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Il était une fois le cinéma? !

par B. Khelfaoui *

«Ce que nous demandons au cinéma, c'est ce que l'amour et la vie nous refusent, c'est le mystère, c'est le miracle.» (Robert Desnos).

En feuilletant les pages multicolores des livres destinés à farcir les tubes digestifs qui délogent dans les vitrines et étalages des rares soi-disant librairies qui n'ont pas encore été métamorphosées en fast-foods, voire «Carentita», ceux humblement conçus pour la pathétique et pitoyable raison retenue, au grand dam d'une activité culturelle, en hibernation forcée, prisonnière en ricochant entre les murs de la boîte crânienne, livrant l'art culinaire avec des images splendides imprimées sur un papier doux au toucher et agréable à dévorer - on sort, comme une Alice au pays des recettes, convaincu qu'il faut de multiples ingrédients conjugués avec un savoir-faire pour réussir une des fameuses recettes proposées - images d'illustration à l'appui - ou du moins l'approcher !

Quant à réussir à façonner un peuple, ce n'est, suivant l'humble avis de Cheâayeb Lekhdim, guère une mince opération de préparation d'une quelconque tarte aux citrons, quand bien même tous les ingrédients de l'import/import seraient assurés par une réserve de change alléchante, notamment tout au long du temps de cuisson 2010/2014? !

Parmi l'éventail des activités culturelles et artistiques à même de développer un esprit de discernement et de critique constructive, voire intellectuelle, le théâtre tout comme le cinéma, respectivement catalogués - à forte raison - de quatrième et septième arts, demeurent on ne peut plus des vecteurs fondamentaux au sein de toute société naviguant, gouvernail bien en mains, vers un destin dont les coordonnées de son horizon sont cartographiées sur terre ferme contre tout risque de harraga.

Jules petit-Senn1 n'avait-il pas dit : «Le cinéma c'est l'opéra du vingtième siècle. On a tous les arts : les écrivains, les acteurs, les décorateurs, les chefs opérateurs, les musiciens, pour faire une œuvre totale» ? Qu'en est-il de nos vétustes salles de cinéma livrées à la toile d'araignée et rongées par la poussière, face à la situation lamentable de laquelle, les nostalgiques «Gatlatou» diront tout simplement: «Yakhi Silima yakhi !».

Cheâayeb Lekhdim se souvient, comme si cela datait d'hier, de son entrée au cinéma où, dès l'extinction des feux, bien qu'il fût légèrement rattrapé par la lampe de poche des placeuses, planait, en société - les téléspectateurs - au milieu d'un univers réconfortant et détendant? Tard dans la nuit voire les jours suivants, cette évasion sublime, les feux doux du débat autour du film visionné demeuraient animés et vivifiés jusqu'à une nouvelle bataille pour décrocher un «merveilleux» billet d'entrée ! La thérapeutique passion partagée en société était une vraie catharsis aristotélicienne ! Les vertus de l'amour et de la bravoure se greffaient inconsciemment et l'âme se trouvait à chaque fois polie et polie (Films hindous : Mangala Fille des Indes, Notre Mère la Terre? «El Ardh» de Youcef Chahine, et les divers classiques occidentaux?), car «Le cinéma, ce n'est rien d'autre en fait que de pouvoir lire l'âme de quelqu'un juste en regardant ses yeux»2...

A l'instar des autres villes de notre vénérée Algérie, à Saïda, la ville des eaux, les trois salles de cinéma sans âme ne sont que des os ! A l'exception de la salle EL-FETH (cinéma et théâtre) dont la rénovation est du moins, au visu, acceptable, la célèbre cinémathèque «VOX», pour laquelle, semble-t-il, une facture à neuf chiffres aurait été honorée, demeure dubitativement, comme si aucune réfection n'avait été effectuée, livrée aux intempéries et aux fantômes des personnages projetés sur son malheureux et pitoyable écran ! Quant à la salle DOUNYAZADE (ex-Palace), seule la rentrée scolaire lui fait honneur dans son hall - destiné jadis pour l'entracte - en y exposant, le temps d'une tournée à la quinzaine économique, les fournitures d'écoliers !

 Néanmoins, contre vents et marées, l'AMMS3, fidèle à ses principes, comptant comme toujours sur ses propres moyens, essaye, autant que faire se peut, dans une initiative visant à combler ce vide culturel anesthésiant, de redonner vie à l'écran géant - bien que celui-ci soit réduit à des dimensions imposées par l'exigüité de son siège - par la diffusion de films suivis de débats, dans le cadre de son projet «Cinéclub». Une action, parmi d'autres, qui doit être plus qu'à encourager, voire à propager pour régénérer une activité culturelle, voire intellectuelle égarée depuis «Nadi Essinima» d'Ahmed Bedjaoui?

Cloîtrés dans nos cellules individuelles, quoique bernés par l'illusion de la télévision et de l'internet, les retrouvailles - en société - dans l'ambiance vivifiante du cinéma tout comme le théâtre, nous ouvriraient des portes célestes pour des voies individuellement impénétrables tant «la photographie, c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde»4. En attendant cette «vérité», contentons-nous de suivre de loin le TGV en pilotage automatique, tant ces «mystérieuses» sorties dans les salles occidentales, voire tunisiennes et marocaines, que ces «inconnus» festivals organisés en notre déplorable absence, sont pour nous un passé poussiéreux !?

 «Il faut de tout pour faire un monde»

* Universitaire, Saïda

Notes :

1- Ecrivain suisse (1837-1901.)

2- L'actrice américaine Glenn Close.

3 - Association Mouhibbi Madinet Saïda.

4- Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard