Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La mort au temps du corona

par Hatem Youcef

Ce texte ne tient pas du réalisme magique quoique son titre n'est pas sans rappeler une œuvre phare dudit mouvement. Ce texte tient plutôt du genre gothique. En effet, la mort y rôde à chaque recoin et y tient le haut du pavé. La mort est devenue une chronique quotidienne et officielle, la chronique des morts annoncée et attendue. Malgré les chiffres macabres, on ne compte plus ses morts.

Ne pouvant plus envisager l'après-Covid-19, les gens se sont résolus à se remémorer l'avant, du temps où il faisait bon mourir en paix, du temps où l'on pouvait mourir de sa belle mort. Ils se délectent du souvenir de cet événement douloureux certes, mais qui ne les empêche quand même pas de continuer à vivre. Alors, la mort était solennelle, imposante, hideuse aussi, mais elle prenait tout son temps et laissait le temps nécessaire pour que la famille, les amis et les curieux veillent sur le mort, sirotent un thé ou un café, profitent de la circonstance pour revoir des amis, discuter et raconter des blagues. Les femmes s'y adonnaient à leur meilleure catharsis en purgeant toutes leurs larmes, en s'apitoyant au maximum sur la veuve ou les orphelins que toutes rêvent de serrer dans les bras. Alors, on pouvait et devait jeter un dernier regard sur le défunt, louer ses qualités et c'était à qui l'associerait mieux à une anecdote agréable. La mort était alors une festivité, un rite païen, voire une continuité de la vie.

La mort au temps du corona est tout autre ; c'est la faucheuse qui n'a pas d'égards pour les nantis. Toute la panoplie de protocoles y afférente a disparu ; ni obsèques, ni hommage, ni cérémonial, ni fanfares, juste une mort anodine. La mort du temps du corona n'est pas une mort ; c'est une déchéance, une véritable défaite en somme. Elle est la même pour tous, elle met tout le monde, riche ou pauvre, célèbre ou inconnu, sur le même pied d'égalité. La mort au temps du corona n'est pas une sinécure, d'aucuns ne souhaiteraient mourir sous le règne du corona.