Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'interprofession des fruits et légumes au cœur des enjeux stratégiques

par Mourad Hamdan*

Suite et fin PROFIT ECONOMIQUE

La mesure de la performance d'une entreprise doit être distinguée de la finalité de celle ? ci. Le Profit Economique se distingue clairement du profit comptable tel que calculé selon le modèle traditionnel.

 L'équation fondamentale de départ est la suivante :

Profit Economique = Rendement du Capital Investi - Coût du Capital Investi.

 Il est clair que toutes les entreprises à un instant donné ne peuvent pas être en situation de Profit Economique. Par contre, une entreprise qui n'est pas, à certains moments de son histoire en situation de Profit Economique, sera inévitablement condamnée à disparaître.

 Partant d'un constat qui est qu'une entreprise ne peut survivre durablement que lorsque le rendement des capitaux est supérieur au coût de ceux - ci, il apparaît deux séries de difficultés:

-Celles qui sont liées à la mesure du rendement des capitaux;

-Celles qui sont liées à la mesure du coût des capitaux.

 Le modèle comptable traditionnel ne facilite pas le traitement de ces deux problèmes. En effet, l'entreprise peut avoir un cycle d'activité suffisamment proche de sa période d'observation, c'est - à - dire que les capitaux qu'elle investit peuvent se transformer en liquidité avec un délai court. Dans ce cas, on comprend aisément que le modèle comptable reflète assez précisément le Profit Economique de l'entreprise avec une limite importante: la convention comptable actuelle considère que les capitaux propres sont une ressource gratuite pour l'entreprise. Ceci est évidemment une déformation de la réalité économique.         Les capitaux propres ont nécessairement un coût qui dépend du niveau de risques pris par l'entreprise. Il n'y a donc profit qu'après que les fonds propres aient été rémunérés conformément aux risques assumés par les actionnaires.

L'analyse des facteurs de risque est donc au cœur de la mesure du Profit Economique. De la même façon, les marchés de capitaux allouent ceux - ci en fonction des rendements observés. Dès que ceux - ci dépassent leur coût, les capitaux affluent vers le secteur concerné et accroissent la pression concurrentielle.           Aucune barrière à l'entrée n'étant parfaitement insurmontable, le Profit Economique est donc transitoire et va tendre vers zéro jusqu'à la création d'un nouvel avantage concurrentiel.

MESURE DU RENDEMENT DES CAPITAUX INVESTIS

Tous les praticiens sont familiers avec la notion de calcul du rendement d'un investissement par la méthode des cash-flows actualisés. Cette méthode devient plus difficile à utiliser que lorsque l'on traite non plus un seul projet d'investissement mais l'ensemble de l'entreprise vu comme une somme d'investissements sans cesse renouvelés. Nous sommes alors confrontés à trois types de problèmes:

l Le décalage entre les flux de trésorerie et la mesure comptable des performances;

l La longueur du cycle d'investissements qui n'est pas nécessairement synchronisé avec la période d'observation;

l Le traitement comptable des dépenses correspondantes à l'innovation (R & D) ou à la création d'image (publicité, marketing).

 Si l'on reprend ces difficultés en séquence, la première se résout assez simplement et l'outil mis au point par la pratique est le tableau de financement. Celui - ci a pour objet de mesurer les emplois et ressources de fonds de l'entreprise sans distinguer le traitement comptable qui sera choisi pour les différentes opérations. Il laisse néanmoins entières les deux autres difficultés: la longueur du cycle d'investissements et la durée de vie économique des actifs employés.

Cette difficulté a un impact sur les deux éléments du calcul :

- Sur le numérateur car les flux de liquidités dégagés supposent que l'on utilise un tableau de financement sur plusieurs exercices afin de lisser les investissements;

- Sur le dénominateur car le montant du capital investi ne peut être défini que par l'observation des durées de vie économique des actifs employés.

Or, les actifs employés peuvent être estimés à leur coût historique (valeur comptable brute), à leur valeur nette comptable ou à une valeur de remplacement (la meilleure conceptuellement et aussi la plus difficile à obtenir).

Le choix d'une estimation (au détriment des deux autres) a de façon évidente un impact déterminant sur le rendement mesuré.

Les difficultés liées au rendement du capital portent tout d'abord sur la notion de cash - flow libre. Celui - ci correspond aux liquidités disponibles après financement des investissements et variation du Besoin en Fonds de Roulement (BFR). Lorsqu'une entreprise est entrée dans une période de stabilité où les investissements annuels sont pratiquement constants, le cash - flow libre se détermine aisément.

Mais il en va autrement dans les entreprises en forte croissance ou dans les secteurs où l'unité d'investissement est importante et où alternent des périodes à faible investissement avec des phases de décaissement massif.

La seule solution qui permettra de lisser ce phénomène est bien évidemment d'allonger la période d'observation. Sur une année, le cash - flow libre est rarement représentatif, le cumul sur plusieurs exercices permet d'éliminer ce problème. Bien entendu, on se situe là dans l'observation du passé. Les professionnels de l'évaluation savent que celui - ci ne préjuge en rien de l'avenir. Deux approches peuvent alors être employées:

L'approche économique:

Cash flow libre = Excédent Brut d'Exploitation cumulé (+/-) Variation du BFR (+/-) Acquisition et cession d'actifs (+/-) Charges et produits exceptionnels - Impôts sur les Sociétés. Cette approche a le mérite d'identifier les sources d'emplois et de ressources de capitaux et par conséquent les leviers d'action.

l L'approche financière (qui donne le même résultat de manière plus globale):

 Cash flow libre= Variation de l'endettement net (dettes financières +/- disponibilités) + Frais financiers de la période + Dividendes versés (+/-) Autres variations des capitaux propres.

 On voit bien que l'on se situe loin de la définition fréquente du cash-flow puisqu'il s'agit ici de mesurer la totalité des flux produits par l'entreprise. Que ceux - ci aient été conservés par l'entreprise ou bien versés aux préteurs de fonds sous forme de frais financiers ou bien encore versés en dividendes aux actionnaires n'est pas un élément significatif. Ce qui importe ici est de mesurer la richesse créée par l'entreprise.

 Pour résumer ce qui précède, le processus de calcul du Profit Economique qui consiste à calculer le rendement du capital investi comporte deux écueils: l'évaluation économique des actifs employés par l'entreprise et la mesure des flux de liquidités.

La mesure d'une performance n'a d'intérêt que si elle prépare à l'action. Améliorer le rendement du capital investi suppose tout d'abord de rappeler l'autre équation fondamentale:

Marge / C.I.= (Marge / C.A.) x (C.A. / C.I.)

Marge = Cash flow libre

C.I. = Capital investi (en valeur économique)

C.A. = Chiffre d'affaires

 Ce qui revient à dire que le taux de rotation du capital est aussi important que la marge sur chiffre d'affaires. Cette évidence a longtemps été oubliée dans le système de pilotage des entreprises. C'est certainement ici que se situe l'impact pratique le plus significatif de la création de valeur sur la gestion des entreprises. La gestion par la valeur (Value Based Management pour les anglo -saxons) revient à introduire à tous les niveaux de l'entreprise l'idée que la performance se mesure non par la marge sur chiffre d'affaires mais par la marge sur capital employé. Réduire celui-ci peut s'obtenir par de nombreux moyens: externaliser les activités les plus capitalistiques, allonger la durée d'emploi des actifs ou réduire le cycle d'exploitation.

MESURE DU COUT DES CAPITAUX INVESTIS

La deuxième grande difficulté liée à la mesure du Profit Economique provient du calcul du coût des capitaux. Le modèle comptable traditionnel évacue ce problème en considérant que les fonds propres ont un coût nul.

 Cette convention n'est pas soutenable économiquement.

 Il faut donc à ce stade estimer le coût des fonds propres, puis calculer le coût moyen des ressources employées par l'entreprise (à la fois dettes financières et fonds propres). Le coût des fonds propres dépend notamment du niveau d'endettement.     Or, la dette n'est pas en elle - même créatrice de valeur si son objet est de financer des actifs à faible rendement. Le calcul du Coût Moyen Pondéré du Capital (le WACC des anglo - saxons) est en apparence tout à fait élémentaire.

 Exemple: soit une entreprise dont la structure de bilan est la suivante : Fonds propres = 100 et Dettes financières = 40. Supposons que les fonds propres ont un coût de 15% et la dette un coût net de 4%.

 Le calcul sur les valeurs comptables donne un résultat simple :

Coût Moyen Pondéré du Capital = 100 / 140 x 15% + 40 / 140 x 4% = 11.8%.

 Ce résultat en apparence indiscutable est malheureusement inexact. En effet, la pondération devrait être effectuée en utilisant non pas les valeurs comptables mais les valeurs de marché. Si les actions de l'entreprise évoquée valent par exemple 150, nous aurons un CMPC de :

150 / 190 x 15% + 40 / 190 x 4% = 12.7%.

Ceci n'est pas gênant pour une entreprise cotée où la valeur des actions est fixée quotidiennement par le marché. Il en va autrement dans les sociétés non cotées où l'analyste doit d'abord procéder à une évaluation des titres avant de calculer le CMPC.

 La question que pose souvent le dirigeant d'entreprise lorsqu'on lui indique le coût effectif des capitaux engagés est de savoir quels sont les leviers d'action. Le paradoxe est que l'abaissement du CMPC d'une entreprise n'est pas le résultat de décisions financières mais de choix stratégiques. En effet, réduire le coût du capital revient à réduire le niveau de risque. Pour une entreprise, celui-ci se mesure par la variabilité de ses résultats. L'écart type du rendement est donc un bon indicateur du risque d'entreprise.

 Or les facteurs qui influent sur la variabilité du résultat sont principalement au nombre de quatre à savoir : 1) la part des coûts fixes dans la structure de coûts (plus celle ? ci est élevée, plus une variation de C.A. se verra amplifiée dans la variation des résultats) ; 2) le côté cyclique ou régulier de la demande; 3) la répartition du portefeuille «produits-marchés» (répartition du risque) et 4) le niveau de différenciation de l'offre.

 Ainsi plus la firme propose au marché un produit différent de ses concurrents avec une réelle valeur - client (*), plus elle accroit son pouvoir de marché. Dans ce cas, elle moins dépendante de l'action de ses concurrents. On retrouve ici le concept de l'entrepreneur schumpeterien et le rôle de l'innovation.

 On voit bien que tous les facteurs évoqués ci-dessus n'ont rien de strictement financier et portent sur des choix stratégiques. Réduire le niveau d'intégration d'une entreprise abaisse plus certainement le coût du capital que toute technique sophistiquée d'endettement.

 De même, localiser les actifs et les dettes dans des entités non consolidés n'est qu'un artifice que la réalité économique dévoile tôt ou tard. Créer de la valeur ne s'obtient que par des choix stratégiques et non par des techniques financières ! (*)La valeur - client représente la valeur actualisée des profits attendus d'une clientèle pendant toute sa durée de vie.

Conclusion

 Dans le cas précis des activités fruitières et légumières, l'Interprofession est appelée à assumer son rôle éminemment stratégique à travers :

1) La conception d'une stratégie de filière fondée sur un modèle d'analyse dynamique des prix des fruits et légumes. Ce type de modèle permet une prévision de la performance commerciale d'un produit (marché potentiel, part de marché et volume) et de sa rentabilité économique (marge brute, évolution dynamique des coûts, et profit) correspondant à la stratégie ?prix /qualité/ largeur de gamme' envisagée.

2) L'ajustement permanent du «business model» des entreprises de la filière pour répondre aux changements du marché. Un «business model» est la logique centrale d'une organisation pour créer de la valeur.        C'est ce qui fait que l'entreprise à but lucratif gagne de l'argent.

 Pour définir un «business model», une méthode a été développée et consiste à répondre à 5 questions génériques :

a. Quelles sont les sources de création de valeur de l'entreprise ?

b. Quelle est l'offre concurrentielle de l'entreprise ?

c. Comment l'entreprise gère-t-elle ses ressources financières ?

d. Comment l'entreprise draine-t-elle ces revenus ?

e. Pourquoi est-ce une entreprise unique, c'est-à-dire quelle est sa spécificité quant à l'identification et la déclinaison des opportunités de création de valeur sur des problématiques stratégiques ?

3) Les paramètres de création de valeur.

 La stratégie de chaque entreprise de la filière consistera à faire évoluer la dynamique des «preneurs d'enjeux» (concurrents, fournisseurs, employés, régulateur, clients et actionnaires) à son avantage. La variable d'ajustement sera la création de valeur (capacité de Profit Economique mesurée comme la différence entre le retour sur investissement et le coût du capital).

 La réflexion stratégique aura pour but l'amélioration du pilotage de la création de valeur à travers des «value drivers» (paramètres de création de valeur) pour investir plutôt dans des stratégies dont la cohérence et la durée seront les moteurs réels d'acquisition d'avantages compétitifs et de création de valeur.

 La mise en place des «value drivers» facilitera une vision analytique et prospective des trois facteurs fondamentaux que l'on retrouve dans toute mesure de performance fondée sur la valeur : la séquence des «cash-flow», le taux d'actualisation réel (coût du capital) et la politique d ?endettement (directement reliée au Coût Moyen Pondéré du Capital).

 Dés lors, il sera important de bien repérer dans chaque entreprise où se créera en priorité la valeur et, partant, de comprendre comment et par où elle se détruira.

 Principales références : site ?Interfel', revue hebdomadaire ?Process alimentaire' et les travaux du binôme ?Jean - François PANSARD & Romain DUPRAT' sur la mesure de la création de valeur.

*Consultant en management