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La prévision de recette pétrolière 2020 revue à la baisse de près de 25% (Deuxième partie)

par Reghis Rabah*

Lors du Conseil des ministres qui s'est tenu le 12 juillet dernier, durant lequel le plan de relance économique a été examiné par le gouvernement, le président de la République a relevé la stagnation dans laquelle se trouve le secteur de l'Energie depuis des décennies, empêtré dans les schémas de production classiques et perdant de vue les énormes potentialités que recèle le pays. D'où les instructions pertinentes et opportunes du président de la République. «Le Chef de l'Etat a, ensuite, donné des instructions précises en faveur de la relance des activités de prospection des réserves non exploitées à travers des études précises et documentées.» Le président de la République a instruit le ministre de l'Energie de suivre, scrupuleusement, une feuille de route détaillée qu'il a annoncée, lors de ce Conseil de ministres et il a ordonné un audit approfondi afin de réaliser un état des lieux du groupe Sonatrach.

4- Les causes de cet effondrement sont à rechercher ailleurs que dans le Covid-19

Le déclin, sous toutes ses formes, surtout celles ayant trait au retard qu'ont pris certains projets vitaux comme celui du boosting de Hassi R'mel dont la perte est estimée à 7 milliards de m³. Les volumes vont chuter de plus de 10 milliards en 2021 avec une croissance de la consommation interne de 7%. Cette consommation va affecter les exportations qui vont dégringoler de plus de 18%. Uniquement ces retards, vont impacter les recettes d'un manque à gagner de plus de 3 milliards de dollars. Bien que les responsables en charge minimisent l'impacte du quota de l'OPEP, il pèse apparemment lourd sur les rentrées en devises. Ainsi sur la base d'une communication directe, l'Algérie qui produisait en moyenne en 2018 : 1,040 million de baril par jour (b/j) est passée en 2019 à une moyenne de 1,023 b/j pour descendre en juillet 2020 à 0,809 b/j, le mois d'août 0,859 b/j pour terminer en septembre à 0,861 b/j. Il faut ajouter à cela les malheureux incidents liés à la corrosion dans les deux pipes OK1 et OB1 qui mènent le brut vers Skikda et Bejaia, à partir du poumon pétrolier Haoud El Hamra. Les arrêts fréquents des installations dont celle de l'Unité de Skikda qui est restée clouée plus de 6 mois. La production d'In Salah au 1er trimestre 2020, était de l'ordre de 20-22 millions de m³/j. Depuis fin 2019, des problèmes liés à l'exploitation avaient été signalés. En effet, In Salah devait opérer un arrêt décennal pour maintenance, prévu pour fin 2019/début 2020. Les responsables de Sonatrach ont en fait autrement pour n'effectuer aucun arrêt pour maintenance programmée afin de ne pas subir un manque supplémentaire de gaz. A partir de fin février, début mars, il y a eu un arrêt du compresseur principal et arrêt du train (1 ou 2) ainsi que d'autres nombreux problèmes et avaries, problèmes de maintenance, la production est descendue à 5,7 millions de m³/j, elle est remontée en septembre à 9 millions de m³/j. (07)

Le bilan de la firme italienne ENI révèle que les exportations gazières de Sonatrach vers l'Italie ont atteint 1,83 milliard de m3 durant le 1er semestre de 2020 contre 3,7 milliard de m3 durant la même période de référence, soit une baisse de 50,9%. Les exportations gazières de Sonatrach vers l'Espagne ont atteint 3,35 milliards de m3 durant le 1er semestre de 2020, en baisse de 46%, a rapporté, jeudi 13 août 2020, le journal ?Confidential', citant l'instance espagnole des hydrocarbures. Conséquence: pertes des marchés au profit des concurrents de l'Algérie comme le Qatar, l'Egypte, la Russie et surtout le gaz de schiste américain, en Espagne. (08) L'alerte donnée par l'organisme national des Statistiques est édifiante mais n'a pas été suivie d'effet. En effet, cet organisme avait noté (09) suffisamment à l'avance qu'au 1er trimestre 2020, la valeur ajoutée des hydrocarbures a connu de nouveau, une baisse importante de 13,4% contre une baisse de 7,1%, durant le même trimestre de l'année précédente. Au 2ème trimestre 2020, les hydrocarbures ont reculé de 8,5%. Ce repli s'explique, essentiellement, par une chute de 10 % de la production dans la branche «pétrole brut et gaz naturel» et une baisse de 6,4 % dans celle de «liquéfaction du gaz naturel» et de 4,3 % dans le «raffinage de pétrole.»

En ce qui concerne l'Espagne qui vient d'obtenir la baisse du prix du gaz promis par le président de Naturgy à ses actionnaires, (10) l'importation de gaz naturel au 1er semestre 2020 s'est élevée à 171.006 gigawattheures, soit le chiffre le plus bas, en 15 ans, (depuis 2004) et représente une baisse de 11% par rapport à la même période, en 2019. Un autre facteur clé pour comprendre cette situation est l'effondrement de l'arrivée de gazoduc: les importations en provenance d'Algérie , principale source de gaz de l'Espagne grâce aux gazoducs méditerranéens (Medgaz) et marocains (Maghreb), se sont effondrées drastiquement et ont chuté au niveau le plus bas, depuis qu'existent des statistiques.

Les 35 897 GWh achetés au pays d'Afrique du Nord au cours du 1er semestre de cette année sont inférieurs de 46% à ce qui est arrivé il y a à peine un an et sont loin des chiffres des autres années. La forte baisse en Algérie a été partiellement compensée par l'arrivée de gaz liquéfié transporté par des navires d'autres zones géographiques. Celui qui exporte le plus son gaz vers l'Espagne, ce sont les États-Unis, qui ont pris un virage dans leur politique commerciale sur ses matières premières et sont déjà l'un des plus gros exportateurs de gaz naturel au monde. Une substitution de celle de l'Algérie par les États-Unis lit-on. Un quatrième train GPL de l'usine algérienne de Zcina, au nord du hub pétrolier de Hassi Messaoud, a été repoussé d'au moins 9 mois jusqu'en mars 2022, selon l'entrepreneur italien Maire Tecnimont dans son rapport du 1er semestre publié. Une fois achevé, le projet de 248 millions de dollars augmentera la capacité de traitement du gaz de Zcina de 8 millions de m³ / j (280 millions de CFD) (MEES, 6 mars). Bien que le retard soit, certainement un revers, la bonne nouvelle est que depuis le rapport annuel 2019 de Tecnimont, publié le 11 mars, les travaux progressent régulièrement. L'entreprise italienne rapporte désormais que les progrès de l'ingénierie sont de 91%, les achats 62% et la construction 5%.(11). Ce que juge la revue MEES en juin. (12) Les exportations de gaz de l'Algérie ont chuté de 30% d'une année sur l'autre à seulement 10,4 milliards de m³ (3,04 milliards de CFD) pour les 4 premiers mois de 2020. Cela fait suite à une chute brutale de 18% à un plus bas de 24 ans de 40,8 milliards de m³ pour 2019 Les volumes de cette année devraient tomber sous les 37,4 milliards de m³ de 1995 et peut-être les 31,6 milliards de m³ de 1994.

Les deux principaux marchés d'exportation de gaz de l'Algérie : l'Italie et l'Espagne, sont liés à l'Algérie par des pipelines directs. Ensemble, les deux ont absorbé 61% des exportations de gaz de l'Algérie en 2019, l'Espagne 12,8 milliards de m³ et l'Italie 12,2 milliards de m³. Mais c'était déjà bien en baisse par rapport aux années précédentes. À seulement 26,3 milliards de m³, les exportations de gaz par canalisations de l'Algérie en 2019 étaient les plus faibles depuis 1997.

5- Cette descente en enfer ne date pas du Coronavirus

Dans son rapport n°9.000 intitulé : «Les comptes économiques en volume de 2016 à 2019» (13), l'Organisme national des Statistiques (ONS) est formel et confirme la conclusion de la Banque d'Algérie (BA) et le Fonds monétaire international (FMI) qu'une forte reprise d'activité a été enregistrée dans le secteur des hydrocarbures, notamment à Sonatrach en 2016 avec une croissance de 7,7%. Sonatrach avait renoué ainsi avec une forte activité qu'elle avait perdu depuis pratiquement 14 ans soit l'année 2003 où le taux d'accroissement en volume (en %) de la valeur ajoutée des hydrocarbures a dépassé les 8%. Rappelons qu'en 2003, la croissance a été portée par la mise en production du fameux champ de Berkine Ourhoud, en partenariat d'ailleurs, c'est-à-dire qu'une part va aux partenaires et donc a nécessité des dépenses de plusieurs milliards de dollars. Par contre et tous les organes statutaires du secteur de l'Energie le reconnaissent qu'en 2016, cette forte croissance était le résultat des efforts propres du mastodonte, sans investissements ni apport de partenaires mais à travers une réorganisation adéquate et une stratégie intensive, tournée vers les gisements existants et une réévaluation des réserves pétrolières et gazières, en utilisant des méthodes de stimulation. L'objectif visé à l'époque était celui d'atteindre une croissance de 11%, dans le domaine du possible car Sonatrach disposait d'une capacité additionnelle de production de 100.000 barils/jour, malheureusement réduite à 1,08 million de barils/jour du fait de la limitation et du respect du quota de l'OPEP. Il se trouve, constate le même rapport de l'ONS, que le secteur des hydrocarbures «s'est de nouveau caractérisé par des baisses d'activité, dès 2017, encore plus marquées en 2018 et qui persistent en 2019 soit respectivement -2,4%, -6,4% - 4,9%. Avec la crise sanitaire due au Covid-19 il est fort probable que l'année 2020 ne sera pas meilleure non plus. Il demeure bien entendu que l'ONS n'a pas manqué de tirer la sonnette d'alarme sur l'importance du secteur des hydrocarbures dans le Produit Intérieur Brut (PIB) pour mesurer les chocs extérieurs auxquels sera confronté, par ricochet, l'économie globale.

En outre, les valeurs nominales des exportations d'hydrocarbures restent en baisse. Elles ont été, selon les chiffres de la douane (CNIS) de 33,2 milliards de dollars en 2019 contre 39 milliards de dollars, une année auparavant soit une baise substantielle de 14,9%, en dollars courants. Cette faible performance est liée à une baisse prix du baril qui est passé de 70,9 dollars, le baril en 2018 à 64,7 dollars le baril en 2019. Depuis le 1er janvier à ce jour, la moyenne du prix du Sahara Blend référence Algérienne n'est que 43 dollars le baril moins que le Brent référence Européenne, avec une moyenne de 42,59 dollars le baril avec, encore une fois, un point bas de 15,98 dollars le baril, en avril dernier, et un point haut 71,75 dollars le baril. La faiblesse de la demande du Sahara Blend est certainement due à l'activité raffinage qui reste très timide dans le monde. Le brut algérien est très apprécié par les raffineurs à cause de sa légèreté et son taux de soufre réduit. En volume et aux prix de l'année précédente, les exportations d'hydrocarbures baissent de 5,8% en 2019 après avoir enregistré une baisse 8,3% en 2018.

*Consultant, Economiste Pétrolier

Renvois

(07)-https://www.mees.com/2020/7/24/oil-gas/algeria-gas-fields-slump/542f05e0-cdb0-11ea-ab5b-4565861b7506

(08)- https://www.elconfidencial.com/economia/2020-08-14/pandemia-derrumba-consumo-gas-espana-nivel-bajo_2713552/

(09)-http://www.ons.dz/IMG/pdf/CNT-1T-2020.pdf

(10)- https://www.elconfidencial.com/economia/2020-08-14/pandemia-derrumba-consumo-gas-espana-nivel-bajo_2713552/

(11)-https://www.mees.com/2020/8/7/news-in-brief/algeria-lpg-train-delay/305aa680-d8b1-11ea-9756-d91f69058e10

(12)-https://www.mees.com/2020/6/26/oil-gas/algeria-gas-exports-plumb-new-multi-decade-low/75be28a0-b7ae-11ea-83a6-c32a53bf2ec2

(13)-http://www.ons.dz/IMG/pdf/comptesv2016-2019.pdf