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Deux Khelil, deux poids, un pays

par Kamel Daoud

Des dizaines de militants algériens désireux de participer au forum social mondial qui se tient à Tunis cette semaine ont été refoulés aux frontières est du pays. Par la police, sur instruction «d'en haut». Sans explication, dans la pure tradition des camps de concentration et des pays policiers ou des bureaucraties «Moukhabarates». Geste monarchique, gratuit, contre-productif et caricatural de la peur des gestions par «fiches». Geste préhistorique aussi, à l'ère d'internet, du Skype et de la communication alternative aux propagandes. Car qu'est-ce qu'on peut en escompter ? Interdire le militantisme ? Isoler le pays encore plus ? Empêcher les gens de communiquer ou cacher l'Algérie entre les gouttes de pluie ? On ne sait pas. Le pire est que cela intervient sans «explication», sans responsabilité assumée, sans lois ni règles invoquées, dans l'injustice et l'arbitraire, ces vieux mots des vieilles misères. Qui a pris cette décision ? On ne sait pas et il ne le dit pas et ne l'assume pas.

L'un des «arrêtés» a du coup résumé l'esprit général algérien et c'est l'objet de la chronique : on laisse des présumés coupables comme l'ex-ministre de l'Energie, accusé de beaucoup, entrer et sortir du pays et on empêche des militants de «sortir» du pays. Chakib Khelil est à Oran, tout le monde le sait, pour des raisons personnelles et il est libre et personne ne peut rien contre lui tant que l'on n'a pas prouvé sa culpabilité ou démontré le crime. Cela s'appelle la loi et elle est une valeur commune fondatrice du pays. On n'a pas le droit d'empêcher cet homme de revenir voir sa mère, ou de le menotter ou de l'accuser sans preuve et c'est la loi. Et il faut la respecter. Sauf que cette loi, il faut la respecter pour tous. Car il y a aussi un autre Khelil (Moumène) militant des droits de l'homme empêché d'aller en Tunisie voir son monde cette semaine. Et celui-là aussi est innocent jusqu'à preuve du contraire et c'est la loi. Lui et ses compagnons de la caravane.

On ne peut pas empêcher des Algériens de circuler sans décision de la justice, sans assumer, sans explication. Cela s'appelle un abus ou dictature. Si raison il y a, il faut la dire parce qu'on est comptable devant l'opinion et pas devant des tuteurs. Il faut endosser ses actes et nous expliquer à nous pourquoi ce geste. S'il n'y a que l'explication de la force, là aussi il faut l'assumer et dire que nous ne sommes pas une démocratie aménagée mais une dictature sournoise. C'est un métier et il faut l'assumer.

Et c'est parce que cette justice est bafouée, dans son élémentaire définition, que les Algériens de tous bords ne «croient plus» et ont perdu ce qui fait la force des nations et leur courage : la bonne foi. A chaque jour, on en revient à ce système du pouvoir sans responsabilité, d'abus sans explication et de justice selon les poids et les mesures. C'est ce qui est à l'origine des mouvemente du Sud, des émeutes du Nord, des scepticismes des élites et des échecs des réformes et de l'hypocrisie générale. Les Algériens ne croit pas à l'équité ni à la justice du partage et du traitement et de la récompense à l'effort. D'où la violence.

Un Khelil peut circuler dans le pays comme il veut et c'est justice. Un autre est empêché d'aller où il veut et sans explication. C'est dire qu'on peut avoir le même prénom et le même pays mais pas les mêmes droits ni les mêmes libertés. Cela résume tout pour tous.