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Canada : Au Petit Maghreb de Montréal

par Abdelkader Djebbar : Montréal

Un samedi matin. Consulat général d'Algérie. Le département état-civil, légalisation est plein de monde. Dans la salle d'attente, une vingtaine de personnes. Derrière les baies vitrées des guichets, six commis. Un peu plus aux heures de pointe pour réduire le temps d'attente quant à la délivrance d'extraits d'acte de naissance, fiches individuelles et autres documents. Un autre préposé s'occupe des légalisations des dossiers contre un dollar pour chaque signature et cachet apposés.

Au service des passeports, cartes d'identité et immatriculation, la file d'attente est tout aussi longue. Mais le service est très rapide. En une matinée, on se fait délivrer son passeport. À condition, évidemment d'être immatriculé. Le reste est monnaie courante. Au Canada, on estime à 100.000 personnes la communauté algérienne. Mais tous ne sont pas inscrits auprès des représentations algériennes. De l'avis de certains habitués, on a vu beaucoup d'Algériens pour la première fois à l'occasion des dernières élections présidentielles.

Délice du Maghreb (anciennement Alger la Blanche), Tipaza, l'Algéroise, le Fennec, et j'en passe. Longue est la liste des commerces qui s'affichent de plus en plus à travers certains quartiers de Montréal et qui rappellent l'Algérie. Ils se multiplient très rapidement tels des champignons dès qu'il y a un début de concentration des ressortissants algériens dans tel ou tel autre quartier. Mais la partie la plus achalandée à Montréal reste le Petit Maghreb qui semble prendre la relève de la Petite Italie, dans le quartier St Léonard, à l'est de la ville.

Dans ces commerces, appelés le plus souvent « dépanneurs », on trouve de tout. Sauf des produits et articles algériens à quelques rares exceptions comme par exemple un soda algérien, très prisé pendant le mois du ramadan. Par contre, dans les dépanneurs et épiceries chinoises, on trouve de la marchandise d'origine. Il en est de même dans les commerces gérés par des Marocains ou encore les Libanais. Mais, « à part les hydrocarbures, que peut exporter l'Algérie ? », me fait remarquer un compatriote.

TAXIS ET GARDERIES

Certes, on est loin d'une supposée ghettoïsation. Il n'empêche que le bouche à oreille fait parfaitement son bout de chemin. La « rumeur officielle » par excellence. Du bord de la Méditerranée à l'Atlantique, la communication passe très bien. L'information vraie ou fausse prolifère au petit bonheur des candidats à l'immigration en Amérique du Nord. Mohamed est originaire de Tipaza. Maître ingénieur en électricité. « J'ai plié bagages à l'aube des années 90. Je suis bien ici. Je mène une paisible vie de retraite. La famille s'est développée. Mais assez souvent, l'Algérie me fait des clins d'œil. Comme par exemple cette nouvelle publicité d'Air Algérie en page vitrine de certains quotidiens. Sauf dans le seul mensuel d'un Algérien de Montréal.

Kaddour, lui, est plus jeune. Il n'a jamais réussi à travailler dans sa spécialité. Il est chauffeur de taxi. Son épouse, s'est vite réorientée professionnellement. Elle est éducatrice dans une garderie d'enfants. Ils se disent beaucoup plus Montréalais que Sétifiens. Et « la vie roule rondement pour nous. Même si la nostalgie nous pousse fréquemment dans le dos bien que nous ne manquons de rien. Elhamdoulilah ».

Au Petit Maghreb, les innovations font boule de neige en matière d'enseignes commerciales. Une des récentes trouvailles, DollarOran rappelle étrangement la chaîne des produits et articles typiquement et exclusivement chinois, les Dollarama qui ont envahi les nombreuses places du Québec en long, en large et en diagonale. À la seule différence, c'est que les Dollarama ont des prix fixes. Soit un, soit deux, soit trois dollars. Et pas plus. Dans un passé très récent, c'était le prix unique: tout à un dollar. L'autre différence réside dans le fait que dans les Dollarama, les prix sont sur tous les articles. D'ailleurs, ce n'est pas seulement la règle. C'est la Loi.

MULTICULTURALISME

Outre les commerces, les Maghrébins, dont une forte proportion d'Algériens, sont surtout dans le secteur des taxis pour les hommes. Les femmes se retrouvent beaucoup plus dans les garderies d'enfants sans pour autant exclure les autres secteurs d'activités hautement et autrement plus qualifiés. Denrée rare, mais on en trouve dans l'enseignement, tous cycles confondus.

Dans un établissement secondaire, l'équivalent de l'enseignement moyen en Algérie, on compte une quinzaine d'enseignants et enseignantes algériens en plus d'une directrice-adjointe. Évidemment, nombreux sont aussi les élèves d'origine algérienne. Comme pour confirmer le multiculturalisme prôné par le Québec.

Pour la petite histoire et à titre d'illustration, l'année dernière il y a été recensé pas moins de 23 différentes langues parlées par les écoliers, soit autant de pays d'origine et on n'est pas dans une école d'insertion, une école de mise à niveau pour la langue française dans le cadre de la politique d'intégration.

Les Algériens du Canada ne sont pas uniquement dans les secteurs d'activités moyens. Il y a des entrepreneurs qui espèrent faire affaire un jour avec l'Algérie. «C'est un objectif à moyen terme», dit Djamel, spécialiste en robotique, qui préfère pour l'instant vivre dans l'ombre pour plonger en toute sécurité de l'autre côté des océan et mers, un jour prochain.

Les informaticiens sont de plus en plus nombreux. Il y en a même qui sont Canadiens coopérants dans certains pays du Golfe. En quantité moindre, suivent les hommes de droit spécialisés dans divers domaines avec une connaissance très approfondie du droit algérien. Ce qui leur permet d'être au diapason des besoins des compatriotes installés au Canada.

À Montréal, le parler arabe est presque comparable au parler espagnol dans les rues de Miami, «ville frontière» avec l'Amérique latine. Le constat est encore plus palpable dans les universités francophones. Beaucoup moins dans les établissements anglophones. Mais chacun trouve son compte dans une ville aussi cosmopolite que Montréal et, peut-être même, la plus cosmopolite du Canada.