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Boualem Aïdoun, l'enlumineur des mots

par Farouk Zahi

En dépit d'un lourd handicap physique, Boualem Aïdoun nous reçoit dans son « repaire » des hauteurs d'Alger avec un sourire chaleureux que seuls les enfants authentiques des Béni Mezghena savent délivrer.

Ce septuagénaire de grande culture, natif d'El Biar et y résidant toujours, est fier de son « antre » au style recherché où chacun de ses coins et recoins porte une histoire. Cet ancien professeur de Lettres Honoraire, « touche à tout », élevé dans le giron de la famille algéroise traditionnelle, a fréquenté comme tous les enfants de son époque, l'école coranique et l'école publique coloniale. Son cursus scolaire est temporairement interrompu par la grève de cours de mai 1956. A la reprise des cours, il fréquentera parallèlement le Conservatoire d'Alger où il aura pour camarades, Sid Ahmed Agoumi, Larbi Zekkal, Ahmed Kadri et Noura. Ces derniers, connaîtront tous, la notoriété des planches ou du cinéma. Après d'éphémères passages universitaires dans les facultés de Psychologie et de Droit, il opte pour la littérature où il jette définitivement ses amarres. Ancien cadre-dirigeant d'entreprises et d'institutions publiques, notamment dans l'acte culturel, il restitue dans un chapelet d'opuscules le vécu qui a été le sien, sa vie durant. A la fin des années 1990, il sera le directeur du Théâtre de Verdure auquel étaient rattachées à l'époque, beaucoup de salles mythiques de la place d'Alger, telles que « Ibn Khaldoun », « Nadi El Anka », « Rouiched » et « Nardjess ».

Après avoir été victime d'un handicap en 2005 et d'événements douloureux, ses activités bouillantes ont eu un brutal coup d'arrêt. Subissant stoïquement et longuement sa peine dans une bulle émotionnelle, il rompt le silence de l'enfermement par ce qu'il considère comme un acte d'exorcisme : l'écriture. C'est ainsi, tel un volcan libérant ses incandescences, l'auteur fait jaillir une œuvre au panache exubérant alliant, noircissure temporelle et blancheur immaculée d'une foi inébranlable en la providence divine.

En effet, il nous livre cinq ouvrages à la fois pour, dit-il : « relater vite tout ce que je m'étais promis de dire au crépuscule d'une vie exaltante et très bien remplie avant de tirer ma révérence tout à fait serein et en paix » ? C'est pourquoi, tous ses ouvrages séduisent et envoutent avec « un penchant poétique» réel en laissant tracer sa plume dans un style, où une part d'émotion intense, est toujours présente. Ses tout derniers ouvrages, marqueront durablement, tout lecteur qui se donnera la peine de parcourir cette œuvre littéraire dont l'humanisme prégnant invite à l'introspective. Aussi, et pour en savoir plus, nous livrons le contenu de l'entretien que M. Aidoun nous a, aimablement accordé.

D'abord comment vous sentez-vous Si Aidoun ?

A mon âge et au vu de mes antécédents, mon état de santé est franchement un peu aléatoire, voire hasardeux. En effet, je peux déborder de vitalité, avec un fonctionnement régulier et harmonieux de mon organisme et cela pendant quelques jours, ou parfois une période très appréciable ; et me retrouver subitement un bon matin, dans état des plus précaires (faiblesse, malaise, récurent et inexplicable et « El Hamdou Lillah ! »

Pourriez-vous nous dire quand avez-vous commencé à écrire ?

Je ne sais pas si le don d'écrire a été un bienfait ou une malédiction pour moi, parce que très jeune enfant du primaire, j'ai commencé à taquiner les rimes et à écrire mes premiers poèmes. Je suis devenu en même temps « l'écrivain-public » attitré de la famille « élargie », du voisinage et bien au-delà de mon quartier. Cependant et beaucoup plus tard, j'ai cessé d'écrire, occupé exclusivement à lutter pour une bonne place dans la Société?

Comment êtes-vous revenu à l'écriture ?

A l'issue de mes études de Professeur de Lettres et après avoir aiguisé encore plus ma plume, dans les diverses fonctions supérieures occupées, je suis revenu pleinement à l'écriture à partir du moment où j'ai cessé d'être réellement heureux ! ? Je n'ai pas perdu mon temps puisque j'ai « enfanté » mes plus beaux « essais » touchant de nombreux domaines et véhiculant des connaissances pures, des analyses pertinentes ainsi que des témoignages forts utiles ?

Pouvez-vous nous présenter vos tout derniers ouvrages ?

1- « La flétrissure » est un ouvrage de 152 pages. Dans une première partie, j'ai tenté une analyse sur des sujets extrêmement sensibles de façon pamphlétaire critique, acerbe et incisive sur la bi-nationalité ; et la confusion entre carriérisme, compétence et excellence dans le travail ainsi que divers autres sujets ?

Dans la seconde partie, il a été procédé à une « introspection rétrospective » sur les principaux événements de ma vie dans un style anecdotique, instructif et plaisant ?

2- « Déchirement et déchirure» cet ouvrage de 137 pages représente une œuvre majeure parce que consacrée à commémorer le « cinquenaire » du départ de mon défunt fils ? Cinq années soit 60 mois ?

60 mois qui ont donné naissance à 60 strophes totalisant plus de 700 vers libres ?

Cet ouvrage est un long message pour entretenir avec humilité et pérenniser la flamme du souvenir avec des messages subliminaux sur le miracle de la vie et l'inéluctabilité du « Terme » -Le tout agrémenté de quelques réflexions philosophiques.

3- « Limite » c'est bien la première fois que je « m'essaye » dans « La nouvelle » dont excellaient Cervantès et Maupassant qui écrivait que La nouvelle est faite pour être lue d'un seul trait ?

De plus j'ai choisi le genre «Fantastique» dont excellait Edgar Pöe ?

Dans cet ouvrage, je n'ai pas résisté à la tentation de donner quelques réflexions de Platon, et écrire quelques mots sur les Auteurs grecs qui étaient les initiateurs ou du moins (de mon humble point de vue), porté à la perfection, la plupart des genres littéraires ! ?

4- «De la passion intense dans la réhabilitation de céans».

C'est là une œuvre singulière et stimulante parce que à la fois narrative et faisant appel à l'Art photographique père du cinéma pour relater la remise en état de lieux après avoir subi une terrible catastrophe ?

5- « Iliade et Réification Pro-domo »

Chronologiquement, « Iliade » est mon dernier ouvrage en deux tomes totalisant 272 pages. C'est aussi le plus complet et pour moi, le meilleur en matière de raffinement et d'esthétique quant à la forme et le fond ?

Les textes ont été actualisés mais abondamment enrichis avec surtout beaucoup d'émotions nouvelles ?

Pour plus de précisions sur les ouvrages présentés, mais également sur ceux qui ne sont pas décrits, notamment les anciennes œuvres, consultez mon site web :

https://sites.google.com/site/boualemaidoun

Si vous devriez résumer votre vie que diriez-vous ?

Dans ma vie mouvementée, j'ai travaillé et beaucoup. Tout en transmettant les connaissances par l'éducation et la formation, je n'ai jamais lésiné sur l'effort en direction des jeunes avec le souci cardinal d'excellence. Souffrant dans ma chair et dans mon âme, mon silence constituait mon rempart contre l'indignité par la complainte. En écrivant beaucoup, je ne perdait pas de vue l'objectif cognitif qui est la transmission du Savoir dénuée de toute arrière pensée lucrative. Mélomane et artiste à mes heures, j'ai évolué longuement dans le monde des arts. Point nodal dans mon existence, ma patrie est mon seul refuge et ma seule consolation; elle n'a aucune concurrente subliminale ou réelle.

Aujourd'hui, je pense humblement que ma tâche a été accomplie du mieux que j'ai pu en étant fidèle à Dieu et aux hommes justes avec lesquels je partage les mêmes principes de qualités morales élémentaires (au sens des philosophes grecs). Et comme le disait, si bien, Victor Hugo au déclin de sa vie : «mon sillon le voici ; ma gerbe la voilà ».

Je n'ai jamais cherché la « gloire » ou la renommée égocentrique c'est-à-dire être enclin à une propension à tout faire partir ou à tout ramener à moi ; - et, je ne les cherche toujours pas ; parce que intimement convaincu, que la vraie gloire n'appartient qu'à Dieu ! ?

Par contre pour l'homme, quelque soit le degré de sa notoriété, de prestige ou de ses mérites qu'on célèbre parfois avec une exaltation indécente, qu'on appelle à tort « la gloire » ; celle-ci est éphémère quel qu'en soit l'éclat de son renom ! ?

En effet la gloire des hommes et comme un feu de paille qui se consume très vite pour ne devenir que cendre et poussière et finir dans l'oubli ; et pour les tyrans et les injustes, d'être assimilés aux poubelles de l'histoire ! ?

Conscient que seul Dieu décide et fixe le terme de la vie,- j'affirme que j'agis désormais en me comportant au quotidien, comme si je devais partir dans l'immédiateté sans intervalle, ni dans le Temps ni dans l'espace.

Je partirai tout à fait serein et sans aucun regret avec surement le plaisir du « devoir accompli » ?

Cette sorte de clairvoyance, m'encourage en tout cas, à consacrer le temps de vie qui m'est encore assigné,- à non pas, pour étaler mes mérites ou mon « érudition »,- mais pour tenter un tant soit peu et de façon la plus infime qui soit, à laisser une trace d'un témoignage durable et intemporel pour tous ceux qui resteront après nous ?

Nous aurons ainsi, marqué notre passage, mon défunt fils et moi-même, ou plutôt notre « transit » pour ne pas dire encore « escale » sur cette insignifiante mais quand même fabuleuse Terre ?

Pardon d'avoir été trop long mais le sujet -, qui n'est d'ailleurs pas épuisé,- l'exigeait amplement?

Vous avez écrit dans un de vos ouvrages, que la découverte du Monde et de l'Univers était inscrite dans votre A.D.N, expliquez-nous ?

Effectivement, dès mon jeune âge, j'étais fasciné par les espaces intersidéraux de l'Univers ; mais qu'avant de voguer dans le cosmos par le biais de l'Astronomie, il me fallait d'abord découvrir les merveilles de la terre en commençant par bien connaître l'Algérie dont l'amour m'habitait précocement était incrusté au fond de mon âme? m'était possible de faire ; et même dans mes choix professionnels,- j'optais toujours pour des postes qui m'offraient l'opportunité de voyager en faisant des missions dans des Pays qu'ils m'étaient impossible de visiter à titre personnel ; et ce, au détriment parfois d'autres avantages matériels beaucoup plus intéressants. Cela m'a permis de visiter un très grand nombre de Pays et d'y voir des choses merveilleuses, surprenantes, rares, étranges ou prodigieuses ?

Cependant, les magnifiques voyages effectués, ne m'ont jamais fait songer un seul instant, à vouloir vivre à l'étranger, car j'ai toujours était infiniment heureux de retrouver chaque fois Alger et sa baie qui, tout en m'inspirant, représente mon véritable oxygène sans lequel je ne pourrais franchement vivre ?

Pour clore cet entretien enrichissant pourriez-vous nous dire si vous avez des projets à court terme et lesquels ?

Portant du principe que celui qui n'a aucun projet est un mourant en puissance, vivant inutilement sur Terre, comme le dise si bien les philosophes grecs. Et même si chaque jour qui passe, nous rapproche du « Terme » en nous éloignant par conséquent de la vie sur Terre ;- moi, je ne puis me résoudre à ne pas entretenir intimement ne serait-ce qu'un petit projet à court terme qui me tient à cœur ? En l'occurrence, il s'agit certes d'un projet ambitieux et difficile. Mais les difficultés ne feront que renforcer et démultiplier ma ténacité et mon enthousiasme pour le concrétiser.

N'ayant pas les capacités physiques de le prendre moi-même en charge,- je compte confier mon dernier ouvrage «Iliade?» à un studio professionnel, pour enregistrer le texte en audio avec un accompagnement musical adéquat et ce, pour le mettre à la disposition des mal?voyants, notamment ceux qui ne connaissent pas le «braille» ou carrément à tous ceux qui abhorrent la lecture en préférant plutôt écouter les récits ?

Les C.D ainsi réalisés, seront offerts gracieusement aux personnes concernées et/ ou aux associations compétentes ?

J'ai deux autres tâches encore « pendantes » qui me tiennent particulièrement à cœur d'achever dès que Dieu m'accorde la force et l'énergie nécessaires :

1)- D'importants travaux de traduction (arabe/français) tout en supervisant la saisie informatique devant permettre l'édition ou la ré-édition actualisée et enrichie de l'ensemble de mes ouvrages dans une forme standard conventionnelle ; cela me permettra de verrouiller et mettre en lieu sûr tous mes manuscrits originaux ?

2)- rassembler tous les petits films super 8 que j'ai faits, et en faire une seule œuvre cinématographique « long métrage », en y ajoutant une musique idoine, ainsi que l'enregistrement d'un commentaire que je veux extrêmement recherché, en souvenir des vivants ainsi qu'à à la mémoire de ceux qui sont partis ; sans oublier de relater de façon anecdotique, mes pérégrinations à travers le monde ?

Tout cela en vue de remettre en mémoire, et garder présent, ce passé que notre cerveau peine à préserver intact de l'altération, pour ne pas dire carrément de l'oubli ?

Ce n'est pas une mince affaire, n'est-ce pas ? ?

Après cela, je compte profiter au maximum du « farniente » probablement au bord du « grand bleu » avec son caressant mugissement doucereux qui berce et apaise l'esprit et l'âme ?