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L'une des maladies qui expliquent notre soumission

par Kamel Daoud

La peur de soi. C'est le propre de l'Algérien, en gros. Après la maladie légendaire de la honte de soi. Honte de sa langue, ses langues, ses racines, ses ancêtres et son passé au nom d'idéologies importées de chez les Ottomans, les Francs, les arabes, etc.

 La peur de soi est l'autre versant : le peuple a peur du peuple. Il ne lui fait pas confiance et le surveille du coin de l'œil. Le but du voyage algérien n'est pas de se retrouver (essence de la quête dans les mythes du monde), mais de se fuir. Se débarrasser de soi aux bords derniers de la terre. Ne pas se rencontrer. S'oublier. S'effacer. Voyager à reculons, avec un balai à la main pour effacer les traces de ses propres pas et que personne ne vous suit ou ne vous retrouve. «Est-ce qu'il y a des arabes là-bas ?», pose le touriste national comme première question à la montagne qui lui barre la vue de l'autre pays. Ceci pour le bas de l'échelle. Au plus profond, c'est la peur. «Sans moi, vous vous mangerez», explique l'Ogre du régime. Il montre alors du doigt la matraque et l'autorité comme nécessité. Et cela vous infantilise un peuple jusqu'à en faire un chahut quand le policier n'est pas là pour réguler le pétrole, les élections, le feu rouge ou la distribution de la semoule. Les Algériens sont convaincus que s'il y a la main étrangère, il y a surtout le pied local. La menace du chaos de soi contre soi. Et c'est cette peur de soi comme monstre ingouvernable, comme horde, comme barbarie dormante qu'il faut guérir. On verra alors s'effondrer la honte de soi et le régime politique d'aujourd'hui et renaître au monde ces gens qui vous entourent comme des ombres et que vous fuyez comme votre ombre. Cette peur qui détruit la dignité par l'insulte, le Colon nous l'a inculquée, les colonisations du Nord et de l'Est et, ensuite, le régime politique qui s'offre à nous dans la tradition des «œuvres positives de la dictature» et des vertus de l'autoritarisme.

 Le peuple, théorie d'ensemble, en arriver à voter contre lui-même, contre ses propres enfants, à se soumettre au maître par peur, à se nier et s'accuser, se voir comme reflet et portrait dans le monstre qui le possède alors qu'il ne s'agit pas d'un reflet mais d'un face à face entre lui et l'hydre qui le mange. La peur de soi dévalorise et provoque la violence. Pas pour faire tomber un régime ou changer le monde, mais pour se faire tomber soi-même, au plus bas, et essayer de se fuir au plus vite, au plus loin. De quoi avons-nous peur ? De nous manger. Terrible myopie, car, pendant ce même moment d'angoisse, c'est l'Ogre du régime qui nous dévore. Peuples d'Algérie, vous n'êtes pas des monstres ! On vous pousse à la monstruosité. Réveillez-vous au moins à cette certitude. Un par un. Il en naîtra un jour une dignité et pas cette détestable vanité qui dure depuis des décennies. La peur de soi est la première maladie nationale. Et si votre Président a honte de vous, ce n'est pas parce que vous êtes honteux, mais c'est pour mieux vous convaincre et vous faire accepter l'indignité.