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Le dogme européen de la concurrence

par Akram Belkaid, Paris

Qui a dit que le néolibéralisme était mort ? Qui a dit que la crise financière et économique forcerait les tenants de l’ouverture à tout prix à réviser leurs convictions ? On pensait, en ces jours d’effilochage du système financier mondial, que le consensus de Washington serait nécessairement remis en cause et qu’une réflexion sur les dégâts de la dérégulation allait suivre. C’est loin d’être le cas et la Commission européenne vient de nous en fournir une nouvelle preuve en exigeant du gouvernement français qu’il réforme le statut de l’opérateur ferroviaire SNCF.
 
La concurrence adulée

Au mois de février dernier, Bruxelles a, selon la presse française, adressé une lettre officielle à Paris où la forme juridique de la SNCF est critiquée. Les autorités françaises y sont ainsi priées de bien vouloir informer la Commission des mesures adoptées «dans les plus brefs délais» pour mettre fin à la garantie publique dont dispose cette entreprise sur ses engagements financiers. Pour bien comprendre, il faut savoir que la SNCF a un statut d’EPIC, c’est-à-dire d’établissement public à caractère industriel et commercial. Pour la Commission, ce statut permettrait à l’entreprise ferroviaire de bénéficier de la garantie de l’Etat pour ses emprunts et donc d’une forme d’aide d’Etat (dont ne peuvent bénéficier des sociétés privées). Et l’on sait que ce type d’aide est la bête noire de Bruxelles au nom de la défense du dogme de la libre-concurrence. Pour l’heure, le gouvernement français n’a pas donné suite à la demande de la Commission. Mais ce qui se joue derrière cet échange épistolaire, c’est bel et bien la privatisation de la SNCF ou, du moins, sa transformation en société anonyme, laquelle pourrait être cotée en Bourse même si l’Etat français y conserve des parts.

Cette affaire est un beau cas d’école. Elle montre comment la Commission européenne façonne l’environnement économique européen avec toujours plus d’ouverture et de retrait des Etats. Qu’importe pour elle que les EPIC, qu’il s’agisse de la SNCF ou d’autres entreprises, soient à l’origine de l’essor économique de la France. Qu’importe pour elle le fait que le transport ferroviaire représente plus qu’une simple activité économique dans la mesure où c’est aussi un outil d’aménagement du territoire et de développement rural qui ne s’accommode pas toujours avec les règles de la rentabilité financière auxquelles sont soumises les entreprises privées. Qu’importe aussi le fait que les privatisations de chemin de fer en Europe, notamment en Grande-Bretagne, se soient soldées par des échecs retentissants. Dès lors qu’il s’agit du dogme de la concurrence et de la possibilité de déréguler, les fonctionnaires européens trépignent et semblent incapables de réfléchir.

Une Commission irresponsable ?

On pourrait gloser à l’infini sur cette Commission qui n’a rien de démocratique et dont les membres, qui ne sont pas élus, n’ont guère à se soucier d’un quelconque contre-pouvoir même si le Parlement européen tente vaille que vaille de jouer ce rôle. On pourrait aussi évoquer le crétinisme irresponsable de certains de ses fonctionnaires qui, en ces temps troublés, ne se rendent même pas compte qu’agiter le chiffon de la réforme du statut de la SNCF, c’est prendre le risque de provoquer une grave crise sociale. Mais les lobbies qui lorgnent sur la libéralisation du transport ferroviaire français n’ont guère de scrupules vis-à-vis de cela. Ils savent qui actionner pour enclencher le mécanisme de privatisation de la SNCF et leur travail de sape s’inscrit dans la durée.