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MAUVAISE PASSE

par K. Selim

On attendait encore hier soir la publication des résultats officiels de la première phase des élections législatives en Egypte. L'importante avancée des Frères musulmans, organisés au sein du Parti de la justice et de la liberté, ne constitue pas la surprise de ce scrutin. Tout le monde pressentait que ce mouvement, dont l'existence mouvementée remonte à 1928, allait rafler la mise pour son travail de maillage social et son influence dans les organisations socioprofessionnelles. Par contre, la deuxième place obtenue par les salafistes du parti Al-Nour constitue une véritable surprise.

Il n'est pas fortuit d'ailleurs de voir que les appréhensions s'expriment davantage sur la percée des salafistes que sur la victoire attendue des Frères musulmans. Pour ces derniers, cette forte présence des salafistes est une mauvaise nouvelle et va rendre difficile une gestion où il s'agira de s'installer aux commandes tout en rassurant. Dans un pays qui connaît de temps à autre des flambées de tension et de violences communautaires, ce pourcentage important réalisé par un courant rigoriste ne laisse pas d'inquiéter.

Cette inquiétude s'exprime, sans pour autant que la crédibilité du scrutin soit contestée. Cela mérite d'être souligné. Le Mouvement des jeunes du 6 avril, un des grands acteurs de la révolution, a choisi d'être positif en publiant sur sa page Facebook que «personne ne doit s'inquiéter de la victoire d'une liste ou d'un courant politique? C'est la démocratie et notre grande nation ne permettra plus à quiconque de l'exploiter à nouveau». C'est une excellente attitude, celle de militants prêts au combat et décidés à ne plus permettre une nouvelle dictature.

Il reste quand même à tirer des conclusions de cette première phase des élections, où le courant islamiste, dans ses deux variantes, FM et salafiste, s'impose comme un courant politique dominant. Car ce que révèle cette première phase, c'est bien un échec de tous ceux qu'on classe dans la case des «progressistes» et dans lesquels on a tendance à inclure même les libéraux dont les idées économiques ne sont pas différentes de celles des islamistes. Mais même en acceptant la notion très nébuleuse de «courant progressiste», qui peut aller des libéraux à l'extrême gauche, ce qui ressort de cette première phase, c'est bien sa faiblesse. Même en cas de fusion des différentes coalitions, les jeux paraissent plutôt faits.

Il faut en effet noter que la première phase du scrutin s'est déroulée dans les zones urbaines, où ces progressistes avaient, en théorie, le plus de chance de faire de bons scores. Or, les prochaines phases vont se dérouler dans les zones rurales, où les islamistes et les ex-recyclés du parti au pouvoir, les fameux «foulouls», sont donnés pour largement gagnants. Les progressistes et singulièrement les militants de gauche, pour revenir à une notion un peu moins vague, traversent une mauvaise passe. Certains parlent de solitude des militants de gauche en Egypte. Mais peut-être ? et cela est également un enseignement des élections tunisiennes ? faut-il trouver dans ces résultats l'expression de la distance qui s'est installée entre les militants de gauche et la société.

Les islamistes, c'est un fait, sont dans une proximité avec les gens qui a été perdue à gauche. La gauche n'est pas mise en solitude. Elle s'est isolée. La victoire des islamistes devrait la contraindre à la réflexion et à la remise en cause. Avoir de belles idées ne suffit pas.