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Ti goul ou ti goul pas ?

par Ahmed Saifi Benziane

Au-delà des propos tenus par monsieur Sid Ahmed Ghozali dans ces mêmes colonnes, et au-delà même des positions toutes personnelles de leur auteur, il est drôle de constater comment un débat peut naître en Algérie.

L'analyse de l'entretien accordé au «Quotidien d'Oran», jugée par l'ex-Premier ministre de correcte et respectueuse des usages journalistiques, a permis d'aborder deux questions intimement liées: l'influence de l'islamisme iranien sur le monde musulman et les dérives de l'Islam en Algérie. En toile de fond, la question palestinienne apparaît comme un registre de commerce aux profits assurés pour les gouvernants des pays musulmans. Au moment où en Europe, aux USA et même en Israël des voix s'élèvent pour remettre en cause l'existence de l'Etat hébreux et le montage qui a présidé à sa naissance, on se contente chez nous d'avaler toutes les couleuvres dont celle qui consiste à s'enorgueillir du nucléaire iranien. Comme le rappelle un adage bien de chez nous, «l'accoucheuse se félicite toujours des enfants des autres». Que l'Iran développe son nucléaire en posant les termes d'un débat qui met à nu Israël, c'est en soi une étape qualitativement importante franchie vers l'éclairage de l'opinion publique occidentale. Que ce pays essaye de mobiliser les peuples musulmans autour de son programme énergétique, c'est là une autre dimension dont il faut poser le préalable de la capacité des peuples à changer le cours de l'Histoire et la capacité des gouvernants à suivre la volonté populaire, dominée par l'autoritarisme y compris en Iran. Quel est en effet le pays musulman qui échappe aux pouvoirs militaires ou au moins aux violences qui caractérisent la prise de pouvoir ? Les exemples sont évidemment légion de l'Atlantique au Pacifique. Ghozali pense qu'il ne faut plus se mentir depuis l'invasion du Koweït par l'armée irakienne et que les termes d'un débat sérieux devraient permettre une remise en cause de certaines croyances où les peuples arabes ont été bernés par des illusions de grandeur. A tort ou a raison, il est difficile de trancher aussi promptement sur le bien-fondé des propos qui, loin d'engager un pays, n'engagent que celui qui les tient et il les assume pleinement. Il est vrai que venant d'un personnage qui a pratiqué l'Etat et ses plus fortes institutions par le haut, il est difficile de prendre ses déclarations pour argent comptant. Le doute ne vient pas de la qualité actuelle du personnage qui continue à marquer la scène politique malgré la fermeture du jeu démocratique, mais bien de la perte de crédibilité de tout ce qui vient d'en haut et particulièrement depuis quelques années. Personne ne peut plus croire et c'est ce qui est le plus grave lorsque même les hublots fermés insonorisent la maison Etat, ce qui est loin d'empêcher les vagues de mécontentements de grandir. De là à considérer que la main étrangère pousse chaque déclarant politique y compris lorsqu'il émet une opinion, il y a comme un retour aux années de plomb, qui ont fait le lit du terrorisme et de la violence qui le sous-tend. Et continuer à parler de main étrangère est devenu la nouvelle forme du terrorisme alors que nos enfants se jettent en mer non pas poussés par une main étrangère, mais par nos propres mains, en silence. Par les mains de ceux qui ont pour charge de leur faire aimer leur pays non plus par un hymne et un drapeau seulement, mais par des actes de construction et de développement y compris du nucléaire. De là à prendre la défense de l'Etat iranien parce que Ghozali a émis une opinion personnelle, on pourrait croire aussi que les réactions sont aussi le fait de mains étrangères, ce qui fait du débat algéro-algérien une suite de paroles sans consistance sur notre présent et notre avenir. On se souvient bien de l'épisode Sadi et du nombre de contradicteurs dans l'affaire du livre sur feu Amirouche. En dehors de quelques réflexions intelligentes dans ce débat, là aussi certains voyaient la main de l'étranger. Paranoïa ou simple bon de commande, voilà à quoi nous a réduits l'article 120 qui perdure à travers les résistants au changement. D'ailleurs il est étonnant que quelques offusqués occasionnels se taisent devant des déclarations méprisantes à l'endroit des Algériens, faites, non pas par des opposants ou d'anciens hommes politiques, mais par des gouvernants en exercice. C'est vrai qu'il est plus facile d'attaquer, y compris personnellement, quelqu'un qui n'a pas de capacité de nuisance pour plaire à celui qui en a, mais s'il est vain de s'interroger sur l'honnêteté des gens, encore faut-il qu'ils aient au moins le courage d'affronter sereinement des opinions. Le drame, c'est qu'il n'est plus possible d'engager un débat qui remette en cause des idées reçues sans s'exposer aux majorettes d'un système qui dansent pour chaque prince du moment et parfois sans musique. La question n'est pas de défendre ou non Ghozali mais de laisser émerger une culture de la contradiction et de l'enrichissement mutuel sur le registre des idées qui nous mènera vers la conviction ou le rejet. Et c'est précisément la fermeture du champ de la contradiction à ne pas confondre avec celui de la violence qui nous a plongés dans le gouffre des applaudissements sans écho. Lorsque se qualifiant lui-même de «harki» du système, l'ancien Premier ministre tente de mettre le doigt sur toutes les perversions politiques depuis l'indépendance, on y voit là une offense aux personnes. Pourquoi ? Parce que la métaphore est trop forte dans une société qui n'a pas encore épuisé les nombreux butins de guerre dont se sont servi, y compris des harkis, pour se hisser aux cimes de l'Etat.