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Quel monde pour demain ?

par Brahim Senouci

Les lecteurs du Quotidien connaissent sans doute l'histoire de Salah Hamouri. De père palestinien et de mère française, il vivait avec ses parents à Jérusalem. Il milite, comme beaucoup de jeunes de son âge, pour la libération de la Palestine occupée.

Il passe en voiture un jour devant la maison d'Ovadia Sofer, sise à Jérusalem Est, c'est-à-dire dans la partie de la ville annexée illégalement par Israël. Salah Hamouri ne faisait que passer devant le domicile d'un rabbin connu pour ses positions extrémistes. Il n'en fallut pas plus à la «justice » militaire israélienne pour le condamner à sept ans de prison. Salah est libre aujourd'hui mais la haine des sionistes ne s'est pas éteinte. Sur la foi d'une dépêche de l'agence Reuters attribuant à Salah une déclaration disant que Sofer méritait la mort, le CRIF et ses satellites se déchaînent. Salah dément la déclaration, Reuters s'excuse pour avoir livré une information inexacte mais rien n'y fait. Le Président de l'Association France Palestine Solidarité, coupable d'avoir demandé au Président du CRIF de prendre en compte le démenti de Reuters et de s'excuser auprès de Salah, est? cité à comparaître devant la justice française.

Le 8 mars dernier, le président israélien Shimon Pérès arrive à Paris par le train reliant Bruxelles à la capitale française. Le but officiel de la visite est de «plaider la paix entre juifs et musulmans auprès des imams de France ». Le syndicat Sud-Rail nous apprend que cette visite a donné lieu à une sélection du personnel. Les employés noirs et arabes ont été écartés de la zone d'accueil de M. Pérès. Cela rappelle l'épisode du blanchiment de l'Armée d'Afrique. Après s'être battue victorieusement en Provence, cette armée avait été «épurée » de ses éléments noirs ou basanés, remplacés par des soldats blancs, le blanc devant être la couleur uniforme des troupes défilant dans Paris libéré.

L'islamophobie, marqueur du monde qui vient ? En France, le discours islamophobe est presque complètement déculpabilisé, à telle enseigne que plus de la moitié des Français envisagent avec faveur, au nom de la liberté, le mariage entre deux personnes de même sexe, avec possibilité d'adoption, alors que la vue d'un foulard les révulse? A l'extrême droite, certains promettent même de faire donner la mitraille contre les Musulmans qui s'obstineraient à garder leurs pratiques et leurs noms en appelant de leurs vœux l'interdiction du Coran. Ce texte, d'une violence extrême, n'a donné lieu à aucune sanction contre son autrice. Alain Gresh, dans le Monde Diplomatique, établit un lien entre le déchaînement de cette haine et l'essentialisme colonial. Il rappelle que, à l'occasion de l'invention au XIXème siècle de la balle «dumdum », cette munition classée d'une extrême dangerosité, avait été interdite en Europe sauf pour la chasse au gibier et les guerres coloniales !

Ce phénomène n'est pas propre à la France. Il concerne l'Europe mais aussi le Canada, les Etats-Unis ou l'Australie. Le Canada vient d'annoncer avoir déjoué un attentat contre un train, attentat qui aurait été préparé par des terroristes guidés et conseillés par une cellule d'El Qaïda établie en Iran. Quand on sait la haine que voue cette organisation aux chiites, on reste au moins perplexe devant cette affirmation. En fait, c'est l'Occident tout entier qui plonge peu à peu dans une haine en apparence irrationnelle de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un musulman.

La crise économique constitue naturellement l'arrière-plan de cette scène inquiétante. Les crises sont toujours propices aux crispations et aux violences contre le supposé «ennemi intérieur ». Après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour en 1941, des centaines d'Américains d'origine asiatique ont été lynchés par des foules ivres de violence. Le 17 octobre 1961, comme chacun le sait désormais, des centaines d'Algériens ont été massacrés par la police de de Gaulle. Ce que l'on sait moins, c'est que quelques Espagnols, quelques Sud-Américains ont connu le même sort parce que, pour leur malheur, ils ressemblaient un peu trop à nos compatriotes. Ces crises sont derrière nous. Vraiment ? Les ressorts qui étaient à l'œuvre ont-ils disparu ? Rien n'est moins sûr. Il se pourrait même que ce que nous vivons soit plus grave que ce que le monde a connu. La raison en est simple. Au contraire des crises précédentes, celle qui se déroule sous nos yeux sur la scène occidentale ne semble pas pouvoir se résoudre dans le temps. Tous les efforts menés pour la juguler semblent vains. Le sentiment d'une mutation du monde s'impose. Les déclinologues Français, comme on appelle ici les Cassandre qui annoncent depuis plusieurs années la fin de l'Occident, ont été sujets aux railleries. Plus personne ne s'avise de les tourner en ridicule dorénavant. L'Occident a vieilli, son pouvoir d'attraction est en baisse. La séduction qu'il a longtemps exercée sur les peuples du Sud se mue de plus en plus en détestation. Il a longtemps fait illusion en prônant l'avènement d'un monde libre, la fin des dictatures, la prospérité économique pour tous. Il n'y a plus grand-monde pour croire encore à ce discours. La réalité s'impose comme une évidence désormais, celle d'un Occident tentant de sauver coûte que coûte son leadership, tout en sachant que cela passe par l'entretien de la misère dans le reste du monde. Il est à craindre que cette crispation débouche sur des guerres de grande ampleur. Si l'Occident a beaucoup cédé de terrain sur le plan du rayonnement économique, industriel et culturel, il reste la plus grande puissance militaire du monde. Cédera-t-il à la tentation de s'en servir au moment où il devra passer la main ou choisira-t-il de négocier sa place dans le nouvel ordre qui vient ? La réponse n'est pas évidente. Jamais dans l'Histoire, les empires ne se sont défaits dans la paix. Il est vrai que jamais dans l'Histoire, ces empires n'ont disposé au moment de disparaître d'armes de destruction massive. Les dirigeants occidentaux seront-ils suffisamment aveugles pour faire payer d'un holocauste planétaire le prix de leur effacement ? Sauront-ils s'arrêter au bord de l'abîme et accepter de discuter de la possibilité d'un monde pour tous, d'un développement soutenable, d'une démocratie universelle dans laquelle toute vie humaine serait également sacrée ? Accepteront-ils de remettre en cause un mode de vie qui ravage la planète, qui aboutit à une extinction prochaine de ses ressources, qui finira par la rendre invivable ? Rien n'est moins sûr. C'est pourtant la seule voie possible pour que l'Humanité assure sa pérennité. Toute autre solution nous ferait connaître le sort des dinosaures. Il n'est écrit nulle part que la présence de l'homme est assurée pour l'éternité. Ce n'est que par son action qu'il peut assurer sa survie ou organiser son suicide?



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