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A la recherche du temps perdu ?

par B. Khelfaoui

«Ce que nous sommes aujourd'hui résulte de nos pensées d'hier; et de nos pensées d'aujourd'hui dépendra notre vie de demain: notre esprit bâtit notre vie.» Bouddha

Le jour où le regretté Elhachemi Guerouabi chanta, pour la première fois, «Hier j'avais vingt ans», il avait, paraît-il, ravivé la flamme nostalgique d'un grand nombre d'âmes qui peinaient à s'agripper, jusqu'à en ronger ongles et doigts, sur les vitrines glissantes et ingrates de la vie, métamorphosée, en dépit d'illusoires esthétiques intensives, en «Bon-vieux-temps» !

 Ainsi est faite la vie, diront les adeptes de la pensée cartésienne.

 Cependant, et à chaque tombée de la nuit, amputée du sablier de notre âge, l'on ne peut s'empêcher de se lamenter sur nos virages en s'illusionnant d'être encore capables de replier bagage pour s'aventurer dans de nouveaux rivages !

 Sans aller se risquer, en se camouflant - illégitimement voire sans habilitation - dans l'habit d'un sociologue voire d'un politologue, très loin dans le «labyrinthe» des réflexions scientifiques, terrain réservé - très bien entendu ! - aux initiés et aux spécialistes en la matière qui maîtrisent tant l'art que la manière de mettre à jour des «productions» lumineuses reléguées malheureusement dans les étalages poussiéreux des bibliothèques universitaires et centres de recherches spécialisés, le commun des Cheâayeb Lekhdim aura constaté, bon gré mal gré, ce va-et-vient de l'index du «patriomètre »*1 depuis «Tahia Eldjazayer» jusqu'à «One Two Three viva l'Algérie» !

 Oubliant notre quotidienne galette de pain noir saucé par une petite tasse de café ou un bol de leben, nous avions dansé, le coeur gonflé de joie, les larmes aux yeux, bercés par la cadence des chants patriotiques, en n'ayant dans les esprits, comme symphonie régénératrice, que la mélodie de l'indépendance.

 Les orages passèrent et la visibilité devenait de plus en plus prisonnière de l'opacité de «pour une vie meilleure».

 Néanmoins, deux printemps caractérisèrent la scène où, délaissant notre couscous au lait bouilli aromatisé d'une pincée de poivre noir, nous nous sommes donnés, encore une fois, avec une spontanéité on ne peut plus claire et limpide, en spectacles fougueux et délirants: ce fut en coupe du monde 82 et 86 !

 «Le patriotisme est la plus puissante manifestation de l'âme d'une race. Il représente un instinct de conservation collectif qui, en cas de péril national, se substitue immédiatement à l'instinct de conservation individuelle.»*2. Voilà bien une définition qui «ose» rapprocher ou du moins frôler cet état d'âme voire de corps et d'esprit qui nous caractérise quand cette joyeuse et ô combien enivrante hystérie nous emballe ! Sans crier gare, nous relevons la barre en oubliant toutes nos tares, et nous nous joignons fidèles des mosquées et habitués des bars, pour organiser les fêtes ininterrompues de Tlemcen à Tébessa et d'Alger à Adrar !?

 Où réside ce secret qui a le miraculeux sésame de fermer les portes fracassantes et angoissantes de la problématique bonne gouvernance et d'en ouvrir les fenêtres donnant sur les prairies de «l'Algérie mon amour, Algérie pour toujours» et dont les acteurs sont justement cette jeunesse qui alimentait les feux du terrorisme barbare en «repentance» et les rafiots de harraga en partance ?

 S'il est vrai que le football, qui est un sport ayant la capacité d'engouement, d'enthousiasme voire de fureur, il n'en demeure pas moins que les multiples expressions manifestées par les diverses attitudes de nos jeunes aux quatre coins du pays recèlent en elles-mêmes un message de patriotisme inébranlable. Quand bien même on dirait «On ne peut être patriote en ayant l'estomac vide »*3, on ne parviendrait jamais à cacher par un quelconque tamis le soleil sous les rayons desquels nos braves jeunes se jettent à même la gueule du loup, armés des drapeaux et brassards aux couleurs nationales !

 Le voyage risqué et périlleux en terre pharaonienne en est la preuve indéniable et indubitable !

 Pour ces raisons, et pour tant d'autres (la disponibilité, l'engagement et les actes de courage et de bravoure manifestés lors de l'inondation de Bab-El-Oued*4 et du séisme de Boumerdès*5,...), personne n'a le droit de douter encore moins de remettre en cause l'esprit patriotique de cette brave et audacieuse jeunesse de novembre 2009 qui demeure, à très juste titre, la digne héritière des célèbres architectes de novembre 1954...

 Par ailleurs, en dépoussiérant à nouveau nos anciennes pellicules, pourtant en «noir et blanc», restituées en partie par nos «civilisateurs», la vérité frappante nous giflera autant de fois qu'il faudrait à notre amnésie pour nous amener à comparer, dans un rapprochement analogique, les drapeaux hissés comme étendards sur les taxis et autocars par la jeunesse du 5 juillet 1962 avec ceux de nos jours, en vision de couleurs, portés en brassards, casquettes ou ornant nos rues de largeur en longueur !

 Enfin, même en faisant semblant de ne rien décoder comme message on ne peut plus explicite, ces images récurrentes suggèrent - n'en déplaise aux paresseux «pétrolés» ruminant le vieil disque 45 tours usé de «Chaâb morr» - la lecture est si limpide et aussi claire qu'une simple oreille de grand-mère tendre et affective aurait le pouvoir de métamorphoser ces potentiels harraga et éventuels candidats à l'appel des forêts en de bâtisseurs des grands travaux «chinois» et en d'ingénieux créateurs de barrages verts !

 En cherchant ce Bon vieux «Temps perdu» Cheâayeb Lekhdim qui s'est permis de conjuguer la prometteuse jeunesse à la deuxième personne de la société, et tout comme annoncé en troisième paragraphe - déontologie sine qua non et modestie oblige - n'a guère la prétention d'étaler pour les uns encore moins pour les autres une surenchère de patriotisme, clamée et revendiquée, dans un esprit de droit d'auteur, par les leveurs de mains et les animateurs de meetings qui peinent à farcir les bus de la «société civile» lors des périodiques et fatidiques échéances de chances... Marcel Proust avait écrit, au sujet de sa longue recherche du temps perdu: «J'ai eu le malheur de commencer mon livre par le mot «je» et aussitôt on a cru que, au lieu de chercher à découvrir des lois générales, je m'analysais au sens individuel et détestable du mot».

 Aussi, le comble serait que, dans des perspectives d'une littérature politique comparée, nos sages et éminentes personnalités concernées de près par le phénomène de prisme que reflètent les images citées ci-haut, ajustent les différents rayonnements au seul bénéfice tant de la patrie que de la jeunesse, qui se trouve être la quasi-totalité de sa composante ?

 Il n'est pas interdit encore moins superstitieux de rêver !

 «La chose simplement d'elle-même arriva,Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va.»*6

Notes:

*1 Appareil mesurant le patriotisme, inventé par un harrag, non encore breveté.

*2 Gustave Le Bon, extrait de «Hier et Demain»

*3 William-C. Brann, extrait de «L'iconoclaste»

*4 Inondations de Bab El-Oued le 10/11/2001

*5 Séisme de Boumerdès le 21/05/03

*6 Victor Hugo,

«Les Misérables»