents services publics.

III - LA FORMATION

Immense gâchis que cette affaire : c'est le domaine même qui démontre que l'administration manque de rationalité et d'efficacité. Ce module essentiel de la GRH est à peine traité par les gestionnaires comme une formalité, ou pire comme une corvée, exécutée de mauvaise foi en l'absence de toute stratégie, ni à un niveau ministériel, qui est à priori le niveau d'attribution pour structurer l'approche conceptuelle ou pour définir les grandes orientations, ni au niveau déconcentré qui n'est pas légitime à construire des formations en dehors d'une stratégie sectorielle.

Hormis l'obligation de souscrire au plan de formation, qui est inégalement respectée par les gestionnaires, aucune démarche visible n'a vu le jour pour conduire une réflexion d'ensemble qui soit connectée à une stratégie de développement des ressources humaines. Plus grave encore, la disposition inscrite à l'article 109 du statut général qui édicte que « toute promotion impliquant le passage d'un groupe à un groupe immédiatement supérieur est subordonnée à une formation préalable ou à l'obtention du diplôme requis », a sévèrement affecté la carrière de la plupart des agents concernés, qui, faute d'une offre de formation disponible, ont fini par vivre une situation de « promus collés » même pas par la faute de leurs employeurs qui se sont trouvés tragiquement désarmés suite à l'inconséquence d'une disposition législative discriminante à l'égard de ces agents qui se trouvent aléatoirement rangés sous la barre des groupes de classement des fonctionnaires.

Même cette initiative de déconcentrer le plan de formation, y compris la formation initiale qui, à l'évidence, ne saurait dépendre que d'un traitement ministériel, a fini par dissoudre la formation dans des considérations procédurières loin de son objectif de base énoncé à l'article 104 du statut général qui affirme : « en vue d'assurer l'amélioration des qualifications et la promotion du fonctionnaire et sa préparation à de nouvelles missions, l'administration est tenue d'organiser de manière permanente des cycles de formation et de perfectionnement ».

CORRELAT

Le nouveau management public, qui réclame un plus grand pragmatisme et une plus grande efficacité dans la gestion de l'administration publique, rend indispensable la nécessité d'améliorer le pilotage de la formation, autant dans sa dimension initiale que dans sa version continue. Celle-ci est devenue un enjeu de professionnalisation et de modernisation qui se fond dans un système dans lequel stratégie, acteurs, méthodes et cultures doivent converger vers un but commun.

Sous ces considérations, le décret exécutif du 3 mars 1996, modifié et complété, qui sert de cadre règlementaire à la formation, requalifiée de permanente par le statut général, doit être réformé pour s'inscrire dans un nouveau paradigme orienté vers une démarche de développement des compétences. Il doit être réformé pour les deux raisons suivantes dont l'intérêt n'est pas à négliger :

- pour reconnaître le droit à la formation à l'agent afin que celui-ci puisse construire son projet professionnel, que ce soit dans son métier même ou dans une optique de reconversion et en finir avec cette vision réductrice d'autorisation d'absence plus que discutable;

- pour réviser ses modalités et ses pratiques en les inscrivant dans une perspective plus large comprenant à la fois des séquences formatives (enseignement sous forme de conférence ou par correspondance) et des séquences ouvertes (formation action ou tutorat par exemple).

Plus largement, une nouvelle approche de la politique de formation doit à juste titre offrir l'occasion pour la fonction publique algérienne de faire sa mue au double niveau culturel et professionnel pour s'engager résolument dans une démarche GPEEC (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences), sans craindre de faire dans le mimétisme, dès l'instant où toutes les organisations se sont appropriées cette démarche née dans les années soixante-dix dans le courant de l'école dite des « relations humaines ».

Nombre de pays ont transposé cette démarche au sein de leur système de fonction publique, tandis que d'autres, qui en parlent beaucoup, sont encore au stade de l'expérimentation. D'ailleurs, même les notions de répertoire des métiers ou le fameux (SIRH) que certains aiment à présenter comme l'ultime invention de la GRH, ne sont que des avatars de techniques anciennes. Ainsi, la notion de répertoire des métiers est tellement vieille qu'elle se confond avec le répertoire des artisans ( !), tandis que celle du SIRH ne représente rien de plus qu'une version adaptée de l'ERP (entreprise ressource planning), qui est un logiciel de commerce constituant une sorte d'interface entre la gestion des ressources humaines et les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Ce qui donne à comprendre que la GPEEC, dans sa conception systémique, participe à construire une politique globale de gestion des ressources humaines qui se fond plus largement dans une gestion stratégique de l'organisation.

De ce point de vue, la formation devient un levier, parmi d'autres, qui est mis au service de la stratégie RH en lien avec les objectifs des politiques publiques, lesquelles sont appelées d'ailleurs à être périodiquement repensées. Politiques publiques qui mobilisent et combinent les démarches les plus appropriées pour l'atteinte des résultats escomptés (fusion de missions, externalisation, délégation, suppression et surtout processus RH d'accompagnement).

En tout cas, dans le domaine strict de la formation, la mission de la DGFP n'est pas et ne doit pas se limiter à contresigner les textes organisant la formation statutaire ou d'approuver les plans de formation des ministères (c'est autrement plus cohérent que ce soit le ministre concerné qui doit approuver le plan de formation de son secteur, y compris de ses démembrements). Cette institution doit de préférence s'armer de la responsabilité de piloter la formation interministérielle en l'intégrant dans les schémas stratégiques des ressources humaines qu'elle met en œuvre et qu'elle promeut en mutualisant et en valorisant, le cas échéant, les initiatives prises par les gestionnaires qui sont capables d'inventivité et de créativité lorsqu'on prend la peine de les solliciter. La direction générale du budget doit également, si ce n'est pour copartager le pilotage, jouer un rôle éminent aux différentes séquences de mise en œuvre de cette politique, du point de vue de sa cohérence et de sa faisabilité en termes de programmation et de financement. C'est dire qu'il s'agit d'une démarche innovante qui doit être enrôlée avec professionnalisme et ténacité en vue d'identifier le rôle et l'apport de chaque acteur, intégrant notamment des DRH des ministères à toutes les phases de cet apprentissage. Le premier de ces chantiers doit concourir à l'ingénierie du plan de formation et aux modalités de sa mise en œuvre, loin du simple inventaire des formations statutaires ou des formations alibi pour justifier un budget formation voué à être gaspillé en toute impunité.

Il n'est pas indispensable de se focaliser sur un document type : le mieux serait d'engager et de concevoir des démarches évolutives, voire expérimentales, qui serviront de creuset aux projets des différentes administrations à l'appui d'outils adaptés (analyse, diagnostic, pronostic, traitement, projet, programmes, suivi et évaluation). L'important, c'est de parvenir à croiser et à arbitrer les besoins individuels et collectifs de formation des personnels avec les besoins de l'institution au regard de ses objectifs institutionnels face aux contraintes liées à l'environnement interne et externe.

La réflexion doit également porter sur la valeur de la prestation de formation, y compris de celle dite en « in house » qui a l'inconvénient de déresponsabiliser les gestionnaires sur le contenu et les objectifs de la formation. L'administration doit toujours veiller à exiger la qualité et la performance de la prestation pour s'assurer que le coût supporté correspond bien à son attente, ce qui l'oblige à son tour de se doter de compétences propres capables de recenser, en quantité et en qualité, les offres de formation sur le marché et d'établir des conventions suffisamment précises quant à la détermination des objectifs poursuivis. A ce sujet, il n'est pas d'ailleurs illégitime pour l'administration de recourir pour les formations à dominance « métiers » à ses propres cadres, soit en activité, soit même à la retraite, qui peuvent intervenir en qualité de formateurs occasionnels. L'administration en retirera un double bénéfice : d'abord parce que le coût de prestation est moins élevé, ensuite parce que la connaissance des métiers est mieux transférée par les professionnels de l'administration. Cette option commande, assurément, d'être définie dans un cadre interministériel sur les modalités pratiques de sa mise en œuvre et sur le régime de rémunération qui lui sera applicable.

L'autre angle d'analyse de la formation en administration nous conduit à examiner la formation initiale, dite spécialisée ou formation des écoles de la fonction publique.

Bien malin celui qui peut connaître l'état de la question ou de pouvoir simplement distinguer la stratégie conduite dans cette voie par les pouvoirs publics. Le sujet ne suscite pas davantage des questionnements quant à la raison d'être de cette formation (pourquoi des écoles spécialisées, l'université ne saurait-elle pas s'y substituer ?), son organisation, son efficience ou même jusqu'à son champ de compétence.

Dans les années soixante à soixante-dix, il y avait bien une stratégie globale lisible et visible aussi bien du rôle de ces écoles dans le système de formation, que des cursus d'études ou des méthodes pédagogiques qui leur étaient associées. Ce système obéissait à une logique ministérielle, à l'exception de l'ENA et des CFA qui avaient une vocation interministérielle et relevaient par ce fait, soit de la présidence de la République, soit des services du Premier ministre.

Cette partition pouvait se traduire par des modes d'organisation différente. Certains ministères concentraient leur formation dans un petit nombre, voire dans une institution unique chargée de former l'ensemble des personnels du ministère et d'autres disposaient d'un appareil de formation éclaté, composé d'une multitude d'écoles formant, soit à des métiers divers, soit à un même métier et réparties à travers le territoire national.

A suivre

* Inspecteur chef de la Fonction publique (ad) mis à la retraite