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L'argent détourné peut-il..., doit-il être restitué au peuple algérien ?

par Cherif Ali

Soupçonnées de «corruption» et de «transfert illicite de capitaux vers l'étranger», 12 personnalités du monde des affaires font, depuis dimanche dernier, l'objet d'une interdiction de sortie du territoire national (ISTN) et de remise de leurs passeports au greffe du tribunal de Sidi M'hamed, pour une période non déterminée.

L'ouverture d'enquêtes sur ces personnalités et d'autres, impliquées dans les transferts illicites de capitaux et des affaires de corruption est une revendication populaire, mais aussi des hommes et des femmes de loi depuis le début du mouvement de protestation citoyenne.

Aujourd'hui, les raccourcis sont faciles à prendre pour dire que la justice n'était pas libre, qu'elle répondait aux ordres «venus d'en haut» et que les protégés du système agissaient en toute liberté. Pourtant, opinion publique et médias ont de tout temps dénoncé de telles pratiques. Mais ni les juges ni les avocats n'avaient «marché» auparavant pour les démasquer. Ces derniers, tout au plus, quittaient des salles d'audience en signe de protestation contre «des abus» de ceux qui jugent, comme l'avait noté un journaliste.

Pour l'heure, tout le monde s'interroge: « L'argent détourné, peut-il revenir, un jour, en Algérie ? »

Certains l'affirment : «Il n'y a, quasiment, aucun espoir que l'argent détourné par des élites algériennes, corrompues, puisse un jour revenir profiter au peuple ». La preuve, disent-ils « les milliards détournés par Abdelmoumen Khalifa, dorment à l'étranger, impunément » !

Cette question n'en reste pas moins intéressante, dès lors qu'elle restitue le sentiment partagé par la majorité des Algériens : « il faut mettre une croix sur l'argent volé».

Autorisons-nous alors une autre question, peut-être moins ardue, qui consisterait à demander où est passé l'argent détourné?

Commençons par ce hit-parade des fortunes des dictateurs arabes déchus :

- Mouamar Kadhafi: 150 milliards de dollars

- Hosni Moubarak : 70 milliards de dollars

- Abdallah Salah : 32 milliards de dollars

- Zine el abidine Benali : 07 milliards de dollars

- Leila Trabelsi : 1,5 tonnes d'or volé.

Pour le seul Kadhafi, il y a lieu d'ajouter également les résidences et les immeubles achetés, notamment à Londres, par ses fils. Le parquet de Paris a lancé une enquête pour localiser d'éventuels avoirs placés en France. La fortune totale des Kadhafi, s'élèverait, en fait, à 120 milliards de dollars accumulés en trente ans ; ce chiffre correspondrait au tiers des 450 milliards de dollars de revenus issus du pétrole et du gaz exportés par la Lybie, entre les années 1980 et aujourd'hui ; un tiers qui disparait mystérieusement des comptes de l'Etat.

La grande question que tout le monde se pose concernant la Libye de Kadhafi, c'est celle de connaitre «la frontière entre l'argent privé et l'argent public?» C'est la théorie des vases communicants en fait.

Même les sociétés bénéficiant des placements du fonds souverain Libyen, ne savent pas s'il s'agit d'investissements de la part de Tripoli ou de Kadhafi. Ce fonds, convient il de le rappeler, gère plus de 20 milliards de liquidités.

Poursuivons ce florilège avec l'affaire des « biens mal acquis » qui concerne le patrimoine en France de trois chefs d'Etat africains, qui sont le président équato-guinéen Téodoro Obiang Nguema, le congolais Denis Sassou Nguesso et le gabonais Omar Bongo (décédé en juin 2009). Il est reproché aux trois chefs d'Etat les conditions d'acquisition d'un impressionnant patrimoine immobilier acquis avec de l'argent public détourné, évalué, présentement, à 160 millions d'euros. Dans le détail, cela représente 39 propriétés, 70 comptes bancaires et de nombreuses limousines de luxe !

A la base des enquêtes, des ONG comme Transparency International ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales, ont recensé tous ces biens que, décemment, des chefs d'Etat africains n'auraient pu s'offrir au vu de leurs émoluments officiels. Sinon, comment expliquer qu'un homme qui gagne 20 000 euros par mois, peut être en mesure de payer, rubis sur ongle, une des plus belles villas de la côte d'Azur, évaluée à près de 240 millions d'euros, soit l'équivalent de 2000 ans de salaire annuel de président ? Comment aussi tel autre, peut faire un chèque de 392 000 euros pour payer à sa compagne, son énième coupé sport de l'année ?

Voilà donc, où va majoritairement, l'argent détourné il est abrité entre autres, dans les paradis fiscaux, lieux idoines «pour planquer l'argent sale», mais aussi investi dans une variété d'activités légitimes qui assurent à ses détenteurs, non seulement une couverture pour le blanchiment de l'argent, mais un moyen sûr d'accumuler du capital, en dehors des activités prohibées. Il sert aussi à acquérir des villas et des appartements en Espagne et en Grèce où en plus de la bulle immobilière, sévit la crise.

Cet argent, peut-il... doit-il revenir un jour ?

Oui, à en croire le combat des Transparency International, Sherpa, Survie ou encore l'Association Tunisienne pour la Transparence financière (ATTF) composée de médecins, avocats et universitaires ; il faut agir dans ce sens, auprès des Etats concernés et des banques internationales et mettre la pression, en permanence et ne pas baisser les bras même si le secret bancaire suisse à encore de belles années devant lui avant d'être levé. Une votation organisée dernièrement dans ce pays a été favorable à son maintien.

Les Etats ne récupèrent que des miettes, comme l'Irak qui n'a pu rapatrier que 2 milliards de dollars, au prix, quand même, d'interminables batailles juridico-diplomatiques. Les détenteurs des comptes frauduleux numérotés, bien connus des banques, restent dans l'anonymat, mais leurs biens immobiliers, de par le monde, sont connus et peuvent être saisis, s'il s'avère qu'ils ont été acquis avec « l'argent détourné des peuples ».

De ce qui précède, nous avons un petit aperçu, un tout petit aperçu de l'argent détourné et de ses lieux de chute de prédilection. La liste est malheureusement plus longue à telle enseigne que le journal entier ne suffirait pas à abriter les noms des corrompus de notre seul continent et de «leur argent» planqué en Suisse, en France, ou encore aux Bahamas dans les fameux comptes off-shore. Revenons, maintenant, si vous le voulez bien à cette question de voir un jour l'argent spolié revenir dans les caisses de l'Etat.

Quelques exemples de l'étranger peuvent être donnés et entretenir quelques espoirs, quant à la possibilité de sa restitution aux Etats :

1-Nous commencerons tout d'abord par l'exemple de Susane Thabet qui n'est autre que la femme du président déchu Hosni Moubarak. Pour éviter toutes poursuites, elle a remis une partie de sa fortune en autorisant le chef de «l'Autorité des gains illicites» du Caire, à retirer l'argent de ses comptes et de vendre une villa lui appartenant. Ses avoirs ont été remis à l'Etat. Cette femme de 70 ans a été accusée de s'être, illégalement, enrichie en abusant de la position de son mari président.

2-Autre exemple, les banques suisses ont délivré au gouvernement Nigérien, un chèque d'un milliard de dollars, au terme d'un épilogue amiable d'une bataille judiciaire ente ces autorités et la Suisse, suite au décès de Sami Abacha, l'homme qui a dirigé le pays d'une main de fer pendant cinq ans et qui a délesté le trésor public, d'au moins, 2,2 milliards de dollars.

3-L'exemple aussi de Moussa Traoré : après six ans d'instruction, les cantons suisses de Vaud, Zurich, Genève et Neufchâtel, concernés par les dépôts contestés, se décident à reverser au gouvernement de Bamako 2,4 milliards de dollars, saisis sur divers comptes.

4-La même course de fond attend les autorités de la République Démocratique du Congo qui espèrent récupérer les 3,4 milliards de dollars identifiés en Suisse, comme appartenant à l'ex président Mobutu Sese Seko.

5-Un audit des comptes de Konan Bédié autre président africain déchu, a révélé l'existence de 3 à 4 millions de dollars. Ces affaires et d'autres, ont ouvert des brèches dans l'hermétique système bancaire suisse. Des hommes politiques et des ONG comme celles citées plus haut, élèvent la voix pour dénoncer la collision entre banques et dirigeants véreux, d'Afrique et d'ailleurs.

Sur les 820 milliards de francs d'avoirs étrangers en Suisse par exemple, 250 milliards proviennent des pays d'Asie, d'Amérique Latine et d'Afrique, dénonçait Jean Ziegler. Dans 90 % des cas, il s'agit d'argent volé aux peuples, les plus pauvres de la terre.

Peut-on, pour autant, parler de début de moralisation ?

Peut-être bien au regard des exemples qui ont été cités.

Désormais, même l'ONU s'en mêle, car rappelez-vous, le conflit libyen n'était qu'à ses débuts, lorsque le conseil de sécurité a décidé à l'unanimité, le gel des avoirs de Kadhafi et de son immense fortune, tirée des ressources pétrolières.

Ou encore, l'exemple de Laurent Gbagbo, le président Ivoirien transféré au TPI depuis, dont la fortune est estimée à 5 milliards d'euros (3,35 milliards pour lui et 2,749 milliards pour sa femme Simone).

Et même le FMI, réagit au motif que «les détournements renchérissent en moyenne de 10 % à 20 % les projets de développement des Etats où sévit la corruption ».

L'argent détourné, peut-il revenir un jour? L'Algérie d'ailleurs, comme tous les pays demandeurs n'obtiendra, probablement pas, ou du moins en intégralité, le retour des sommes illégalement exportées, détournées, non déclarées etc., à moins de persévérer dans les procédures et de multiplier les actions judiciaires contre les banques et les paradis fiscaux, mais, ce qu'il faut retenir, dès à présent, c'est que les transferts illégaux deviennent de plus en plus difficiles, en raison des procédures de surveillance de l'argent sale et du blanchiment, mises en place en Europe et aux Etats unis.

A tout cela, est venu s'ajouter l'introduction de masses financières d'origine mafieuse, dans l'économie légale. Ce qui a créé des zones communes, de plus en plus grandes, entre les marchés criminels et les marchés légaux et ainsi, des pans entiers de l'économie en sont devenus indépendants. Des millions de travailleurs ont leur sort lié à ces marchés, par devers eux. Avec la crise financière mondiale, certains analystes affirment que «ce ne sont plus les mafias qui cherchent les banques, mais c'est les banques qui cherchent l'argent des mafias».

Un marché criminogène, prenant sa source du vol, du racket, de l'informel. Il se met en place, partout dans le monde encourageant le blanchiment d'argent, la corruption et l'évasion fiscale. Tout cet argent navigue comme un poisson dans les eaux de la finance dérégulée et la politique peu regardante.     

La mise en place de l'observatoire de la corruption et la déclaration obligatoire du patrimoine des responsables, sont des instruments qui pouvaient donner quelques résultats, au-delà du maigre sentiment de consolation qui émane de leur existence même. Mais force est de constater qu'ils n'ont servi a rien, si ce n'est donner une image d' « honorabilité et intégrité » aux pouvoirs publics qui s'en « gargarisaient » !

En définitive peut-on dire qu'il est difficile de faire revenir l'argent détourné compte tenu des difficultés qui tiennent :

Du secret bancaire des banques dont on a parlé supra ? De l'absence d'une volonté politique ? Des difficultés procédurales à engager ? Du fait qu'une association de lutte conte la corruption, ONG ou organisation internationale, soit-elle, ne peuvent engager des poursuites en matière de corruption, car c'est un domaine réservé au parquet ? Parce que les preuves présentées aux banques, aux parquets étrangers ne sont pas probantes ?

Et pourtant, il existe bel et bien un appui juridique international consistant en « un dispositif consacré dans la convention des nations-unies qui met en œuvre le droit à la restitution» oui mais, il n'a jamais été mis en œuvre par l'ONU, «ce vieux machin », pour paraphraser qui vous savez.

Faut-il agir ou baisser les bras et partant, encourager davantage la corruption et faciliter la fuite des capitaux ?

Nous n'avons ni la qualité, encore moins la prétention de développer le moindre «discours de la méthode », laissant le soin aux institutions publiques d'engager les mesures et autres mécanismes utiles, en ces temps où «fakhamet echaab » a décidé de demander des comptes à ceux qui ont (mal) géré en son nom 20 années durant !