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A la recherche de l'Homme perdu

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Nomade brûlant. Roman de Amina Mekahli. Anep Editions, Alger 2017. 750 dinars, 222 pages



Une histoire compliquée d'un tout jeune enfant de nomades, ni orphelin, ni abandonné, «enlevé» à ses parents biologiques durant la guerre de libération pour être «adopté»... «enlevé» - grâce (?) à un jeune soldat aux yeux bleux (l'officier de Sas), l'ayant choisi au détriment des autres de sa classe... une véritable «roulette russe»- par une famille européenne de France. Plutôt par une institutrice stérile, raciste sur les bords et nymphomane (Claire). Le temps passe, mais l'enfance est là, avec ses souvenirs et avec ses déchirures profondes. On n'arrache pas, impunément, une jeune pousse de sa terre naturelle. Bien sûr, les fruits paraissent beaux, tout particulièrement, au jardinier (la mère adoptive). Ainsi, le hasard a fait que l'enfant devenu grand s'est transformé en illustre médecin psychiatre... et comme tout bon psy', il ne manque pas de s'auto-psychanalyser.Il se découvre apatride, exilé, damné, ayant changé de nom et de langue, oubliant (obligé !) presque tout : sa mère biologique (Dhawya) qui, elle, ne l'a pas oublié, sa dune, son désert, son palmier...toute son identité profonde.

C'est là tout le drame d'un pan tragique de la colonisation et de sa «lutte» contre les combattants pour la libération du pays. En enlevant leurs enfants pour les transplanter ailleurs. Un pan qui commence, seulement, à être abordé, écrit et décrit par des Algériens (voir le dernier ouvrage de Slimane Zeghidour... édité en France et présenté, dernièrement, in Médiatic) .Celui des «Centres de regroupement» !

Car l'enfant des étoiles et du soleil a connu, avec ses parents et bien d'autres nomades, de véritables camps de «concentration» ne disant par leur nom : «attachés comme des chiens avec des chaînes longues comme un village et hautes comme un mirador»... Des prisons à ciel ouvert («limité par des frontières, des vraies, par-delà desquelles la mort, seulement, guette ceux qui osent les franchir sans autorisation..»).. que même les anciens officiers (des Sas) n'ont osé aborder. Trop de remords certainement. Comme le personnage de Serge, l'officier qui a organisé le «kidnapping».

A la fin, il y a bien un retour au pays... mais le «regroupement», volontaire cette fois-ci, ne s'est pas passé comme prévu...

L'Auteure : Née à Mostaganem. Chroniqueuse et poète. Premier roman, «Le secret de la girelle»

Extraits : «Je n'y comprends rien à ces phénomènes de mode. Tous ces types sont pareils pour moi ;ils utilisent la réalité des autres pour devenir célèbres et puis hop ! Ils se coupent de cette même réalité en s'en éloignent le plus possible en faisant appel à nous pour faire barrière entre eux et ceux qui les aiment» (Un agent de sécurité, p 16), «Le mode de vie nomade, de la plus grande partie de la population, a été le plus grand obstacle que la France ait rencontré en Algérie, pour asseoir sa domination et prendre possession des meilleures terres cultivables...Le première étape a été de tenter de déstabiliser ces nomades en modifiant leurs modes de vie ancestraux» (p 138),«Les camps de regroupement...n'ont fait qu'achever le processus de «dépossession» commencé en 1830» (p 140), «La France ne nous a pas seulement enfermés dans des camps, nous et nos familles, non ! Elle a enfermé l'Algérie, tout entière, pendant 130 ans dans son passé avec ses ancêtres. Pendant 130 ans, personne n'a eu de présent et encore moins de futur, personne n'a évolué normalement, comme l'a fait le reste du monde entretemps. Et, nous voilà, aujourd'hui, décalés et tiraillés entre ces ancêtres qui nous ont quand même aidés à survivre à l'horreur et un avenir qu'on ne sait pas dessiner. Et, c'est le pauvre présent qui trinque et qu'on veut fuir» (p 200)

Avis : Ecriture au parcours «nomadisant», difficile à suivre tout particulièrement au début. Un véritable cours de psy' clinique ! Un peu trop, peut-être ?

Citations : «Brûler son identité n'est pas du tout facile à faire, c'est un suicide plus laborieux, plus lent et plus définitif que la mort elle-même. Mais brûler l'identité d'un peuple est le crime ultime : celui qui tue par-delà la mort elle-même» (p69), «Le désert, c'est un peu comme Dieu, personne ne demande ce que c'est, car tout le monde croit le connaître. C'est pratique, c'est comme Dieu : tu n'as rien à expliquer . Sans doute parce qu'il est, lui aussi, grand devant la douleur des hommes» (p 80), «Nous utilisons souvent des expressions entières pour dire de petites choses insignifiantes...C'est cela aussi le mystère de notre langue. Les sens cachés, suggérés, insinués, les évocations subtiles. Notre langage est un exercice du mystère» (p 87)



Le Général K. Roman de Mustapha Yahaoui. Editions Paper Library Art, Constantine 2017. 800 DA. 307 pages



Une histoire se déroulant dans un pays, l'Algérie, meurtrie par une «guerre civile» (en fait, une lutte sans répit contre le terrorisme islamiste et ses dérivés sanguinaires) et n'ayant plus qu'un Etat au bord de l'effondrement... et avec des services de sécurité (surtout des personnages rivalisant en grades et en Cv «historiques») traversés par des courants et des clans passant bien plus leur temps à se court-circuiter et à se faire la guerre qu'à agir frontalement contre le nouveau péril. Une histoire tournant autour d'un «héros» (manipulé) des services secrets, Mohsen-Al-Qasim, alias Mourad Mellali, chargé (??) d'infilter une bande de criminels, et qui a «déserté» avec armes, bagages et compagnons. Trahison réelle ? Manœuvre pour régler des comptes ? Opération scabreuse ? Miroir aux alouettes ?

Parallèlement à l'enquête «officielle» (qui a condamné par avance le «déserteur»), il y a un autre «héros»... le fameux général K., un ancien des services à la retraite et, par ailleurs, protecteur de toujours du «déserteur» . Il est appelé à la rescousse pour démêler l'écheveau.

On débouchera sur une histoire de complot fomenté par un groupe d'hommes «assoiffés de pouvoir et de sang et d'affaires juteuses», sans foi ni loi, faisant appel à toutes les les formes de violence pour déposséder, ruiner et acquérir. D'hommes peut-être trop habitués aux avantages du pouvoir ne voulant pas le lâcher, ou voulant se l'approprier. Depuis bien longtemps, très longtemps, trop longtemps. Qui doivent et qui seront éliminés...le système (ses parties les plus saines ou les moins compromises) n'acceptant pas les brebis galeuses. Mais que de crimes impunis et que de dégâts ?

L'Auteur : Diplômé de l'Ecole nationale supérieure de Journalisme de l'Universiété d'Alger, ancien journaliste («El Moudjahid»), participe à la création d'un des premiers journaux indépendants («Les Nouvelles de l'Est»)...et gestionnaire d'une Pmi de Chimie. Second roman après «La manipulation» (2013).

Extrait : «Nous vivons une drôle d'époque, une époque où même les héros deviennent inutiles, anachroniques et encombrants» (p 93)

Avis : Une histoire assez compliquée et des longueurs dans les dialogues, avec, parfois, des jugements politiques orientés ou des clichés comme «coup d'Etat du 11 janvier 1992», «guerre civile», «tous les journalistes ont un fil à la patte» ainsi qu'une (grosse) pincée de misogynie... Elle a le mérite (comme «1994» de Adlène Meddi) de vaincre sa peur de la «SM» (Ici, on y ajoutera le «Malg»), désormais traitée, enfin, normalement. Il serait intéressant pour l'auteur de continuer l'œuvre (romans policiers et d'espionnage) avec pour héros, le général K ou Mohsen... des gars,malgré tout, sympathiques.

Citations : «Il est préférable parfois de suivre le bon chemin en boîtant que le mauvais d'un pas ferme» (p 99), «En politique, il faut toujours s'attendre au pire, et rarement rien de bon» (p 125), «Il y a trois choses qu'il ne faut pas écouter : les politiciens, les femmes et les rumeurs»(p 133), «Il paraît que le gêne du bonheur existe, mais qu'il serait réservé aux femmes...et ça s'appelle le gêne des embrouilles» (p 189)



L'enfant de l'œuf. Roman de Amin Zaoui. Editions Barzakh, Alger 2017. 700 dinars, 232 pages



Un roman écrit à deux voix. Celle de Moul (diminutif de Mouloud), l'humain, ou tout du moins ce qui en reste ; celle de Harys (qui auarait préféré être appelé Quitmir), le caniche de compagnie (ou d'infortune). Deux «orphelins» de la société. Moul vit seul, son épouse Farida l'ayant quitté, sa belle-mère Sultana dont il était l'amant, décédée sans avertir, sa fille unique étant partie vivre sa vie ailleurs, un homme à l'aise matériellement mais déjà plus jeune, certes pas encore vieux, la cinquantaine encore, assez verte, malgré la sédentarité, la cigarette et le whisky à gogo, et au vu de ses exploits amoureux avec la réfugiée syrienne du dessous (sensuelle et bouleversée par la guerre, donc fragile) ou la vétérinaire... célibataire, soignant son chien.

Moul vit seul donc, se contentant de lire (la presse et les livres), d'observer les autres (de son appartement dominant les rues grouillantes de monde d'Alger), de chanter Cheikha Remiti ou Jacques Brel... et de parler à son chien...un animal presque humain. Un homme et son chien. Le premier incapable de s'attacher à un autre être humain et le second vivant au rythme des besoins et des sentiments de son maître... et ayant, lui aussi, des penchants de jouisseur... aimant les chiennes de la véto', le chocolat noir... et urinant avec plaisir sur les Unes des journaux (surtout celles arborant des portraits de politiciens) lui servant de litière.

Un duo ? Un trio ? Un quatuor ? En tout cas, un groupe bancal, cacophonique, parsemé de passions et de déprimes, de joies tranquilles et de tristesses dans un univers plein d'hypocrisie, d'intolérance, de voisins voyeurs, de mensonges et de haines souvent sans raison.

Un univers qui ne tarde pas à s'écrouler lentement mais sûrement. Lara, la Syrienne chrétienne (qui était obligée de cacher sa croix, en Algérie), part au Canada, Farida, l'épouse, toujours amoureuse, meurt au loin d'un cancer des deux seins et Tanila, la fille unique décède dans un accident... Quand à la vétérinaire, elle en a marre de ses animaux et cherche un homme de compagnie. Harys, ne tarde pas à mourir...et Moul, désormais réellement bien seul, se retrouve... Où ????? Devinette... à 700 dinars !

L'Auteur : Né en 1956, enseignant de littérature puis directeur du Palais des Arts et de la Culture d'Oran et de 2003 à 2008, directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie. Ecrivain bilingue, auteur de plusieurs ouvrages (dix romans, un essai, un beau livre...) dont certains traduits dans une dizaine de langues.

Extraits : «Dès qu'il commence à pleuvoir, j'imagine Dieu dans ses cieux en train de pisser sur nous ou de pleurer à cause des bêtises humaines commises sur cette terre : les guerres, les haines, les infidélités» (p 34), «Les hommes sont des arriérés mentaux, il leur faut beaucoup d'années pour atteindre la sagesse. Et, quand la sagesse humaine se présente, elle arrive souvent accompagnée d'hypocrisie religieuse» (p 36), «Les hommes fournissent beaucoup d'efforts afin de dissimuler les soupirs dus à leurs souffrances. Ces mêmes hommes font du bruit en mangeant, la bouche ouverte» (p 80).

Assez originale comme écriture...au style difficile à saisir au départ mais prenante par la suite. Toute l'histoire de la solitude. Triste mais émouvant. Et, un auteur toujours sévère (une critique faite de «piques» que je trouve «objective» car franche et lucide) à l'endroit de sa société.

Citations : «Nous sommes dans un pays où l'Islam est religion d'Etat et le vendredi un jour sacré. Le jour du couscous pour les grand-mères, de la grande prière pour les croyants et les politiciens hypocrites» (p 11), «Le plaisir de chier n'a dégal que celui de l'orgasme» (p 40), «Je déteste les guerres et je vénère la mort des braves. Il n'y a pas de bonne guerre, toutes les guerres sont sales, même celles qui sont justes, même celles dites saintes» (p 156), «Ce sont les inconnus qui construisent l'Histoire pour les grands ou pour ceux qui deviennent grands «(p 157), «La morale n'est pas dans les institutions, elle est dans la culture, dans le niveau de la civilisation» (p 194), «C'est facile de trouver un trou de souris pour y vivre, mais pour tomber sur un vrai cœur chaleureux, il faut faire sept fois le tour du monde» (p 216), «La vieillesse commence par la perte du miel du rêve» (p 224)

PS :Un livre récemment paru en France. «Antisémite». Je ne l'ai pas (encore) lu, mais j'ai suivi certains débats (ou «procès») sur des télés étrangères (françaises). J'ai lu aussi certains commentaires. L'auteur, c'est l'homme de l'heure à «abattre» (juste avant, on a eu Edwy Plenel qui avait dénoncé la frénésie islamophobe), c'est Pascal Boniface, universitaire et géo-politologue, directeur du fameux Iris, un ancien du Ps ; un parti qu'il avait quitté en 2001 ayant estimé qu'il (le parti) était trop aligné sur la politique israélienne. Son rapport ?commandé par le Ps- avait (été) alors «fuité» et il (lui, son Institut...interdit de subventions institutionnelles suite à des directives de Valls,entre autres, et même sa famille) avait subi maintes attaques...accusé d' «antisémitisme». Son ouvrage révèle tous les dessous de l'offensive «franco-sémite» menée tout particulièrement par le Crif et par tous ceux qui parlent de paix à l'occasion et très vaguement mais qui se gardent de condamner ce qui la rend impossible, l'occupation israélienne et la stratégie expansionniste sioniste . Vivement que ce livre soit importé (ou édité) en Algérie