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LES A. E.

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le diplomate et le despote. Essai /Témoignage de Rabah Toubal. ACA / Editions El Qobia, Alger 2019. 636 pages.1.500 dinars.



Mille et un articles, publiés dans la presse écrite (privée et même publique) et électronique, dans 12 blogs, 15 pages facebook et sur son compte twitter, sous divers pseudonymes ou signés de son nom... tout cela pour «dénoncer» la dérive autoritariste d'un système et, surtout, d'un président de la République «qui avait levé les uns après les autres les pare-chocs constitutionnels institués contre ce genre de dérives graves».

Des articulets et des articles qui vont de 5 à 55 lignes. Une persévérance interprétée et présentée - par certains - comme un acharnement, voire de la rancune ou de la haine contre «Bouteflika, ses protégés, obligés et serviteurs zélés». Pas du tout, selon l'auteur ! Seulement, dit-il, mû par une inquiétude légitime pour le pays, «livré à un clan, sans scrupules, sans foi ni loi»... face à des signes forts annonciateurs d'un inévitable et proche naufrage.

Mais aussi un long combat contre une Administration dont le fonctionnement lui paraissait inadapté. Une administration qui, dit-il, «usait et abusait (depuis 1962) des passe-droits en faveur de certains privilégiés qui lèsent et entravent la carrière de leurs collègues non «pistonnés». Des situations, pour lui, admissibles, inacceptables. Voilà qui allait libérer et accélérer sa propension à l'écriture d'articles... Un rêve de jeunesse... mais il ne savait pas que le cauchemar allait commencer. On se souvient tous d'une grève (une première ! il est vrai qu'un Syndicat autonome des personnels des AE venait de naître, en juin 90... et, à l'époque il en «fleurissait» de toutes parts) entamée fin 1990, du temps de Sid Ahmed Ghozali, par les fonctionnaires des AE. Il venait de mettre en œuvre un nouvel organigramme, «en multipliant les postes et emplois supérieurs».

Bien sûr, il a occupé des postes à l'étranger... mais il finira - en raison de ses écrits dans la presse (signés ou sous pseudonymes divers...et sans autorisation de son administration...et ce à partir de 1993. Le premier «papier» est publié in Alger Républicain le 11 mars 1993 : une histoire de la diplomatie algérienne de «sa naissance en 1954»,à sa «panne depuis 1988» et en passant par la «grandeur et la décadence de 1962 à 1988»... et la présentation de «quelques éléments de réflexion pour une relance diplomatique». Rien que ça ! Il est vrai que les toutes premières années 90 ont été un véritable «printemps des idées» dans un pays «ouvert à tous vents»), tout particulièrement à partir de 2012, et après avoir subi bien des «sanctions» disciplinaires - retraité avant l'heure... en 2013. C'est vrai, il avait la soixantaine et plus de 30 années de carrière... mais cela n'était pas une raison valable. Cela ne l'a nullement découragé, et il portera son affaire devant les tribunaux (Administratif, Conseil d'Etat)... Cela le transformant en «diplomate-blogueur» descendant, sans interruption en flammes Bouteflika, dénonçant les abus, les méfaits et les forfaits du «clan». Le Hirak est venu lui donner un second souffle !

L'auteur : Né en 1953 (Jijel). Etudes primaires et secondaires à Skikda. ENA, section diplomatique. Aux AE de 1979 à 2013. Retraité. Auteur de trois autres ouvrages dont l'un sur son enfance à Skikda.

Table des matières : Avant-propos / Première partie. Avant 1999 : Le doute / Deuxième partie.1999-2004 : L'espoir / Troisième partie. 2004-2009 : La déception / Quatrième partie. 2009-2013 : La colère / Cinquième partie. 2013-2019 : Le naufrage / Conclusion / Annexes / Bibliographie.

Extraits : « L'histoire de Bouteflika est à la fois celle d'un nain qui se prenait pour un géant... celle d'un mégalomane, d'un accident qui a duré trop longtemps...» (p. 5) - «Revanchard, rancunier, froid calculateur, plutôt fourbe qu'intelligent, il était dévoré par une ambition aveugle, au service de laquelle il avait mobilisé sa propre famille qu'il a fatalement fini par entraîner dans sa chute brutale» (p. 596)

Avis : Quand on en a «gros sur le cœur», le résultat ne peut être qu'un gros ouvrage. Une plongée dans l'univers diplomatique et politique qui demande de la patience et du souffle pour aller jusqu'au bout... Présentation des textes presque en vrac rendant la lecture très difficile mais... Au fil des pages, quelques révélations...

Citations : «L'amour excessif du pouvoir rend aveugle, fou et fait commettre à l'homme, ignorant ou savant, les pires des crimes» (p. 23). «Tragique fin de règne d'un homme qui s'est lourdement trompé sur ses capacités physiques, mentales et intellectuelles, qui aurait pu finir dans la gloire mais qui a préféré les feux brûlants du pouvoir...» (p. 597).



L'âge d'or de la diplomatie algérienne. Essai de Ardavan Amir-Aslani. Editions Media-Plus, Constantine, 2016. 237 pages, 1.250 dinars. (Déjà publié. Pour rappel).



De juillet 1962 et la fin des années 1970, c'est l'«âge d'or de la diplomatie algérienne». Vrai ou faux, mais l'expression est désormais retenue et validée par pas mal d'acteurs, de témoins et d'historiens concernant la politique extérieure menée par l'Algérie.

Il est vrai, et on a tendance à l'oublier avec notre sale manie «zaïmiste», cette politique avait été «expérimentée» par bien d'autres personnes, tout particulièrement les «diplomates clandestins» militants du Fln et fonctionnaires du Gpra...tous ceux qui ont amené ou forcé la puissance coloniale à reconnaître l'indépendance du pays. Des jeunes qui, au départ, n'avaient aucune expérience des instances internationales. Ce qui a fait écrire à l'auteur que «Paris a sous-estimé la portée des initiatives de la «cellule diplomatique du Fln» (dont la démarche reposait pourtant sur une stratégie non secrète, celle tracée par le Congrès de la Soummam). Il y avait déjà huit missions implantées à travers le monde et le Dr Lamine Debaghine en fut, dès novembre 1955, un des premiers moteurs. D'autres noms lumineux : Yazid, Mehri, Tewfiq El Madani, Khemisti, Benyahia, Brahimi, Krim Belkacem, Saâd Dahleb, Abbas, Ben Khedda... et d'autres, et d'autres.

L'«âge d'or» s'inscrit dans un contexte dominé par la guerre froide, la dégradation des relations franco-algériennes et par deux conflits au Moyen-Orient - la guerre des Six-Jours en 1967 et la guerre du Kippour en 1973. C'est également l'époque des grandes figures révolutionnaires, d'Ernesto Che Guevara (Cuba) à Nelson Mandela (Afrique du Sud) en passant par Amilcar Cabral (Guinée-Bissau et Cap-Vert) ou encore Samora Machel (Mozambique)... et Alger qui devient la «Mecque des révolutionnaires» et capitale du Tiers-monde

Des revers, il y en eut... mais aussi des succès ! Avec d'autres nouveaux noms... même si Boumediène y avait son domaine réservé, les instances arabo-musulmanes en particulier. Il y a donc Bouteflika (on ne va quand même pas l'effacer» de nos mémoires ?) mais, il y a aussi A. Benhabylès, O. Oussedik, S. Mahroug, L. Yaker, Lamine Khene, Driss Djazairi... sans oublier tous ceux qui, en fait, étaient les vrais «laboureurs» de la vie diplomatique.

Pages (169 à 173) à étudier : celles consacrées à la rencontre (tenue secrète assez longtemps, et elle sera à l'origine du rétablissement des relations diplomatiques entre Alger et Washington le 12 novembre 1974) de H. Boumediène avec R. Nixon, H. Kissinger et le général Brent Scowcroft, à la Maison Blanche, en 1974 (Après l'AG extraordinaire des Nations unies ouverte le 10 avril 1974 avec un discours du président Boumediène sur le N.o.e.i., au nom des pays non-alignés... et AG dont la présidence va échoir à l'Algérie qui avait réussi le tour de force de mettre au ban de la communauté onusienne l'Afrique du Sud raciste et d'accueillir, le 13 novembre à la tribune, Yasser Arafat).

La mort de Houari Boumediène ne va pas changer les fondamentaux. Chadli Bendjedid «conscient de la trace que laisse l'Algérie sur la scène internationale» va, plusieurs fois, affirmer sa fidélité à la politique étrangère de son prédécesseur... et, à l'instar de Boumediène, il continuera de choisir ses ministres parmi les diplomates (après s'être «débarrassé» de A. Bouteflika, candidat à la présidence, mais...) : Benyahia, Bouhara, Bessaieh, Bakhti Nemiche,... Quelques coups d'éclat... et des drames (comme la disparition tragique de M-Seddik Benyahia et de cadres de valeur qui va marquer la fin de l'apogée de la diplomatie algérienne), mais les problèmes intérieurs vont bientôt prendre le dessus... entravant ainsi les desseins internationaux.

L'Auteur : Français d'origine iranienne. La cinquantaine. Docteur en droit, avocat (d'affaires) au barreau de Paris, conseiller de grandes firmes européennes, essayiste et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient, s'intéressant beaucoup à la théologie comparée et, de manière générale au fait religieux. Enseignant à l'Ecole de Guerre économique. Auteur de nombreux ouvrages portant sur les relations internationales... et Colonel (de réserve) de la Gendarmerie nationale.

Extraits : «Entre 1956 et 1962, les émissaires du Fln, puis du Gpra, ont fait irruption sur la scène internationale, conjuguant l'art de la guerre et l'art de la négociation. Souvent durs, retors dans les discussions, ils se sont toujours révélés habiles à exploiter les situations. Ils ont posé les fondements de la «diplomatie à arêtes vives», creuset de la future politique étrangère de l'Algérie souveraine...» (p. 36). «Il convient de relativiser l'influence soviétique sur la diplomatie de Houari Boumediène... L'alignement officiel d'Alger sur certaines positions diplomatiques de Moscou, et réciproquement, doit être nuancé. C'est un alignement de nature idéologique, une posture souvent dépassée par un pragmatisme que le régime algérien n'a jamais négligé» (p. 218).

Avis : Le ministère français des Affaires étrangères et plusieurs personnalités algériennes ont mis leurs archives à la disposition de l'auteur. A lire par les anciens diplomates pour se souvenir, par les nouveaux pour apprendre, et par tous les autres pour comprendre.

Citations : «Les rapports entre Paris et Alger oscillent entre attraction et répulsion» (p. 40). «L'âge d'or de la diplomatie algérienne a été ce savant dosage entre quelques principes idéologiques obstinément revendiqués et un pragmatisme impérieux, machiavélique ou calculé» (p. 46). «Grand vieux jeune homme mince et fin, austère, secret, bourreau de travail aimant la solitude» (Portrait de Houari Boumediène par un haut fonctionnaire français, 1965, p. 73). «Dénué de scrupules, doté d'une intelligence aiguë et d'une grande ambition capable de risquer sa mise d'un seul coup, M. Bouteflika est un négociateur redoutable...» (Note de Maurice Schumann, Mae français, 1969, p. 101). «Nous n'avons aucun choix à faire entre deux colonialismes ou deux impérialismes. Nous les avons répudiés tous deux et à jamais» (Houari Boumediène, discours, extrait, 13 avril 1971, p. 121). «Pour le président Boumediène, les relations internationales sont d'abord, en toutes circonstances, un champ de force» (p. 198).