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C'est le peuple qui commande ici, oh cité !

par Salim Metref

Le 25 avril 1974, au Portugal, il y a comme une flamme qui éclaire l'avenir (I). Le pays est écrasé par un régime autoritaire incarné par des hommes qui depuis un demi-siècle prétendent servir l'intérêt de la nation et instaurer un nouvel état. Ces hommes disposent d'une police politique redoutable et redoutée. Très répressive, elle surveille, poursuit, nie toute liberté, enlève et emprisonne. Le développement économique du pays est laborieux, ne profite pas à la majorité du peuple dont une partie importante est analphabète, vit à la campagne et dispose de très faibles revenus. Le pays est en panne et la crise devient aigue. Un nombre croissant de personnes n'accepte plus l'incurie générale qui règne et refuse la chape de plomb imposée par de vieux dirigeants qui ont perdu le sens de l'honneur, s'éternisent au pouvoir et conduisent le peuple et le pays tout entier à l'abattoir. Et puis cette guerre dans les colonies africaines qui s'éternise, charrie son lot quotidien de victimes et s'obstine à perdurer face à la détermination de mouvements de libération qui mènent la lutte armée pour reconquérir leur liberté et leur indépendance.

Depuis 1973, de nombreux militaires se désolidarisent du gouvernement, manifestent leur mécontentement et organisent dans la clandestinité ce qui conduira plus tard le renversement de la dictature. Il y a aussi les autres. Ceux qui ont déçu, n'ont rien pu faire ou n'ont jamais su (I). Ils auraient pu eux aussi changer le cours de l'histoire s'ils avaient compris que tous ceux qui sacrifièrent un jour leur vie ne peuvent être oubliés. Le souvenir de ces derniers continue d'agiter les consciences et est ressuscité par ceux qui ont déjà grandi. Puis le 25 avril 1974, un groupe de jeunes patriotes organise un coup d'état et destitue sans effusion de sang le pouvoir en place. Ces hommes ont décidé face à une situation devenue inextricable, aux souffrances de leur peuple, à la misère sociale grandissante, au désarroi de leur jeunesse, au poids d'une dictature féroce, à un empire colonial déliquescent et au développement de mouvements indépendantistes armés, de dire non. Ils veulent pour beaucoup d'entre eux la liberté et la décolonisation. La révolution est d'abord conduite par les militaires qui interdisent au peuple de sortir dans la rue. Mais le peuple désobéit. La révolution des militaires fait jonction avec le peuple. Elle devient populaire. C'est la révolution des œillets rouges qui sont accrochés au bout des fusils des soldats. Ces derniers auraient pu vivre eux aussi comme tous les autres, ceux qui se sont toujours accommodés, au prix de leur silence mais aussi de leur compromission, d'un régime qu'ils auront soutenu et qui aura tout trahi, commis tout ce que la conscience humaine réprouve et permis à tous les abus et à toutes les servitudes de s'accomplir. Ils auraient pu eux aussi être ceux dont les consciences se sont toujours tues et qui ne s'indignèrent jamais de l'affront fait à leur histoire et à leur peuple.

Ceux qui en ce jour du 25 avril 1974 dirent dire non à la dictature appartenaient pour certains d'entre eux à l'aristocratie. Ils étaient bien nés comme on dit. D'autres n'étaient pas nécessairement riches. Ils vivaient honnêtement, étaient disciplinés et avaient apprit à obéir et à ne jamais désobéir. Ils décidèrent de ne plus taire les souffrances de leur conscience. Et puis cette chanson mythique, longtemps interdite, qui sonna le glas de 48 ans de servitude. " Grândola, villa morena, Terra da Fraternidade, O povo é quem mais ordena, Dentro de ti, ô cidade. (II). Ces mots ressuscitèrent l'âme d'un peuple et furent entendus. Elle fut diffusée par une radio catholique qui brava l'interdiction. Après moult turbulences et atermoiements, la transition démocratique fut enfin possible au Portugal et être conduite. Elle mit fin à la plus longue dictature d'Europe.

(I) Poèmes de Georges Moustaki

(II) "Grândola, ville brune, Pays de Fraternité, C'est le peuple qui commande, Ici, oh cité"



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