Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Dangereuse posture

par Mahdi Boukhalfa

Cela fait deux ans qu'il l'avait dans le viseur: le Premier ministre veut accélérer la mise en place du chantier de la réforme des subventions. En septembre 2016, alors patron du RND, Ahmed Ouyahia avait dressé un sévère réquisitoire contre les subventions de l'Etat, martelant devant ses militants que «notre système de subventions est trop généreux. Il profite à tout le monde. Il ne profite pas aux nécessiteux». Et, dès août 2017, dès son retour à la tête du gouvernement, il n'a pas fait grand mystère de sa volonté, à un moment où le financement non conventionnel n'était pas encore d'actualité, de revoir les subventions et, plus globalement, les transferts sociaux.

Par les chiffres, l'ardoise des transferts sociaux pour 2018 est de 1.760 milliards de dinars, soit presque 20 milliards de dollars. Pour autant, s'attaquer à un chantier aussi vaste et dangereux, socialement, politiquement, comporte bien des inconnues, bien des soucis que le gouvernement doit prendre en compte. Car une telle démarche économiquement volontariste, mais politiquement dangereuse et socialement porteuse de tous les dérapages, est annoncée à un moment de grand stress financier autant pour l'Etat que pour une large majorité de contribuables. Demander aux gens de serrer encore plus la ceinture quand la moyenne de l'indice des prix à la consommation tourne autour des 4-6%, et plus de 10% pour les produits agricoles de saison, c'est pratiquement un suicide politique. Mieux, le gouvernement, qui a déjà opéré des hausses dramatiques pour les bas salaires sur les tarifs de l'électricité et des carburants, compte abandonner totalement son soutien aux prix de l'énergie domestique. Et, en clamant sa volonté de cibler les produits subventionnés, alors qu'il le fait déjà, l'exécutif va fatalement droit vers l'iceberg.

Déjà très frondeur, affaibli par une crise sociale et des perspectives économiques moroses avec un chômage qui dure, le front social ne résistera pas à un probable séisme financier qui consisterait en l'abandon, total ou partiel, des subventions des prix du lait, du sucre, de la semoule. Le Premier ministre et son staff devraient prendre en compte tous les paramètres sociologiques d'un abandon déguisé du soutien de l'Etat aux couches sociales les plus vulnérables, les cellules familiales et les retraités, qui vivent avec un revenu mensuel de moins de 4.000 DA. Mieux gérer et rationaliser le système des subventions sociales est une chose, livrer la plus grande partie des Algériens à l'incertitude financière, pieds et mains liés face aux durs lendemains d'un abandon politique du devoir de l'Etat quant à la prise en charge de leurs besoins sociaux, est une posture différente. Socialement, politiquement suicidaire et porteuse de tous les dérapages.

Une posture préoccupante qui peut plonger le pays dans l'incertitude et les crises politiques, sociales. Moraliser et rationaliser les subventions ne peuvent être solubles dans l'abandon de l'Etat protecteur des «démunis » au profit d'une caste nantie dont les habitudes alimentaires ne peuvent être identifiées à un sachet de lait ou une baguette de pain.