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La ponctualité, cette politesse des rois

par Farouk Zahi

« Vous, vous avez la montre, nous, nous avons le temps », ce sentencieux adage africain semble d'une acuité déconcertante en regard des us que tout le monde pratique en toute ingénuité. Si l'on ne mesure pas le temps à sa juste valeur, le préjudice causé est quant à lui impitoyable. Il peut faire faire à toute communauté nationale du « sur-place » pendant des décennies.

Des secteurs et non des moindres, tels que l'aviation civile ou la santé entre autres, sont livrés pieds et poings liés aux « pontes ». Il suffit qu'un commandant de bord ou même qu'un chef de cabine s'absente pour que tout un voyage collectif patiemment préparé « foute le camp ». Le malade, le voyageur d'affaires pourront toujours attendre. Dans les hôpitaux, la galère des patients est incommensurable et sans appel. Des chefs de service hospitaliers en désaccord avec l'administration, feront ajourner sans état d'âme des gestes opératoires attendus depuis fort longtemps s'ils ne sont pas rapporter sine die. Des visites de travail et d'inspection de haut niveau, sont reportées sans explication aucune ; entre temps les préparatifs festifs qu'auront nécessité les apprêts partiront en fumée.

L'école, la caserne et la mosquée sont demeurées les seules citadelles ou la ponctualité et l'assiduité font encore bon ménage. Il n'y a pas encore eu de sursaut en matière de respect des horaires pour que la chose se fasse en son temps et à son coût réel. A partir de cette obligation légale, imposée à tous et quelque soit le rang hiérarchique, l'Etat de droit reprendra ses droits. Le responsable « au dessus »du règlement intérieur qu'il a souvent confectionné lui-même, devra se sentir comptable à son concierge ou son appariteur qui est constamment présent en dépit de la modestie de sa fonction. Et là c'est trop lui demander. Des associations caritatives ou culturelles qui s'échinent à monter des projets d'utilité publique tiennent souvent, à faire rehausser du patronage ou de la présence d'autorités centrales ou locales les manifestations qu'elles organisent, sont généralement échaudées par de tristes expériences. La première déconfiture aura été le non respect du timing, ce qui se répercutera sur le déroulement général de l'événement ou à son échec. Des salles de conférences, lasses d'attendre l'illustre invité et dépitées, se vident de leur auditoire. Il ne restera sur la tribune que les organisateurs et les conférenciers, abasourdis par la désinvolture.

Le responsable, sans remords, pourra toujours justifier son faux bond par une affaire impromptue ou une urgence administrative ; incongru euphémisme pour la lourde machine bureaucratique que tout le monde subi avec l'abdication que l'on sait. Les jours de réception que cette même administration organise, ne semblent être qu'un rite sans effet sur la résorption des problèmes que le citoyen compte exposer au responsable considéré. Un simple report d'une entrevue, peut avoir des conséquences dramatiques sur une démarche qui aurait pu trouver son épilogue dès l'instant où la doléance est dûment consignée.

Plus grave encore quand la réception est collective, donc bâclée et que l'administré est contraint d'exposer sa doléance à la cantonade. Humilié par le ton injonctif du responsable et la curiosité ou parfois même par le sarcasme de l'assistance, il quittera au plus vite les lieux en ruminant sa rancœur.

La récente et tragique disparition d'un cadre supérieur d'une wilaya de l'ouest du pays rapportée par la presse, rappelle si besoin le peu de considération dont jouit l'individu dans son acceptation humaine. Ne serait-il plus ce conglomérat d'humeurs et d'émotions ?

Le mépris, ce vocable assassin est devenu depuis quelque temps déjà, ce levain de soulèvement des foules. Il ne se passe pas un événement saccageur sans que le comportement humain n'en soit la cause. D'impénitents scribes peuvent, sous l'effet du « moi » vengeur, fermer un guichet et laisser la « plèbe» en rade. La chefferie qui en fait, n'est que de façade n'y fera rien ; elle se soumettra docilement. Des « roitelets » qui se sont délimités des « principautés » sévissent en toute impunité. Une partie du corps enseignant, sous le couvert de « syndicats » prend en otage, toute honte bue, l'avenir scolaire des élèves et la détresse des parents. La vindicte est d'autant plus préjudiciable qu'elle émane d'enseignantes, mères de famille plus est.

Gare au parent d'élève qui se permet un simple questionnement dans le souci légitime d'avoir une explication sur le sort de sa progéniture. Il peut être éconduit dans le meilleur des cas ou pire encore, ou être la source de fâcheuses conséquences sur son enfant par sa propre « insolence ». La libre expression est paradoxalement devenue, un grief de lèse majesté dans l'esprit de minuscules despotes. Ils refusent, viscéralement, la contradiction encore moins la remise en cause. L'opposition des sexes, dans un contexte aussi conservateur que celui qui est faussement brandi, peut rendre caduque toute démarche disciplinaire. Il sera loisible d'évoquer, la brutalité misogyne ou le harcèlement sexuel plus payant. Le chroniqueur, invité à des cérémonies organisées en hommage à d'anciens enseignants à l'occasion de « Youm el Ilm » (Journée du Savoir) ou à des vernissages, a subi avec l'ensemble des convives les affres de la longue attente des responsables locaux qui se faisaient languir. Enfin sur les lieux, ils s'acquitteront vite de la « corvée » du discours inaugural évoquant, sans coup férir, les obligations professionnelles dont ils détiennent seuls le secret qui les attendent. Ils quittent les lieux « après service fait », considérant que l'inauguration est déjà, une fin en soi. L'orchestre symphonique qui sillonnait le pays et se produisait à guichet fermé, n'a, qu'exceptionnellement joué, en présence de responsables locaux. Il faut reconnaître aussi, que l'attrait de la caméra est irrésistible ; sa présence ou son absence peut changer le cours des événements. Le complexe du «Big Brother» a, malheureusement, la peau dure.



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