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CE QUE PARLER VEUT DIRE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Sociolinguistique du Maghreb. Cours de Ibtissem Chachou (Préface de Dalila Morsly). Hibr Editions, Alger/El Biar 2018, 650 dinars, 235 pages



Attention ! Ce n'est nullement un essai. C'est tout un cours d'initiation à la sociolinguistique... destiné, d'abord et avant tout (mais pas que !) à former les étudiants à la connaissance et à l'analyse des problématiques sociolinguistiques du Maghreb, et de faire acquérir les outils théoriques et méthodologiques fondamentaux pour permettre aux étudiants d'appréhender les faits de langue en contexte plurilingue magrébin dans leur complexité (car en plus du cours, il y a des textes proposés à l'étude en travaux dirigés, les TD).

De nombreux travaux ont déjà été consacrés à d'autres pays, à d'autres régions, à d'autres langues et langages : Catalogne (Espagne) et catalan, Occitanie (France) et occitan, Suisse... mais aussi au Maghreb : avec Sini Chérif, Dourari, Ait Chalal, Arkoun, Boudebia-Baala, Chachou (déjà !), Chaker, Elimmam, Marouf, Morsly, Taleb Ibrahimi K., Ziamari....

En quelque sorte, le travail présenté fait, parallèlement, le point de la situation... au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), en s'appuyant sur le continuum socio-anthropologique, historique «excluant de fait la Mauritanie, la Libye et le Sahara Ocçidental») et linguistique tout en montrant au public (autre qu'universitaire spécialisé) comment la connaissance est transmise (par les enseignants) et cumulée (par les étudiants et les lecteurs). Il y a, bien sûr, comme dans tout cours qui se respecte et qui respecte la mission originelle de l'enseignant, un va et vient entre la sociolinguistique générale qui apporte aux étudiants les outils et les lectures de base et la sociolinguistique du Maghreb qui ouvre sur les questions qui les concernent au premier chef.

Une tache bien difficile mais pas insurmontable, tout particulièrement après avoir cerné les objets d'étude de la sociolinguistique qui sont divers et nombreux : les contacts de langues, leurs usages, variations, évolutions, changements, fonctions, statuts, etc., ainsi que les attitudes et les jugements que les locuteurs émettent à leur égard.

Extraits de la table des matières :

-La situation sociolinguistique du Maghreb : Eléments de contextualisation.

-La situation sociolinguistique en Algérie, en Tunisie et au Maroc.

-Les imaginaires des langues : Attitudes et représentations.

-Retour critique sur les notions de diglossie (ndlr : situation de bilinguisme d'un individu ou d'une communauté dans laquelle une des deux langues a un statut sociopolitique inférieur) et de continuum.

- La variation sociolinguistique : Problèmes d'identification des variétés de langue.

- Domination des langues dans les travaux universitaires.

-La sociolinguistique urbaine au Maghreb, un courant en émergence.

-Références bibliographiques

L'Auteure : Née en juin 1980 à Oran, professeur en sciences du langage (Université de Mostaganem). Plusieurs articles (et deux ouvrages scientifiques, dont un collectif), sur le contact des langues dans le domaine médiatique, le statut des langues en Algérie et la question des urbanités socio-langagières au Maghreb.

Extraits : «L'arabe symbolise le rattachement à l'arabité et à l'islamité ainsi que le ralliement à une identité mythifiée car cultivée à la faveur du panarabisme et du nassérisme. Ces deux mouvements idéologiques se sont construits autour de référents symboliques communs. Cela s'est fait au détriment des spécificités linguistiques, culturelles et historiques des pays dont la politique a été influencée par ces mouvements. Outre les expressions maternelles, le français a fait l'objet d'une ambivalence oscillant entre rejet, notamment dans les discours et les textes officiels, et maintien dans certains secteurs socio-économiques qui continuent à recourir au français» ( p 53), «Au Maghreb.....(chez le locuteur en insécurité linguistique et identitaire à l'égard de sa langue, de sa culture et de tout ce qui constitue son identité complexe et évolutive) le premier modèle est celui de l'identité arabo-islamique qui est jugée plus «valorisante» que l'identité maghrébine, algérienne, marocaine ou tunisienne. Le second modèle amène le sujet maghrébin à s'identifier à l'identité pan-berbère associée à l'espace mythifié de la «Numidie ancestrale». Les deux modèles sont travaillés par des fantasmes et des mythes en déconnexion avec la réalité, qu'elle soit historique ou contemporaine» (p 73), «A travers le cinéma, la chanson et les nouvelles expressions culturelles urbaines de manière générale, ce sont d'autres dimensions de la ville qui s'affichent et d'autres significations qui sont à décrypter» (p 195)

Avis : Un ouvrage destiné d'abord et avant tout aux étudiants et aux spécialistes en sociolinguistique. N'empêche, avec de la patience, tous les autres (curieux intellectuellement) y trouveront pas mal de grain à moudre. D'autant que le sujet est d'actualité et le sera encore plus.Ce qui est très louable, c'est de voir, enfin, un éditeur ... privé de surcroît, éditer des documents de recherche universitaire et pas seulement des romans et des mémoires d'anciens combattants.

Citation: «Une lecture profitable doit nécessairement s'accompagner d'écriture intelligente» ( 27)



AU FIL DES JOURS:

1/ Ouvrage paru à l'étranger : «Anti-manuel de communication politique». Renaud Czarnès. Editions Kawa. 19,90 ?. En fait, on voit comment les politiques ratent leur communication : Contrairement à ce qu'ils laissent paraître, les hommes et les femmes politiques veulent-ils vraiment conquérir le pouvoir ? Et une fois en place, veulent-ils vraiment le conserver ? On finirait par en douter en lisant l'hilarant ouvrage. Car l'incroyable accumulation de bourdes, d'erreurs et de gaffes qu'il a recensées le montre : bien souvent, celles et ceux qui nous gouvernent agissent de la pire des manières qui soit. Les médias, eux aussi, ont leurs responsabilités. Parce que les télés, les radios et les journaux sont des entreprises de presse, certains d'entre eux ont tendance à privilégier le spectaculaire, à donner priorité aux mauvaises nouvelles, à rechercher le «pousse-au-clic»... «Dans nombre de rédactions, note justement Czarnès, le but est désormais moins d'informer que de plaire...»

2. Le général français Dominique Delawarde (qui a été , dit-il, en charge de la cyberguerre à l'état-major interarmées de planification opérationnelle et qui affirme avoir «beaucoup travaillé sur le dossier algérien» lorsqu'il était en fonction et avoir continué «de le suivre depuis» ) a affirmé, dans une tribune publiée dernièrement dans un média français, qu'il ne croit pas à la «spontanéité de tous les événements qui agitent aujourd'hui la rue algérienne». «Aucun des deux grands camps qui s'opposent aujourd'hui dans le monde ne peut être indifférent à ce qui se passe en Algérie. L'ingérence étrangère y est donc plus que probable. Le contraire serait surprenant», écrit cet ancien patron du renseignement électronique français. Le général Delawarde ne manque pas de citer, entre autres, les «déclarations enflammées de l'inénarrable Bernard Henry Lévy qui constituent, à elles toutes seules, un marqueur indiscutable qu'une opération de changement de régime est en cours»». «Il faut se souvenir de son engagement constant et toujours théâtral dans ce type d'opération en Bosnie, au Kosovo, en Syrie, et même au Venezuela dernièrement» , met-il en garde, tout en faisant remarquer que «la teneur des déclarations des grands leaders de la coalition occidentale sur cette affaire algérienne montre clairement, jour après jour, qu'ils apprécieraient un changement de gouvernance en Algérie et l'avènement d'un nouveau pouvoir qui leur serait plus favorable (Nous aussi mais dans notre intérêt avant tout)

Il se garde d'émettre «le moindre pronostic» sur la situation future en Algérie. «On ne peut dire qu'une chose : bonne chance Algérie !», a-t-il conclu. Merci, mon général. Et, surtout, ne vous en faites pas. Conspiration ? Complot ? La foule algérienne est si immense et si insaisissable que les parties «complotistes» ou «conspirationnistes» se retrouvent très vite absorbées et neutralisées. Les seuls complots dangereux ne peuvent venir que des cercles du pouvoir (profond ou officiel), de leurs amis oligarques en place ou de parti(e)s n'arrivant pas à «avaler» la pilule du changement.

3. Il y a, en ces temps de perturbation politique, chez certains analystes et observateurs politiques algériens, une propension réellement énervante à revenir sur le passé beaucoup plus pour redorer leur blason, peut-être terni quelque part, que pour rendre service à la société. Ainsi, nous avons un politologue qui ne cesse ?à travers des affirmations parfois exagérées ou quasi fausses- de vouloir remettre en selle l'ancien président Liamine Zeroual, alors que celui-ci n'a cessé de répéter qu'il était désormais très bien là où il se trouvait. Idem pour ce qui concerne Hamrouche, cette fois-ci l' «invitation «venant» d'un «politicien», grand «corrompu» devant l'éternel.

4. Citation de la semaine : «Il n'y a pas de plan concerté pour manipuler les individus. Il n'y a que l'être humain dans sa plus complexe psychologie, ses plus fausses perceptions et son plus intense égocentrisme» (Anys Mezzaour, «Entendu dans le silence». Roman (c) Casbah Editions, Alger 2018)

5. Pourquoi JCDecaux, n°1 mondial de la communication extérieure et de la publicité dans les transports se retire-t-il du marché algérien ? Une des réponses, la plus vraie à mon sens. Un aveu (coupable quelque part dans l'obtention des marchés ?) qui vient à point au moment où des comptes vont, peut-être, «se régler» : «Notre retrait n'est pas lié à la conjoncture économique morose (...) Et il est encore moins lié au contexte politique actuel. Il est seulement lié à la situation de notre marché, celui de la publicité, qui manque aujourd'hui d'un cadre réglementaire solide ainsi que de transparence». En réalité, de cadre réglementaire, il n'y en a pas du tout... et JC Decaux (et ses amis) en ont bien profité. Pour l'instant, au revoir... et à bientôt.

6. Que disait donc Jacob Cohen à propos des «manifestations populaires» (entretien in «Algérie Patriotique» du 18 mars) : «Je ne crois pas qu'elles feront plier le pouvoir actuel. Sur le plan de l'histoire universelle des communautés étatiques, l'oligarchie sort toujours victorieuse dans les luttes qui l'opposent aux peuples. Une révolution «réussie» amène seulement le remplacement d'une oligarchie par une autre. L'oligarchie algérienne a trop d'intérêts à l'intérieur du pays comme à l'extérieur pour laisser échapper sa mainmise et confier les rênes à de nouveaux venus. Elle lâchera suffisamment de lest en fonction de la détermination du peuple pour donner le change, quitte à reprendre d'une manière ou d'une autre et le moment venu les concessions faites. C'est une constante historique qui intrigue et fascine»... Une réflexion de Paul Bourget (Ecrivain français, 1852-1935) me revient : « Une Révolution est toujours inaugurée par des naïfs, poursuivie par des intrigants, consommée par des scélérats.»